Même si je ne la goûte guère, la période estivale constitue toujours un moment intéressant dans l'activité d'un blog, dans la mesure où le ralentissement de l'activité qu'elle induit, tant du point de vue des lecteurs que des éditeurs, permet de faire le point et d'esquisser de nouvelles voies.
Outre un temps de pause qui m'a permis de me consacrer à certains projets, dont l'écriture des notes d'accompagnement d'un disque à paraître à l'automne, vous qui suivez l'actualité de Passée des arts aurez peut-être noté l'apparition de deux nouvelles rubriques. La première, Traverses, me permettra de rendre ponctuellement compte de réalisations s'inscrivant hors du répertoire « classique », musiques qui m'accompagnent de façon continue, antérieurement même à ce dernier ; si j'ai dû essuyer quelques manifestations de mécontentement face à cette initiative, les encouragements parfois les plus inattendus reçus en parallèle m'ont conforté dans ma décision de leur accorder une place ici. J'ai, depuis, noté ce passage dans un ouvrage consacré à Ralph Vaughan Williams que je suis en train d'étudier : « Palmer [réalisateur d'un documentaire sur le compositeur] interviewa également le musicien pop Neil Tennant [un des deux membres des Pet Shop Boys] qui rappela que l'impact de Vaughan Williams s'est toujours fait sentir hors du domaine de la musique classique. Frank Sinatra, par exemple, qui connaissait bien ce sujet, révérait Vaughan Williams et Job en particulier, et des musiciens aussi différents que Genesis, Wayne Shorter et, plus récemment, PJ Harvey, ont tous reconnu son influence. » (Alain Frogley et Aidan J. Thomson éd., The Cambridge Companion to Vaughan Williams, pp. 2-3). Éloquent, n'est-ce pas ?
Son titre d'Anglicismes dit déjà tout de la seconde rubrique qui sera justement consacrée à la musique composée outre-Manche entre le dernier quart du XIXe siècle et la fin des années 1950, généralement si mal connue et si peu défendue en France, alors qu'elle regorge de merveilles qui ne se résument pas à la production de Britten. Le peu d'écho recueilli par le tout récent billet consacré à Frank Bridge montre bien la difficulté de la tâche, mais il me semble que le jeu en vaut la chandelle. Ceci signifie-t-il qu'il y aura moins de baroque dans les mois à venir ? Nécessairement, oui, mais, entre nous, ça ne me pose guère de problèmes. N'allez néanmoins pas imaginer que je vais tourner le dos au répertoire qui me nourrit depuis plus de vingt-cinq ans, même si je ne peux cependant vous cacher un certain désabusement face à ce qui s'y passe aujourd'hui, ces pelletées de récitals inutiles, ces programmes qui semblent se copier mutuellement, ce goût de la recherche qui apparaît de plus en plus fréquemment aux abonnés absents. La pierre n'est pas à jeter uniquement aux musiciens, bien obligés de s'adapter aux lois du marché pour survivre, mais aussi à un public souvent paresseux pour qui le confort des habitudes et le souhait d'en avoir pour son argent sont hélas devenus des bannières. Il y a maintenant plus de quinze ans, Jean-Paul Combet lançait Alpha avec deux programmes inédits et audacieux consacrés à Castaldi et à Belli ; il y a fort à craindre qu'aujourd'hui, une telle aventure ne serait plus possible.
L'été qui commence marque également ma séparation d'avec France Musique, que je n'écoutais déjà plus qu'épisodiquement, mais dont les nouvelles orientations ont achevé de me convaincre que je n'y trouvais plus mon compte. Entendons-nous bien, je ne suis pas en train d'écrire que ce que fera la nouvelle équipe mise en place par Mathieu Gallet et Marie-Pierre de Surville sera obligatoirement détestable ; je dis juste que je ne supporterai pas deux heures quotidiennes de Frédéric Lodéon, musicien de talent mais dont les sarcasmes envers ces baroqueux qui ne savent pas jouer résonnent encore à mes oreilles, que je ne me reconnais ni dans les « Ciao bye bye » de tel animateur, par ailleurs prodigue en « génial » et en « sublime », qui sonnent aussi jeune à mes yeux qu'un quinqua bedonnant boudiné dans un baggy, ni dans les gloussements satisfaits de telle autre qui, chargée des disques, a quand même un peu de mal à concevoir qu'il existe de la musique intéressante avant, mettons, 1700, et que tout ne se résume pas au piano – la Renaissance ? le Moyen Âge ? Mais voyons, on va traiter ça en trente secondes, c'est tout ce que ça mérite –, pas plus que dans ce petit salon méridien où l'on se congratule et s'égratigne aussi un peu – taquin, va ! – entre gens de la même et forcément meilleure société. Horizons chimériques, la seule émission à laquelle je demeurais fidèle parce qu'elle me semblait avoir trouvé, malgré une durée trop contrainte, un bon équilibre entre approche informée et plaisir d'écoute, disparaît, et ce que je sais de la façon dont on l'a signifié à son producteur, Marc Dumont, qui avait eu la gentillesse de m'accorder un entretien ici-même et s'est vu congédié comme un laquais, ne fait que conforter le mauvais pressentiment que j'avais eu lorsque France Musique, en inaugurant son nouveau site Internet, avait supprimé la possibilité, pour les auditeurs, de poster des commentaires durant les émissions. Je demeure, pour ma part, persuadé qu'on ne construit rien de durable sur un fonds de mépris et les procédés de cette station envers ceux qui l'écoutent et ceux qui la font me semblent par trop relever de cette attitude. Bon vent, donc, à elle ; pour ma part, je reste sur le quai et je n'ai pas sorti mon mouchoir.
Pour finir, il faut que vous sachiez que les mois à venir seront sans doute un peu compliqués pour le blog, dans la mesure où l'on m'a fait comprendre, à demi-mots, qu'il n'était pas prioritaire pour ce qui regarde un certain nombre d'envois de presse. Je comprends bien que certains attachés de presse préfèrent des papiers bâclés mais qui paraissent vite à un quelconque travail de fond – on en voit même, sur les réseaux sociaux, donner du chroniqueur à des salonnards dont l'action se limite à publier des liens sans effectuer le moindre travail critique –, mais je ne peux ni ne veux travailler ainsi. Il me semble même que parler du disque classique en le sortant de la frénésie de la nouveauté est plutôt lui rendre service. Sauf imprévu, ma situation matérielle étant loin de me permettre des achats inconsidérés, je serai donc conduit à sélectionner de façon encore plus drastique ce que je vous proposerai. Mais l'aventure continue, pour vous et pour une certaine idée de la culture, qui me semble aujourd'hui de plus en plus fragilisée, quelquefois même par ceux qui, croyant la défendre, se trompent de cible en s'attaquant à de petites structures – je pense à l'action des intermittents lors du festival de Maguelone, typique de cette ignorance qui est toujours le terreau du pire – qui n'ont pas les capacités qu'ont les plus importantes pour survivre.
Je vous souhaite, à toutes et à tous, un très bel été.
Accompagnement musical :
1. Joy Division, Heart and soul (1980)
(Paroles : Ian Curtis, Musique : Ian Curtis, Peter Hook, Bernard Sumner, Stephen Morris)
2. Ralph Vaughan Williams (1872-1958), The Wasps, Aristophanic Suite (1909) :
[V] Ballet and final tableau
London Philharmonic Orchestra
Sir Adrian Boult, direction