A la veille de la trêve estivale, Jean-Daniel Lévy, Directeur du Département Politique-Opinion d’Harris Interactive commente la parution du dernier baromètre Harris Interactive / Délits d’Opinion. Popularité de Manuel Valls, situation de l’opposition, affaire Alstom : le sondeur passe au crible l’opinion publique.
1. Délits d’Opinion : François Hollande parvient-il à enrayer la baisse continue de sa popularité et peut-on parler d’un effet positif du remaniement ?
Jean-Daniel Lévy : Il nous est difficile de dire cela. En mars 2014, le Président de la République François Hollande recueillait la confiance de précisément un quart des Français. Aujourd’hui, avec 23%, ce score est inférieur. Même si on ne relève que peu d’évolutions, remarquons qu’elles sont, depuis l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, tendanciellement à la baisse. Et la petite remontée de ce mois ne semble pas la conséquence immédiate du remaniement. Parmi les personnes accordant leur confiance à François, Hollande observons quelques références spontanées à Manuel Valls (« doté d’un meilleur Premier ministre (Valls) », « il a changé de Premier ministre, il y a moins de couacs, il prend les bonnes décisions »), mais celles-ci restent très minoritaires.
Nous pouvons, en outre, observer que les 77% de sympathisants socialistes qui apportaient en mars leur « soutien » au Président ne sont plus aujourd’hui que 70%. Donc l’opération de « reconquête de l’opinion » ne semble pas pouvoir uniquement se baser sur le remaniement. Si l’on observe, chez ses détracteurs, peu de références aux « couacs », remarquons la prégnance du terme « promesse » (qui n’existait pas à ce niveau il y a de cela quelques mois), qui se double d’un caractère indécis qui lui est prêté (« Où va-t-il, le sait-il lui-même ? Sa majorité est divisée, sa politique pas claire… toujours des promesses », « promesses non respectées, politique incohérente », « tergiverse, incapable de prendre une décision, ne tient pas ses promesses »).
2. Délits d’Opinion : Valls perd 5 points de popularité à 43% de confiance. Est-ce le signe d’une fragilisation ou d’une normalisation ? Et où se situent les principales défections ?
Jean-Daniel Lévy : Les deux sont inévitablement liées. Rappelons, nous l’avons déjà signalé, que Manuel Valls a entamé sa mission avec une confiance moindre que celle qui était accordée à Jean-Marc Ayrault en mai 2012. Les « défections » sont à remarquer dans toutes les catégories de population hormis chez les sympathisants socialistes (85% d’entre eux lui font confiance, soit 6 points de plus que le mois dernier). Pourquoi 56% des Français ne lui font pas confiance ? Déjà parce qu’il s’agit du Premier ministre de François Hollande (un interviewé répondant cinglement « Je n’ai pas confiance parce qu’il a été choisi par François Hollande ») et parce que son positionnement politique ne convient pas à ces interviewés. Remarquons que dans notre enquête le nombre d’interviewés faisant référence à un positionnement à Gauche (« Il est trop dans la ligne dure de la Gauche ») et celui parlant d’une politique de Droite (« A Droite toute ! Tout pour la finance, l’entreprise… ») est strictement identique.
3. Délits d’Opinion : Arnaud Montebourg gagne 3 points dans le baromètre. Son implication dans le dossier Alstom a t-il pu jouer dans ce regain de popularité ?
Jean-Daniel Lévy : Notons que la progression d’Arnaud Montebourg est surtout le fait de franges de population assez différentes : de Français issus des catégories supérieures (31%, +7 points) d’une part, de sympathisants du Front de Gauche (52%, + 20 points) de l’autre.
En France, on observe une attente d’intervention de la part de l’Etat. Si les Français sont inquiets de l’état de nos finances publiques, du niveau d’endettement, ils ne considèrent pas pour autant que les responsables politiques ne doivent pas s’immiscer dans les secteurs qu’ils considèrent comme stratégiques. Et cette conviction est renforcée lorsque l’emploi est en jeu et, a fortiori, l’emploi industriel d’ouvriers. Si l’on ajoute à cela qu’Alstom apparait comme une entreprise leader sur le marché et susceptible d’être le reflet d’une forme de savoir faire Français, la simple interrogation sur son devenir dépassait les enjeux de préoccupation habituels des Français. Toutes les enquêtes montrent une attente de contrôle de l’Etat en la matière et l’annonce de la présence au capital de la France à hauteur de 20% rassure en ce sens. La force, ici, d’Arnaud Montebourg a été de se placer au centre du débat et d’inscrire sa position dans un continuum depuis Florange et la « une » du Parisien-Magazine. L’attachement à la production française lui est attribué.
4. Délits d’Opinion : Nicolas Sarkozy perd 7 points dans ce baromètre. S’il demeure la personnalité préférée des sympathisants UMP, la base des sympathisants de droite lui préfère Alain Juppé. Nicolas Sarkozy est-il en train de s’abimer ?
Jean-Daniel Lévy : Rappelons que l’enquête a été menée avant la mise en examen de Nicolas Sarkozy. Oui, l’image de Nicolas Sarkozy s’altère. Nous avons pu voir dans le cadre de nombreuses études que si l’ancien Président apparait toujours comme le candidat privilégié des sympathisants de Droite, il n’était plus le candidat « naturel » . Alain Juppé, en effet, voit sa cote de confiance ou sa légitimité à être – déjà – président de l’UMP croitre. Observons qu’en trois mois la confiance en Nicolas Sarkozy est passée, parmi les sympathisants de Droite, de 80 à 67% tandis que celle exprimée à l’égard d’Alain Juppé passait de 82 à 76%.
Conservons cependant à l’esprit que les évolutions judiciaires peuvent être assez rapides et que l’appréciation par les Français peut également être sujet à évolutions (d’un Nicolas Sarkozy confronté à des difficultés judiciaires à un responsable politique traqué par ses adversaires usant de tous les moyens pour le disqualifier), surtout qu’en France la probité ne constitue pas un élément déterminant du comportement électoral des Français.
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Enquête réalisée en ligne du 24 au 26 juin 2014. Echantillon de 1000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, à partir de l’access panel Harris Interactive. Méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l’interviewé(e).