Traité transatlantique de libre échange : vers où va t-on ?

Publié le 02 juillet 2014 par Vindex @BloggActualite
-Ce projet de traité est pour le moment atteint d'un déficit démocratique troublant-
Il fut, il y a quelques semaines, l'une des thématiques au centre du débat des élections européennes, et constitue un enjeu diplomatique, économique et politique considérable à l'échelle internationale. 
Le Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement (plus communément appelé traité de libre échange transatlantique) a pour objet de créer, à partir de 2015 (dans moins de 6 mois !!) une zone de libre échange comprenant les pays de l'Union Européenne, ainsi que les Etats-Unis d'Amérique et quelques pays autres (Norvège, Islande, Suisse, Canada, Mexique). 
A l'instar du modèle économique s'appliquant à l'Union Européenne, ce traité permettrait par conséquent une libre circulation des marchandises entre les pays membres en dehors de toute barrière douanière, qu'elle soit tarifaire (droits de douanes) ou normative (réglementation à respecter). 
Il convient d'aborder les enjeux de cette nouvelle forme de coopération économique tout en évoquant les inconvénients de cet élargissement sans fin du libre échange et en souhaitant à tout le moins une consultation démocratique suffisante. 

Enjeux


De manière globale, ce traité est annoncé comme un levier de croissance pour les Etats-Unis et l'Union Européenne (chiffres évoqués dans l'article dont le lien est plus haut). Ce postulat de départ se base sur l'idée selon laquelle la facilitation des échanges est vectrice de croissance économique. Mais si la croissance économique (qui n'est d'ailleurs pas une fin en soit tant le PIB est insuffisamment significatif au regard de l'épanouissement des populations) est une perspective à avoir à l'esprit, elle ne doit pour autant pas faire trop d'ombre aux implications néfastes de cette nouvelle étape de libre-échange.
Revenons en premier lieu sur le libre échange tel qu'actuellement en vigueur en Europe : en application des traités européens, 4 grands principes sont en vigueur : libre circulation des marchandises, des services, des personnes et des capitaux. 
Ces grandes règles impliquent 2 grandes conditions : -l'abolition des barrières douanières (taxes d'entrée sur le territoire, règles d'entrée sur le territoire assouplies) ;-l'acceptation d'une équivalence des normes entre pays membres de l'Union Européenne. 
La première règle signifie que les produits, services et capitaux provenant de l'extérieur ne peuvent faire l'objet d'une sur-taxation en raison de leur provenance ni d'aucune barrière "non-tarifaire" (réglementaire en somme) lors de leur arrivée sur le territoire d'un autre Etat membre, tandis que la seconde implique (sauf exception mais la jurisprudence européenne est restrictive en l'occurrence) qu'un produit ou service commercialisé dans un Etat membre peut l'être dans tous les Etats membres (et il en est d'ailleurs ainsi des citoyens ressortissants d'un Etat membre). Il s'agit du principe de reconnaissance mutuelle établi depuis l'arrêt surnommé "Cassis de Dijon" rendu par la Cour de Justice des Communautés Européennes le 20 février 1979.
En dehors de toute considération normative d'un Etat membre, un produit qui peut être commercialisé dans un pays peut l'être dans les mêmes conditions dans tout l'espace de libre-échange, sauf en cas d'harmonisation au niveau européen (ce qui a engendré l'édiction d'un tas de normes européennes) ou règles bénéficiant d'une exception dûment justifiée.
Les normes, règlements et contrôles édictés par un pays quelconque sont donc estimés équivalents à ceux d'autres pays alors qu'ils ne sont à l'évidence pas identiques. Ce relativisme économique est destiné à forcer le libre-échange au-delà même des taxes douanières, faisant fi des réglementations qui pourtant, si elles peuvent parfois apparaître fastidieuses, trouvent généralement leur justification dans une nécessaire sécurité (alimentaire par exemple).
Pour résumer donc, les principes fondateurs de ce traité de libre échange consistent, me semble t-il, dans l'application de ces grands principes à une échelle non plus européenne mais mondiale. 

