Et pourtant, ce n’était pas son vrai nom, au Marius. En vérité, il s’appelait Gérard Belbéoc’h mais, pour vendre ses horribles peintures aux touristes, il avait choisi « Marius » en l’honneur du célèbre personnage de la trilogie de Pagnol. Et avec l’argent de ses rares ventes, il nourrissait, en plus de sa famille nombreuse, son pointu qui lui coûtai les yeux de la tête en frais d’amarrage et tout le toutim .
Après les présentations d’usage, il me proposa sans plus attendre de faire une partie de pêche le lendemain matin. « Pas trop tôt. … faut pas déconner ! Disons sur le coup de 9h00… Ça te va ? ».
Pensez bien que j’étais fin prêt à l’heure dite et que nous levâmes les amarres de la « Fanny » dès que le moteur le décida. Àh… la musique de ces moteurs diesels … Du Debussy maritime, du Érik Satie des flots bleus… Une merveille !
Oh ! Nous ne naviguâmes pas longtemps, à peine un petit quart d’heure tout au plus.
- Pour pêcher la soupe, c’est pas la peine d’aller jusqu’en Corse, me dit Marius, les girelles, les sarans et les rouquiers, il y en a partout. Je connais un bon coin vers Pointe Rouge où il n’y a qu’à se baisser pour remplir sa bourriche. Tu vas voir… On n’est pas tous des galéjeurs à Marseille.
Arrivé sur son endroit secret, Marius jeta la mouille à l’eau et me tendit une palangrotte. Rien que le mot de « palangrotte » me chauffait le coeur et, de dévider le fil de nylon de la plaquette de liège me faisait presque saliver d’avance.
« Tiens, Flèche, accroche-moi ces moules aux hameçons et tiens toi prêt, je sens que ça va cartonner ce matin. Je le sens… Bonne mère, comme je le sens !
Lorsque le mistral commença à se lever sur les coups de 10h30, ni Marius ni moi d’avions pris un seul poisson. Pas une seule touche.
- Putain de sort, ça n’a pas l’air de piter ce matin. Ça doit être ce satané mistral qui les rend timides ! Et merde. … ça a l’air de se lever sévère… Allez Flèche… remonte la mouille. On va aller se mettre à l’abri au vallon des Auffes.
Ah, mes amis… Mais quelle beauté que ce vallon des Auffes ! Tout petit port niché dans un creux de la ville. « Entouré de petits cabanons pas plus gros qu’un mouchoir de poche « , comme le dit la chanson de Vincent Scotto.
- Bon, flèche… d’accord, on n’a pas pris de quoi faire la soupe mais qu’importe. On va se baigner dans la calanque et ensuite, je t’invite à manger la bouillabaisse chez Fonfon. J’ai vendu hier une peinture représentant le Vieux-Port à un couple de touristes anglais et on va fêter ça.
Chers lecteurs. Si un jour vous voulez déguster une formidable bouillabaisse, ne cherchez pas plus loin. Réservez une table chez Fonfon au vallon des Auffes. C’est peut-être pas le paradis mais en tout cas, ça y ressemble sacrément. L’odeur de safran, dès que vous pénétrez dans ce temple gastronomique vous intoxiquerait presque. J’en avais les papilles gustatives en érection et lorsque la serveuse nous apporta la carte, nous ne lui laissâmes pas le temps de repartir.
- Deux bouillabaisses, Victorine, et une bouteille de rosée bien fraîche…. dis moi, il y a des favouilles aujourd’hui dans la soupe ?
- Mais…. et comment qu’il y a des favouilles ! Et puis des petites rascasses qui ont été péchées ce matin et puis des vives et des pageots qui gigotent encore et si vous le désirez, on peut même y ajouter deux langoustes. Le Bon Dieu n’en a même jamais mangé d’aussi bonnes !
Et c’était vrai que le Bon Dieu n’en avait jamais mangé d’aussi succulentes et cette soupe tellement parfaite qu’elle vous arrachait les larmes des yeux. Son parfum avait un goût d’orgasme et sa couleur « rouille » un ravissement pour les yeux. Il aurait fallu la palette d’un Bonnard pour en peindre la richesse .
En rentrant le soir à la maison, je ne pouvais pas m’ôter de la tête cette fameuse chanson interprétée par le grand Fernandel : « LA BOUILLABAISSE » et le lendemain, j’appelais Cyril au téléphone.
- Cyril … Tu veux que je te dise ? Eh bien mon rêve serait de prendre ma retraite à Marseille, d’acheter un pointu, de l’amarrer au Vieux-Port et d’aller pêcher la soupe vers Pointe Rouge !
- Tu sais quoi, Flèche, me répondit-il aussitôt, et bien pour moi, c’est exactement la même chose ! »
Comme les grands esprits se rencontrent…