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Baby Cart 5 : le territoire des démons

Publié le 06 juillet 2014 par Olivier Walmacq

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Réalisateur : Kenji Misumi

Genre : Film de sabres

Année :1973

Durée :84 minutes

L'histoire :Ogami Itto est chargé par cinq samouraïs de tuer une jeune fille élevée comme un garçon afin de mettre en place le réel héritier (emprisonné) sur le trône.

La critique d'HDEF :

Après un opus 4 très réussi contrairement à ce que certains prétendent mais qui, à l’inverse de ses prédécesseurs, n’est pas réalisé par le grand Kenji Misumi (lequel commence à être âgé ; il devait d’ailleurs décéder deux ans après, en septembre 1975), ce qui lui valu d’ailleurs de nombreuses mauvaises critiques encore aujourd’hui, Kenji Misumi reprend temporairement (il ne signera pas l’opus 6 non plus) le contrôle de la saga, créée un an plus tôt (seulement !) avec Le Sabre de la vengeance. Le Territoire des démons est aussi la dernière collaboration du cinéaste avec le scénariste Kazuo Koike (auteur de bande dessinées), comme le précise l’excellent DVD Wilde Side Vidéo, qui a récemment réédité toute la saga.

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Seulement voilà, on sent dans Le Territoire des démons un certain assagissement du cinéaste, lequel ne possède plus la fougue, l’originalité, le grain de folie d’antan. On a beau chercher, Baby Cart 5 est totalement dépourvu des cadrages délirants, des travellings acrobatiques et des mouvements de caméra audacieux qui avait marqué Le Sabre de la vengeance, L’Enfant massacre et Dans la terre de l’ombre. En réalité, Le Territoire des démons est l’opus le plus faible de la série.

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Alors attention, « faible » ne veut pas dire « mauvais », et les films précédents ayant placé le niveau si haut, il faut aussi prendre en compte le fait qu’il n’est pas forcément facile de faire toujours mieux. Et malgré ses défauts, Le Territoire des démons (qui est par ailleurs l’avant-dernier film du cinéaste) reste une œuvre honorable à défaut d’être révolutionnaire. Ce qui pose notamment problème dans ce Territoire des démons est surtout un certain nombre de défauts d’écriture. À commencer par la mission confuse confiée à Ogami Itto, avec cette histoire bizarre d’interception de lettre, sur laquelle on verse ensuite de l’eau pour en effacer le contenu (pourquoi ? Mystère et boule de gomme). Il y a aussi cette introduction laborieuse où cinq samouraïs jouent aux Mille et une nuits en racontant chacun, après un duel avec Ogami Itto, une partie de la mission qu’ils lui confie, et lui donnant chacun une partie de l’argent qu’il demande. Enfin, le film pâtit d’une sorte de répétition.

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Le proverbe latin dit « Bis repetita placent ». Oui bah non, ici placent plus du tout alors ! Kenji Misumi commence à radoter et raconte les mêmes salades d’un film sur l’autre, semblant avoir oublié l’existence de l’opus 4, à savoir L’Âme d’un père, le cœur d’un fils. Car il faut le noter, bien des scènes du Territoire des démons évoquent un peu trop le précédent film. Et les personnages aussi, à commencer par la voleuse Oyô qui évoque largement la lanceuse de couteau (personnage repris lui-aussi dans l’épisode 6, donc Le Paradis blanc de l’enfer, comme quoi !) Oyuki, ne serait-ce que dans les noms tout de même très proches.Un sentiment de redite qui se confirme tout au long du film, jusqu’à son dénouement, l’abandon de la messagère sur le bord de la plage évoquant L’Enfant massacre. On pense également régulièrement au Sabre de la vengeance lors du massacre de la famille (qui évoque celui du jeune prince au début du premier opus) et lors de l’unique flash-back du film, lequel n’a pratiquement aucun intérêt.De surcroît, le film de Misumi flirte parfois avec le ridicule lorsqu’Ogami Itto, les cheveux décoiffés et en slip de bain tente de courir en se dandinant comme un marcassin derrière un cheval (n’est pas Hampei qui veut (Hampei est le héros de La Lame diabolique, autre film de Misumi, et est capable de courir à la vitesse d’un cheval) !). Tout un tas de défauts plus ou moins rédhibitoires qui jouent contre le film et le place en dernier dans le top de la saga, tout du moins à mes yeux.

