Ils ont conjugué leur talent pour annoncer que le dispositif ABCD de l'égalité, expérimenté dans 600 classes réparties dans une dizaine d'académies était coulé au jeu de la bataille navale du renoncement. Benoît Hamon et Najat Vallaud-Belkacem, bras dessus bras dessous, pince mie pince moi, ont annoncé la suppression de ce dispositif innovant lancé à la rentrée 2013 qui permet aux enseignants des classes primaires et maternelles de construire des séquences où la question de l’égalité s’intègre aux objectifs du socle commun des connaissances. Le ministre de l’éducation qui passe pour être la caution de gauche du gouvernement Valls donne un mauvais coup à l’Ecole et à l’Education après avoir détricoté la réforme des rythmes scolaires. L’ABCD est abandonné mais c’est pour la bonne cause dit le ministre. Et le ministre d’annoncer benoîtement qu’il « n'y a aucun changement de stratégie ».
En matière de changement, le gouvernement sait manœuvrer. D’abord, il annonce. L’acte premier est souvent réussi. Seulement, il ne sait pas passer à l’acte deux. Cela le met dans un état second. Il suffit qu’une escouade de benêts rouges annonce une intention d’hostilité, que des taxis s’en prennent à des concurrents et le changement est débarqué. Que des radicaux religieux menacent de se répandre dans la rue pour rejouer la partition homophobe, qu’une poignée d’intégristes d’extrême simplicité accusent le ministère de l’éducation de « formater » l’éducation ou de « brouiller la maturation des enfants », il n’en faut pas plus pour que le ministre concerné regarde piteusement ses godasses et procède au retrait du projet. Pour faire bonne mine, l’annonce est faite que le dispositif qui se substituera aux ABCD de l’égalité sera « ambitieux ». Le changement devient un acte manqué.
Cette façon de reculer mérite un arrêt sur image. Ce renoncement, le dernier peut-être avant la trêve estivale, vient après tant d’autres qu’il permet de mettre à jour les principes actifs du mouvement de la reculade. En partant de l’action négative des mœurs du gouvernement Valls, réplique du précédent, il est possible d’élaborer les critères du principe de la reculade, politique inédite qui réussit à affaiblir la gauche et à consolider l’extrême droite. Il ne s’agit pas de théoriser le mouvement de la reculade mais d’en définir les critères par agrégation des reculades observées depuis la prise de fonction de François Hollande.
Plusieurs points permettent définir les conditions de réussite du mouvement de la reculade. Ils s’enchaînent selon un ordre stable. Chacune de ces étapes ne peut être atteinte sans l’accomplissement de la précédente. Le mouvement de la reculade suit en fait le principe de l’escalier. Il faut le gravir pour faire avancer la reculade. Le paradoxe n’est qu’apparent. Le principe du mouvement de la reculade est en effet l’escalade : le gouvernement recule toujours plus et mieux avec le temps. L’expérience améliore le mouvement de la reculade. L’excellence est sur le point d’être atteinte. Il se pourrait que ce savoir-faire national puisse être exporté auprès de gouvernements maladroits ou timorés. De quoi alimenter les caisses de l’Etat.
Pour réussir le mouvement de la reculade, dix conditions doivent impérativement être réunies :
- Identifier une cause (économique, écologique, fiscale, sociétale, éducative…), reconnaître l’existence d’un besoin et la nécessité impérieuse d’un changement ou d’une évolution ;
- Travailler à un projet, consulter et rendre public un projet abouti ;
- Définir un plan d’action ;
- Affirmer que l’action se poursuivra : utiliser des éléments de langage forts ;
- Insister sur la détermination du gouvernement dès que l’opposition se manifeste ;
- Redire tous les atouts et les résultats attendus du changement à venir : « notre détermination est entière » ; « ce n’est pas une attitude stérile qui fera dévier l’action du gouvernement… » ;
- Remettre le couvert : « c’est un projet formidable dont le pays a besoin » ; construire un argumentaire sans équivoque : « la jeunesse de ce pays… » ;
- Laisser parler l’opposition, valoriser son message ;
- Lâcher brutalement ; annoncer que l’abandon est une force et qu’on fera mieux avec un nouveau projet (possibilité de citer Mao Zedong) ; expliquer que ce qui va remplacer ce qui est abandonné sera très bien ; distiller l’idée que l’opposition sera tellement bluffée qu’elle sera sans voix.
La reculade est reconnue comme un mouvement : annoncer que vous reculez pour mieux sauter (le bon sens populaire ou paysan, en fonction des interlocuteurs ou, mieux, parler de pragmatisme) : le mouvement de la reculade est remis en ordre pour la prochaine cause. Parler d’autre chose (voir l’actualité…) ; ne pas exprimer de regrets ; faire des sourires. Bravo ! De quelle force de conviction ce gouvernement est fait !
Avis aux éditeurs, aux consultants, aux chercheurs et autres acteurs de la communication : pour diffuser le nouveau savoir-faire dans les meilleures conditions, une mallette pédagogique pourrait permettre la diffusion de l’immense innovation que constitue le mouvement de la reculade. Elle comprendrait des vidéos de chercheurs pour la partie théorique et des morceaux de langue de bois pour la dimension concrète, des documents audio d’annonces de reculade ; des extraits de JT par exemple montrant le bonheur des opposants au pied d’un portique Ecotaxe ou un entretien d’un philosophe cathodique expliquant que la théorie du genre existe vraiment, (il l’a rencontrée). Ne pas oublier les documents téléchargeables. Ce produit pédagogique devrait permettre de consolider un socle commun des principes généraux de la reculade.