Le petit milieu du commerce équitable est habitué à traverser des soubresauts. Comme le dit le directeur de la fédération Artisans du monde : « On a 40 ans et cela fait au moins vingt ans qu’on est en désaccord, par exemple sur la présence en grande distribution. »
Cette fois, le différend est si profond que les principaux détenteurs de labels se demandent s’ils ne vont pas se passer de Max Havelaar. Car, comme l’écrit le patron de Malongo : « Votre système prend l’eau de toute part. »La lettre signée Jean-Pierre Blanc parle de « risque majeur pour l’organisation », et d’une association « plus brutale qu’une multinationale ».En avril, sept détenteurs de labels ont envoyé une lettre au président et au directeur général de Max Havelaar, leur demandant de suspendre l’application du programme FSP « au moins jusqu’à fin 2016 », une période de transition destinée à permettre « de mener une analyse poussée de la perception du consommateur et de mieux mesurer les risques de dégradation de la crédibilité du label de commerce équitable ». Or, le courrier signé par les directions d’Alter Eco, Artisanat Sel, la fédération Artisans du monde, Ethiquable, Jardins de Gaïa, Léa Nature et Malongo, n’a pas été transmis au conseil d’administration. D’où la lettre de Malongo envoyée le 10 juin directement aux administrateurs en amont de leur réunion de ce mercredi.
Deux administrateurs ont démissionné cette année, et les ONG se retirent peu à peu. Parmi celles qui ont participé à la création de Max Havelaar en 1992, plus aucune ne participe à sa gouvernance, que ce soit Ingénieurs sans frontières (ISF), Peuples solidaires, Agronomes et Vétérinaires sans frontières, ou le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD).
Les agronomes remplacés par des commerciauxLe turn-over a atteint un niveau record au sein de l’association : sur une équipe d’environ 28 salariés, 19 sont partis en un an et demi, selon les témoignages d’administrateurs et de salariés.Surtout, « l’ensemble des spécialistes de l’agronomie a été remplacé par des profils commerciaux », selon un ancien salarié. Qui précise que « les gens avaient été recrutés pour travailler avec les petits producteurs, et on leur demande de travailler avec la grande distribution. Certes, il faut développer les marchés pour les producteurs, mais la crédibilité du système est en jeu. »L’arrivée de l’actuel directeur général, Marc Blanchard, venu de l’enseigne de bricolage Weldom, en 2012, a marqué le début du tournant de l’ONG, selon plusieurs témoins.Une concurrence entre labelsPeu à peu, les détenteurs de labels s’organisent pour changer de crèmerie et testent des labels concurrents ou l’absence de label.« Progressivement, on va retirer le logo Max Havelaar de nos produits », explique Gérald Godreuil, directeur de la fédération Artisans du monde, qui n’a jamais été au conseil d’administration. Il pense que la garantie de sa marque peut suffire à rassurer le consommateur, et constate que « c’est une tendance lourde en Europe : en Allemagne, Gepa a retiré le label, Claro en Suisse ou Oxfam en Belgique font de même. Le marché des labels devient concurrentiel avec EcoCert, Fair for Life, Tu Simbolo. On ne remet pas en cause le label lui-même, qui reste le plus exigeant et performant, mais la stratégie de développement nous dérange. »Même s’il ne veut pas abîmer l’image du commerce équitable, Eric Garnier, d’Alter Eco, se demande tout haut : « Qui apporte de la crédibilité à qui ? Au début, c’était Max Havelaar qui nous en donnait, maintenant on a l’impression que c’est plutôt l’inverse : c’est nous qui faisons le travail de sensibilisation, et c’est eux qui détiennent le système. »"
Source : http://rue89.nouvelobs.com/2014/06/18/commerce-equitable-label-max-havelaar-bord-limplosion-252967