Sur le continent africain, la démocratie de type occidental telle qu’elle se pratique aujourd’hui, est une construction relativement récente.
En caricaturant un peu, on pourrait la faire remonter au discours de La Baule du Président François Mitterand qui en avait fait une condition sine qua non pour que la coopération entre la France et les pays du Sud se poursuive.
Il est indéniable que le nombre d’États africains ayant effectué cette "mue démocratique" est en constante augmentation. Néanmoins, le long chemin vers l’État de droit et la bonne gouvernance est parsemé d’embuches et n’exclut pas des retours aux pratiques anciennes.
Il semble y avoir plusieurs facteurs susceptibles d’expliquer ce phénomène.
Une raison liée à la naissance de ces États, tout d’abord: les frontières tirées au cordeau par les puissances coloniales ont rarement créé des États homogènes sur le plan de leur population; si bien que des irrédentismes, souvent violents, ont nui au sentiment d’appartenance commune à une Nation. Or pour qu’une véritable démocratie se développe, les citoyens doivent de préférence estimer qu’ils ont un destin commun.
En second lieu, le contexte historique des années 1960 a grandement influé sur le cours de la gouvernance de l’Afrique; qu’il s’agisse de l’Afrique francophone, où des constitutions proches de celles de la Ve République ont été adoptées, ou de l’Afrique anglophone, qui a souvent emprunté le système de Westminster. De surcroit, l’affrontement Est/Ouest, ne fut pas étranger à l’évolution erratique de la gouvernance des pays africains qui ne tarda pas à se manifester par la multiplication de régimes militaires plus ou moins éclairés.
Aujourd’hui, le standard international, qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, est celui de la démocratie de type occidental, rythmé par des élections régulières "libres et honnêtes", bien souvent "supervisées" par des observateurs étrangers.
Mais force est de constater que si l’on souhaite éviter les tensions à chaque élection nationale importante, il conviendrait de prendre un peu de hauteur et d’envisager des pistes nouvelles. J’en évoquerai ici trois. La première est d’ordre technique et facile à mettre en œuvre: il s’agit de définir un statut de l’ancien chef d’État et de le respecter à la lettre. La seconde serait, comme cela se fait déjà dans certains États africains, de tenir compte des traditions locales dans une forme à déterminer; car ne l’oublions pas, rien ne se fera en Afrique sur le plan sociétal, sans la consultation des autorités traditionnelles, qu’elles soient religieuses ou laïques. Enfin, il faut absolument encourager l’intégration régionale. C’est ce qui est en train de se faire en Afrique de l’Ouest avec les avancées notables tant dans la CEDEAO que dans l’UEMOA. Certes il est aujourd’hui essentiellement question de marché unique, mais les avancées récentes sont de bon augure: projet de création de Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO) qui regrouperait les pays de la CEDEAO non membres de l’UEMOA (Gambie, Ghana, Guinée, Nigéria, Sierra Leone); puis à terme, fusion envisagée des deux zones monétaires UEMOA/BCEAO et ZMAO. Ces progrès dans l’intégration régionale auront des conséquences économiques qui viendront pallier les faiblesses qui découlent de la balkanisation du continent.
Puis viendra (peut-être) le temps de la liberté de circulation et d’établissement pour les populations de ces États et… in fine, des institutions politiques communes, ce qui diminuerait la portée des élections nationales et réduirait ipso facto les risques de tension lors de ces rendez-vous électoraux. Car, s’ils sont bien entendu nécessaires, ils contribuent malheureusement à diviser des Nations plutôt qu’à les unir.
L’Utopie si bien décrite par Thomas More dans son ouvrage de 1516 exposait déjà sa conception de l’État idéal, qui il est vrai, tarde à se concrétiser. Pourquoi ne pourrions-nous pas, estimer que cette voie vaut la peine d’être empruntée, même si la route sera longue et tortueuse?
Marc Aicardi de Saint-Paul
Consul du Burkina Faso à Nice