Les aurores d’un nouveau Tour ont toujours une histoire singulière. A mesure que le ciel se dégageait de ses gros nuages lourds qui encombraient Leeds depuis quarante huit heures, bien aidé par le vent du nord, et que les 198 coureurs du 101e Tour de France se rangeaient calmement sur la ligne de leur premier départ avant la copieuse aventure de trois semaines, nous découvrions, presque émus, la foule amassée de Britannique heureux d’y être – et c’est peu dire –, honorée comme des gamins enfin gâtés d’accueillir « the yellow race », « the only one », dont la folie a gagné depuis longtemps toute l’Albion – qui, entre nous, n’aurait plus rien de perfide si les victoires anglaises ne s’enchaînaient pas à un rythme un peu déraisonnable depuis deux ans…
Le départ fictif – sorte de défilé de représentation à la gloire des héros de Juillet – dura 17,5 kilomètres, une distance inhabituelle pour ce genre de non exercice sportif, de quoi prendre le temps de respirer un bon coup avant les affaires sérieuses. Et surtout avant les ultimes cocasseries du protocole façon british.
Ainsi, à Harewood House, énorme propriété construire au XVIIIe siècle, transformée en hôpital de convalescence pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, Christian Prudhomme, le patron du Tour, arrêta son barnum pour les besoins de la couronne britanniques. Vous avez bien lu : sur le perron, les princes William et Harry, et Kate Middleton en personne, les attendaient. On se serait cru en 1960, quand le peloton coalisé s’arrêta derechef à Colombey-les-Deux-Eglises pour saluer Charles de Gaulle, en pleine étape à l’époque, mais c’était le général !
Donc. Sitôt arrêtés devant Harewood House, les coureurs écoutèrent une Marseille du plus bel effet, suivie comme il se doit du God Save The Queen. Il y eut même des airs de Twickenham, quand les membres de la famille royale s’en allèrent serrer les mains des officiels et s’entretenir assez longuement avec les coureurs britanniques présents au premier rang, Geraint Thomas, Simon Yates, Chris Froome et Mark Cavendish, ainsi qu'avec Alberto Contador, Andy Schleck et même le champion du monde portugais, Rui Costa. Rappelons à ceux qui en douteraient encore que, ces dernières années, le succès de Bradley Wiggins, premier Anglais vainqueur du Tour en 2012, puis le bis repetita de Chris Froome l’an dernier, a littéralement boosté le cyclisme au Royaume-Uni et que même la reine Elizabeth II s’intéresse de près à la chose. Lors de sa récente venue en France, la reine demanda à Wiggins, anobli en 2012 après son été euphorique (Tour de France et titre aux JO) s'il prendrait part au Tour. «Non, je ferai les Jeux du Commonwealth», avait-il répondu fièrement. Les Jeux du Commonwealth plutôt que le Tour : la reine avait paraît-il plutôt apprécié ce choix, sans savoir que l'équipe Sky avait choisi de laisser Wiggo sur la touche…
Même les brebis...
Et la course, direz-vous ? Après ces obligations d’usage, une constatation s’imposait d’abord : la foule fut impressionnante de bout en bout, en rangs presque aussi serrés que pour le précédent départ du Royaume-Uni, à Londres en 2007. Exemple significatif, la côte de Grinton Moor, à 60 kilomètres de l’arrivée, avait des allures de Mur de Bretagne. Plusieurs coureurs à l'arrière du peloton durent en effet mettre pied à terre durant cette ascension, en raison de l'étroitesse de la route bien sûr, mais surtout à cause du nombre de spectateurs massés sur les bas-côtés. Nous vîmes même le champion de France, Arnaud Démare, s'arrêter et devoir ensuite relancer la machine… Que d’efforts inutiles.D’autant que nous avons assisté, comme prévu, à un sprint à peu près massif. Après un emballage mouvementé dans les rues d’Harrogate, l'Allemand Marcel Kittel (Giant) a remporté l’étape et endossé le premier maillot jaune. Le Britannique Mark Cavendish, grand favori du jour, sur ses terres, a chuté dans la ligne droite finale après une tentative de passage en en force. Blessé à l'épaule droite (clavicule brisée ?), il est malgré tout remonté sur son vélo pour franchir la ligne, mais jusqu’à quand. Kittel a devancé le Slovaque Peter Sagan et le Lituanien Ramunas Navardauskas, au terme des 190,5 kilomètres. Le Français Bryan Coquard, pour ses débuts dans le Tour, a pris la quatrième place. Kittel, 26 ans, a enlevé pour la cinquième fois une étape du Tour. L'an dernier, il avait gagné quatre étapes, dont la première (déjà) à Bastia et la dernière sur les Champs-Elysées.
Signalons que le départ de Leeds a été marqué par une échappée de trois hommes : les Français Benoît Jarrier et Nicolas Edet, et l'Allemand Jens Voigt, qui est parti seul l'avant au 77e kilomètre. Intéressé par la prise du maillot à pois de meilleur grimpeur, le doyen du peloton (42 ans) est bien monté sur le podium pour recevoir son trophée. Toujours devant les membres de la famille royale…