Critique


Entendons nous bien : mon propos n'est pas de faire une critique du libéralisme qui, à tout le moins à l'échelle de notre pays, me semble nécessaire pour un rétablissement de la situation économique. Il me semble en revanche indispensable, par cette information, de livrer une critique sur la perte de souveraineté et de manœuvre sur le plan économique que s'infligent les états membres de ces ententes commerciales massives. 
S'exposer toujours plus à la concurrence internationale, c'est exposer notre économie à des difficultés d'adaptation et de compétitivité multiples et variées qui entraînent nécessairement une crise économique. L'Union Européenne gagnerait en efficacité en s'impliquant dans des projets de compétitivité plutôt qu'une simple zone de libre-échange.
S'exposer à des produits ne respectant ni les normes ni les contrôles en vigueur dans notre pays ou à la rigueur notre zone économique européenne, c'est limiter encore l'impact de notre souveraineté économique et juridique et perdre le contrôle sur une bonne partie des produits et services qui sont proposés sur notre sol (porc à la ractopamine pour ne citer que cet exemple).
Cette équivalence artificielle des normes appelle un besoin croissant d'harmonisation, ce qui implique de tenir compte des desiderata de chaque Etat membre, ralentissant le processus de décision et constituant souvent une réglementation a minima résultat d'un "plus petit dénominateur commun" et issu d'un processus législatif de moins en moins démocratique, de plus en plus lointain de la légitimité populaire. 
S'il apparaît nécessaire d'alléger les normes et les réglementations, je n'en disconviens pas, il appartient surtout que nous soyons maîtres de cet allègement, de ces modifications de sorte à convenir à l'idée que nos représentants se font de l'intérêt général, en dehors de toute considérations de lobbies (les grandes entreprises qui ne se soucient que de leur intérêt privé), et ce bien que des experts doivent certes participer au débat.
S'exposer aux incertitudes jurisprudentielles d'une nouvelle cour juridictionnelle chargée de l'application du traité, c'est déléguer encore davantage le pouvoir juridico-politique à des entités indépendamment de notre volonté, de notre intérêt. Pour la bonne et simple raison que, tout comme la Cour de Justice des Communautés Européennes, cette future cour privilégiera l'action du traité (principe actuellement en vigueur "d'effet utile des traités"). 
De manière concrète, l'application d'un tel traité, tout comme l'actuelle zone de libre-échange européenne, est un net désavantage pour notre économie de manière globale (indépendamment de la réussite dont certaines entreprises peuvent jouir toutefois) : non seulement les produits étrangers conçus dans des conditions parfois beaucoup plus avantageuses ne sont plus taxés à l'importation, mais en plus ils ne se voient pas appliqués les normes du pays d'importation parfois plus contraignantes alors que c'est le cas du producteur national : c'est clairement une double punition. Il reste tellement à harmoniser (si tant est que cela soit souhaitable d'ailleurs) en Europe, et pourtant nos dirigeants cherchent à aller encore plus rapidement à l'échelon supérieur, ce qui est une aberration. 
Il faut aussi dénoncer les doubles discours qui consistent à chérir le fonctionnement actuel de l'Europe tout en dénonçant cet éventuel traité : étant donné que la philosophie même de l'Union Européenne et de ce traité est la même, dénoncer l'un implique de dénoncer l'autre. Il ne faut pas oublier qu'outre ces principes de libre échange applicables de par ces traités, la cour de justice "privée" tant dénoncée existe déjà sous une certaine forme en Europe en la présence de la Cour de Justice de l'Union Européenne (précédemment "des Communautés Européennes"). Cette dénonciation, davantage motivée par une méfiance envers les Etats-Unis, révèle en tout cas une incohérence dans la vision de voir la politique telle qu'elle est menée et telle qu'elle le serait avec ce nouveau traité.
Si les détails de ce traité en matière de négociations sur certaines réglementations ne sont pas encore dévoilés et que (trop) peu d'informations circulent à ce sujet,  voilà en sommes ce vers quoi ce traité nous amènera et ce à quoi il faut à mon avis renoncer pour privilégier un libéralisme national que nous maîtrisons et qui serait plus en phase avec les réels besoins exprimés par notre contexte économique. 
Il convient seulement d'espérer qu'un débat se tiendra sur cette problématique économique essentielle : que l'ensemble des parlements nationaux, voire même les citoyens par référendum, soient consultés avant que ne soit (ou non) entériné un nouvel élargissement de la logique de libre échange. 
Rem-100.