L'exposition Chiharu Shiota à la galerie Daniel Templon à Paris intervient alors que l'artiste japonaise vient d'être choisie pour représenter le Japon à la 56 ème biennale de Venise en 2015.
La stratégie de l'araignée
Beaucoup de références à ses productions arachnéennes ont été écrites. Il n'est vraisemblablement pas nécessaire d'ajouter des lignes à ces commentaires métaphoriques sur l'artiste qui tisse sa toile en produisant ces œuvres faites d'objets prisonniers de réseaux serrés de fils colorés ou non, comparables en effet à la production de l'araignée et ses pièges. Mais peut-on s'en tenir à cette correspondance matérielle peut-être trop évidente avec la stratégie de l'araignée ?
Chiharu Shiota explique : « La création de fils est le reflet de mes propres sentiments. Un fil peut être remplacé par le sentiment. Si je tisse quelque chose et qu'il se révèle être laid, tordu ou noué, tels doivent avoir été mes sentiments lorsque je travaillais. ». Si bien que les enchevêtrements qui enserrent les objets participent d'une démarche plus complexe, faite de tensions, de sentiments, de sensations, de toutes ces relations invisibles dans lesquelles nous baignons.
« Dialogues » 2014
Chiharu Shiota
« Dialogues »
Aussi, c'est l'installation majeure de la galerie « Dialogues » réalisée in situ pour cette seule exposition qui alimente davantage encore l'intérêt. Car avec ces valises amoncelées et elles aussi reliées à un ancrage mystérieux par des cordelettes rouges, nous ne sommes plus dans la métaphore arachnéenne mais dans une symbolique riche, chargée de nombre d'histoires et de références. Ces valises, presque en état d'apesanteur, nous renvoient, me semble-t-il, à toutes les aventures heureuses ou tragiques de ceux qui les ont portées, et avec elles les bonheurs, les chagrins, les peurs ou les passions personnelles.
« Dialogues » 2014 (Détail)
Chiharu Shiota
Valise espoir de l'émigrant pour le nouveau monde, emportant dans son maigre bagage la mémoire de sa terre d'origine. Valise combat du résistant passant en zone libre les preuves compromettantes de son engagement. Valise passion du voyageur épris de découverte hors des itinéraires formatés du tourisme mondialisé. On devine, devant ces valises de toutes tailles, de toutes couleurs, de toutes matières, que chacune cache une histoire singulière, secrète que nous n'avons pas d'autre recours que d'imaginer. En outre l’installation ne se contente pas d'une scénographie statique. Quelque chose se passe : une valise vient de bouger, se signalant par son bruit et son oscillation. Elle entraine dans son balancement le tangage de quelques autres. Comme un sourd battement de cœur, l'ensemble bouge et se revendique comme être vivant. Si bien qu'une dramaturgie nait de cet agencement.
Bagages
Elle révèle combien nous sommes au-delà de l'objet pour pénétrer dans un espace mental. Si la valise renvoie au bagage, ce bagage peut être aussi celui que porte l'individu, signifiant le poids du passé, des habitudes psychiques, des souvenirs enfouis. S'agit-il d'un bagage fardeau trop lourd à porter ? Serait-il, au contraire, l'objet symbole d'un nouveau départ, faisant table rase d'un passé que l'on veut oublier ? Chaque valise reste pourtant reliée par un fil à quelque chose d' indéfini, comme si, loin d'une liberté illusoire, elle témoignait de nos attaches ineffaçables à quelqu'un, quelque chose ou quelque part.
Chiharu Shiota nous laisse devant tous ces possibles dans l'ambiance étrange de ce voyage immobile soudain perturbé par la secousse d'une valise rétive nous interpellant sur sa rébellion fantomatique.
CHIHARU SHIOTA : « Small room »
7 juin – 26 juillet 2014
Galerie Daniel Templon
30 rue Beaubourg Paris