Poussin, Martyre de St Erasme, 1628-1629
C'est Ingannmic qui m'a proposé cette LC autour d'Octave Mirbeau et je l'en remercie. Ce roman aurait pu rester encore quelques années dans ma PAL tellement sa couverture me déplaît. Quant au contenu, il sent la fin du XIXe siècle, le symbolisme et la décadence à plein nez...
Il y a des relents de Sade et de Huysmans dans ce livre à la construction gigogne. Tout commence par une conversation d'intellectuels. Ceux-ci s'accordent à dire que toute société est fondée sur le crime. Mais le meurtre a-t-il un sexe ? Peut-on imaginer la femme (tendre et douce) comme criminelle ? Un homme intervient pour conter sa propre histoire.
Fils de commerçant, il n'a vécu que de crimes et d'expédients, escroc et maître chanteur à ses heures. Un ami ministre lui offre l'aventure et la richesse : il sera embryologiste à Ceylan. Pendant le voyage, il rencontre Clara, une jeune anglaise qu'il imagine pure. Mais c'est en réalité une femme sadique et hystérique qui l'introduit au jardin des supplices. Après la visite du bagne où l'on voit les hommes devenus des bêtes, on suit notre couple dans un jardin flottant. Les fleurs délétères y sont multiples et les tortures raffinées atroces.
Le personnage de Clara, qui se distrait de son ennui par l'observation de la souffrance et de la mort, est effrayante d'inhumanité. Elle a comme un orgasme à la vision de la torture et de la mort. Certes, ce rapport entre amour, érotisme et mort n'est pas nouveau. Mais la violence et le sadisme des supplices chinois est insupportable. Or, Clara y lit un plaisir esthétique. On est dans Barbey d'Aurévilly avec ses Diaboliques, dans son Bonheur est dans le crime... Amoralité, crime et jouissance de ce crime sans culpabilité sont les maîtres mots de ces récits.
Et malgré les différences de ton et l'artifice des récits emboîtés, ce livre forme un ensemble plutôt convaincant.
Dans ce roman, Octave Mirbeau montre la corruption générale des sociétés : les mondes exotiques se vantent de la subtilité de leurs supplices, les Européens tuent des indigènes comme ils feraient des safaris. Et la décadence touche tous les niveaux de la société : le commerçant, le député, le ministre, la ville comme la campagne. La IIIe République y apparaît comme mesquine et ridicule, se vendant au plus offrant et au plus criminel. Cela interroge bien entendu sur les valeurs morales de cette société, sur la notion de progrès et de décadence.
Un roman malsain et subversif, qui met mal à l'aise, dont les scènes descriptives font frissonner d'horreur, à ne pas mettre en des mains non averties.