Notre Révolution fut ultralibérale Pierre Rosanvallon explique que la Révolution fut ultralibérale. Comme Mme Thatcher, et l'actuelle théorie du marché, elle croyait à une fiction : un monde dans lequel il n'y aurait plus que des individus. C'est ainsi que serait réalisée l'égalité parfaite. Plus de groupes humains, plus de société. Et le libéralisme des économistes des Lumières semble n'avoir rien à envier au moderne, qui n'a peut-être rien d'anglo-saxon. D'ailleurs, l'Angleterre d'alors s'offusquait que l'on bouscule l'ordre existant !
Révolution mondiale Cette théorie s'est à nouveau appliquée, mais au monde entier. Conséquences identiques. Un moment de stupeur, ou tout a semblé possible. Puis une phase de destruction (de Terreur ?). Alors, les peuples ont réalisé que l'anarchie produisait le chaos. Faute de mieux, ils se sont ramenés, en quelque sorte, à l'Ancien régime. C'est à dire à l'organisation sociale qui les régissait jusque-là. C'est la théorie de Tocqueville (L'Ancien régime et la Révolution). Exemples :
- Le capitalisme d'Etat n'a pas disparu, mais s'est adapté. Plutôt que manageur d'entreprise il est devenu actionnaire stratégique.
- Les réseaux sociaux indiens se sont transformés en entreprises capitalistes, sans perdre leur âme et leur logique.
- La Russie en est revenue à un régime dirigiste de type soviétique, sans chercher à rétablir toutefois son égalitarisme ancien. (Ce qui est aussi le cas de beaucoup de régimes de l'ex URSS.)
- La transformation chinoise a bien des caractéristiques de toutes les transformations connues par le pays depuis ses origines. Principale originalité: un empereur à durée limitée, choisi dans une étroite aristocratie issue des rangs des descendants des compagnons de Mao. (Mao pouvant même être une réincarnation de Qin Shi Huang Di.)
- L'Egypte a retrouvé son régime d'avant le printemps arabe. Mais, peut-être, avec un gouvernement intègre.
- Au Moyen-orient, l'islamisme semble, paradoxalement, être le modèle le plus stable dont on dispose.
Comme l'explique encore Pierre Rosanvallon, c'est la société civile qui fait les frais du libéralisme. C'est-à-dire les structures intermédiaires entre l'individu et le gouvernant, supposé être immatériel (la main invisible du marché, par exemple). Sous l'Ancien régime on parlait de "privilégiés". Il s'agit maintenant de "rentiers".
Dans ce domaine, l'Angleterre a été particulièrement efficace, notamment en liquidant sa démocratie locale, remarquable par ailleurs. En France, ont trinqué les corps de l'Etat, l'économie sociale, les CCI, les syndicats, l'université, etc. Voilà pourquoi un des enjeux du moment est de reconstituer cette société civile. (Ce que M.Cameron a appelé, un instant, "Big society".)
Résilience
En fait ces changements n'ont pas été totalement un retour au statu quo. Il a été adapté. Peut-être en liquidant ce dont la tempête avait montré la fragilité. Ou ce qui était devenu inacceptable. Pour un écosystème on parlerait de "résilience". L'anarchie libérale a joué le rôle du feu. En détruisant l'écosystème, elle l'a forcé à se renouveler. Il est possible que les écosystèmes les plus fragiles, ou les moins chanceux, aient disparu.