Beaucoup d'hypothèses stratégiques ont fleuri depuis le séisme pour la gauche qu'a représenté le résultat des élections Européennes et le virage idéologique de droite assumé par François Hollande et Manuel Valls. Si désormais chacun à gauche (même au sein du PS) s'accorde pour considérer ce gouvernement comme de droite, les approches divergent pour la suite.
La digestion de cette révolution politique qu'est le raccrochage du PS français à la sociale-démocratie libérale européenne risque d'être malheureusement longue. Et plus elle sera longue, plus la seule formation politique organisée (le FN) recueillera des voix en parallèle avec une abstention très forte. Si l'on exclue de l'analyse les politiciens girouettes de tous partis qui craignent pour leur place et regardent le sens du vent pour anticiper leurs prochaines alliances, la réflexion et le combat argumentaire doivent porter sur cette stratégie du strapontin intégrée par le PRG, le PCF et EELV depuis les années 80, considérant que l'enjeu n'était pas pour le leadership de la gauche (reconnu unanimement au PS d'alors) mais l'influence de lieutenant qu'ils pourraient avoir (et les élus qui vont avec). D'où notamment l'opposition parfois virulente entre communistes et écologistes.
Si la révolution de mai dernier est majeure, ce n'est pas tant par le score du Front National ou l'incapacité de la gauche à fructifier, mais bien sur la situation de table rase des anciennes relations qu'entretenaient les formations de gauche entre elles. Le logiciel a été réinitialisé et beaucoup tardent à l'intégrer. Car si le PS reste en voix la première formation de la gauche, plus personne ne le croit capable (dans sa ligne politique actuelle) de conserver le pouvoir aux prochaines élections. Sa domination politique sur la gauche se termine et beaucoup au PCF et EELV (voir même chez les radicaux qui montrent d'étonnants signes d'autonomie sur la réforme territoriale) se retrouvent orphelins d'un mur sur lequel s'appuyer. D'où les atermoiements sur la participation gouvernementale ou le vote du budget. D'où les alliances variables du PCF aux municipales... La stratégie politique et programmatique n'est en effet pas du tout la même pour un parti s'il se positionne en leader et rassembleur ou s'il ne se voit que comme un aiguillon fonctionnant sur un rapport de force pour corriger à la marge la politique du grand frère. C'est l'apprentissage de l'autonomie qui est difficile et risque d'être long, aussi long que le sera l'agonie du PS. L'exemple Syriza tant mis sur la table est exceptionnel (et guère souhaitable pour nous) en ce que la rapidité et la gravité de la crise grecque ont très fortement accéléré la disparition du PASOK. Situation loin d'être comparable à la France.
Alors alliances ou pas alliances? Les socialistes de gauche sont-ils encore fréquentables? Peuvent-ils renverser en interne la ligne libérale du gouvernement? Les chefs de la gauche, rassemblés en colloques, au club des socialistes affligés, etc ont fait preuve de beaucoup de diplomatie ces dernières semaines en s'efforçant de ne pas fermer la porte. Car il est certain qu'aucun parti n'a jamais pris le pouvoir sur sa seule étiquette. Cela doit-il donner espoir sur une règle politique qui interdirait au FN de prendre le pouvoir sans alliances? Rien n'est moins sur tant la situation politique actuelle bouleverse toutes les règles et habitudes inscrites depuis 1958. En cause principalement l'abstention qui, à partir du moment où elle est majoritaire, fausse totalement les données électorales.
Avant le vote budgétaire de cette semaine par la totalité des parlementaires socialistes l'option d'un travail avec cette frange "révoltée" du Parti socialiste aurait pu être envisagée. Mais si l'on considère que le vote budgétaire est le principal marqueur d'accord ou de désaccord politique dans la V° République, il est désormais acté que la "fronde" n'était qu'un hoquet bien vite rentré dans le rang et que les Verts en auront encore pour un moment avant de fendre l'armure et d'assumer leur opposition. Le système d'alliances politiques implique une dette envers ce grand-frère qui a daigné vous laisser quelques places. Et ces élus ne croient visiblement pas à la capacité d'EELV à devenir le parti majoritaire, d'où leur patience avec l'astre mort. Si programmatiquement une alliance du PG avec EELV semble parfaitement évidente, politiquement nous en sommes malheureusement loin. De la même manière que le temps n'est plus à patienter tel qu'en 2013 que nos alliés daignent se décider sur une ligne, le Parti de Gauche doit prendre rapidement des initiatives sur sa ligne autonome. La popularité de Jean-Luc Melenchon doit nous rassurer: dans le marasme ambiant le PG reste clairement vu comme de gauche. Les gens peuvent lui reprocher son radicalisme ou son agressivité, mais personne ne l'attaque sur ses positions politiques. Si l'on peut douter que les idées de gauche soient majoritaires aujourd'hui dans le pays, le Sarkozysme n'en est pas moins fortement discrédité.
Il semble certain que le peuple de gauche ne voit plus de parti défendre ses idées, est en attente. La majorité de la population ne fait probablement pas de distinction entre "bons socialistes" et "méchants socialistes". Tout ce qui touche de près où de loin à ce parti est désormais mort pour le peuple de gauche. De ce fait le résultat du Front de gauche est parfaitement logique: la participation gouvernementale d'EELV a été durement sanctionnée (perte de 10 points entre deux scrutins européens), le score du FDG est mitigé entre sanction des alliances municipales et soutien aux attaques contre le gouvernement...
Désormais les choses sont en place et chacun doit prendre ses responsabilités. Le Front de gauche est en état de mort clinique et peut être euthanasié par l'un ou l'autre de ses membres à la première occasion. Ce qui n'empêche pas de travailler à une "refondation" mais cette optique ne doit plus être le curseur central de l'action. La gauche cherche des propositions pour contrer le gouvernement et la droite. Le Parti de Gauche doit assumer son programme et son étiquette. Beaucoup (y compris chez les journalistes) présentent encore JL Melenchon comme "président du Front de Gauche"... Le PG doit désormais être connu en tant que tel. Les électeurs trancheront et les alliances se créeront mécaniquement sur la ligne majoritaire. La V° République est morte et son système d'alliances d'appareil avec. Le Parti de Gauche se présente comme révolutionnaire. Qu'il le soit vraiment en proposant un projet institutionnel aux français. En assumant fièrement son programme sans arrières-pensées électoralistes, sans complexe d'infériorité. N'est-ce pas ce que semble faire Nouvelle Donne? Nous n'avons pas grand chose a perdre: nous stagnons, dans un contexte où l'abstention est le premier parti de France. La politique est un combat d'idées, de propositions. Les électeurs sont souverains. Revenons à la simplicité et laissons la stratégie du strapontins à l'ancien monde.