Image composite de la galaxie spirale M106 ou NGC 4258, distante de 23,5 millions d’années-lumière ; les télescopes spatiaux Spitzer, Herschel, Hubble et Chandra, sensibles respectivement aux longueurs d’onde infrarouge (rouge), visible (jaune et bleu) et x (bleu) furent associés aux données radio (pourpre) collectées avec le VLA afin de cartographier en détail les extensions de gaz – téléchargez l’image en haute résolution ici (9,8 Mb)
La galaxie voisine Messier 106 arbore d’impressionnantes extensions de gaz chauffées à plusieurs millions de degrés, occasionnés par les jets énergétiques de son trou noir supermassif.
Située à environ 23,5 millions d’années-lumière de notre système solaire, en direction de la constellation des Chiens de Chasse (non loin des pattes arrière de la Grande Ourse), Messier 106 — désignée aussi NGC 4258 — est une belle galaxie spirale qui fascine depuis longtemps les astrophysiciens. Son signe particulier, souvent qualifié d’anomalie ? De surprenantes extensions de gaz qui s’apparentent à des bras spiraux supplémentaires connectés au centre de la galaxie et inclinés, par ailleurs, par rapport au plan galactique. Intrigués par le gigantesque feu d’artifice cosmique qui se manifeste au sein de cette galaxie relativement proche de nous, Patrick Ogle et ses collègues du Caltech, Lauranne Lanz et Philip Appleton ont donc mené l’enquête avec l’aide de plusieurs télescopes spatiaux. Le fruit de leurs observations a été publié dans le numéro du 20 juin de la revue The Astrophysical Journal Letters.
Le moteur de ce spectacle grandiose n’est autre que le trou noir supermassif tapi au cœur de cette galaxie d’environ 30 000 années-lumière de diamètre. Les puissants jets qui sont expulsés ont, en effet, un impact considérable sur la matière contenue dans M106, « leur influence est profonde sur le gaz qui sert à la fabrication d’étoiles » a expliqué à ce sujet Patrick Ogle. Les cartographies réalisées dans l’infrarouge par les télescopes spatiaux Spitzer et Herschel (ce dernier a corroboré les observations de son homologue de la NASA) ont montré que les deux tiers de ses réserves ont d’ores et déjà été éjecté vers l’extérieur… Dans les parties internes des deux extensions, les chercheurs ont relevé que la masse des gaz réchauffés jusqu’à prés de 1 000 ° C par les ondes de choc s’élève à quelque 10 millions de fois celle de notre soleil. Ils ont également remarqué qu’il existe un lien entre les régions ardentes (étudiées dans le rayonnement x par le télescope spatial Chandra) chauffées à plusieurs millions de degrés et celles, plus denses, de l’hydrogène moléculaire luisant dans l’infrarouge.
Dans les rayonnements x, radio et infrarouge, on distingue les nuages d’hydrogène moléculaire (rouge) échauffés par les jets du trou noir supermassif au centre de la galaxie M106
Naturellement, cette évasion massive de gaz moléculaire n’est pas sans incidence sur le taux de natalité des étoiles dans cette galaxie voisine. Actuellement, il est estimé à seulement 0,08 masse solaire par an ! À terme, « ce processus pourrait éventuellement transformer la galaxie spirale Messier 106 en galaxie lenticulaire, appauvrie en matière première pour former des étoiles » a commenté le chercheur. Cela ne prendrait plus que 300 millions d’années, ce qui représente une période assez courte sur les échelles de temps cosmiques. M106 est donc en train de vivre une transition irréversible.
Plus féconde, notre galaxie la Voie Lactée ne souffre pas pour l’instant de la voracité de son trou noir supermassif. C’est plutôt le contraire, Sagittarius A *, pâtit de la réputation d’avoir un piètre appétit ces derniers temps. Rien donc qui ne peut menacer à court terme l’intégrité des réserves de gaz et de poussières, ferments des étoiles, dans notre Voie Lactée.
Néanmoins, notre point de vue sur notre petite voisine M106 offre aux chercheurs une riche occasion d’observer ce qu’il se passe en pareille situation, d’étudier les processus qui conduisent un trou noir supermassif à « stériliser » la galaxie qui l’héberge depuis la nuit des temps…