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Pour autant, tout est-il à jeter dans ce Baby Cart 5 : le territoire des démons ? Non ! Un non vraiment catégorique. Car si le film est largement surestimé (oui, James c’est à toi que je m’adresse ;)), il n’en est pas pour autant inintéressant, d’autant que le personnage d’Ogami Itto change réellement sur ce film. Pour la première fois, Ogami Itto est présenté par Misumi comme un personnage presque à 100% négatif. Serait-ce lié à l’amertume qui empreint le cinéaste proche du trépas ? Rien ni personne ne saurait le dire…Toujours est-il qu’il livre un portrait peu flatteur de celui que l’on surnomme « Le Loup à l’enfant », lequel laisse son fils être fouetté sous ses yeux, et en public (!) et n’hésite pas à liquider une famille entière (père, mère et fils) alors que lui-même a perdu sa femme et possède la charge d’un enfant de cinq ans, le tout sans le moindre état d’âme. Personne ne l’aurait cru capable de le faire, pourtant, Ogami Itto l’a fait.

Là où Dans la terre de l’ombre présentait le protagoniste comme un ange protecteur ou presque, Le Territoire des démons s’en veut l’antithèse. Et il est amusant de voir que les deux films se suivent dans la filmographie de Misumi. Chose surprenante : Tomisaburo Wakayama (1) (que l’on peut aussi voir dans Black Rain) est excellent dans les deux cas.

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Et puis il y a tout de même au moins trois scènes marquantes dans Le Territoire des démons. La première est la punition que subit Daigoro pour avoir protégé une voleuse qui s’est en plus rendue. Entêté, le gosse se refuse obstinément, même sous les coups de fouet, à laisser autre chose sortir de sa petite bouche qu’un « Non ! » borné. Ce qui n’est pas sans impressionner son bourreau. La scène où on lui applique les coups de fouet est d’ailleurs assez impressionnante dans la mesure où le passage est montré en contre-plongée, les coups s’abattant donc quasiment sur l’objectif, ce qui rend la scène encore plus viscérale.La deuxième scène en question est sans le moindre doute le meurtre sur l’eau, le meurtre dans la barque, l’attentat. Ogami Itto plonge sous l’eau, respirant avec un roseau (dans une scène qui n’est pas sans évoquer un James Bond), découpe avec son sabre le sol de la barque sous laquelle il est posté (un vrai champion d’apnée !!) un cercle dans le parquet, cercle juste assez grand pour faire tomber à l’eau l’homme qu’il est chargé de tuer sans pour autant avertir ses gardes du corps. Une scène très originale, amusante et audacieuse qui s’inscrit fièrement parmi les meilleurs moments de la saga.

La troisième et dernière scène est la tuerie finale, devenue presque la marque de fabrique de la série (et qui continuera ainsi jusqu’à la conclusion apocalyptique de l’épisode suivant, que j’aborderais ici prochainement), tuerie qui fait un usage remarquable d’effets-miroir dans le but de donner l’emplacement exact de chaque ennemi dans la pièce sans que la caméra ne ressente le besoin de tourner à 360° sur elle-même (de faire un panoramique donc). Encore une fois, Misumi contredit ses propres méthodes, lui qui était habitué justement à faire pivoter la caméra, comme le prouvait le mémorable panoramique de L’Enfant massacre dans la bassine (plan dont je parle dans l’article correspondant).

À bien des égards, Baby Cart 5 : le territoire des démons s’affirme donc comme l’œuvre ultime de Kenji Misumi, son films testament. Et si le testament d’un si grand maître (qui a pour moi les armes pour rivaliser avec Kurosawa) aurait mérité un meilleur traitement narratif, lorsqu’un grand comme ça quitte les plateaux, on ne peut s’empêcher de le sublimer. Ma note est donc un peu généreuse.

Note : 15,5/20

(1) Il s'agit de l'acteur jouant Ogami Itto 


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