La société de la fatigue
Publié le 30 juin 2014 par Polinacide
@polinacide
"Fatigué d’être soi". Voilà une formule qui titillerait dans sa tombe Jean-Paul Sartre en personne, car il n’est d’enfer plus destructeur pour l’Homme que celui que chacun engendre en lui-même. Dépression, burn-out, syndrome borderline ou encore anxiété chronique : autant de "surchauffes" neuronales manifestes d’une brûlure de l’âme, en réaction à ce "moi" idéal devenu trop lourd à porter. Chacun ses tics, chacun ses tocs : jusqu’à ce que le fardeau vire à l’infarctus. C’est le triste constat que porte le philosophe Byung-Chul Han sur notre "société de la fatigue", dont l’excès de positivité a fini par user le sujet "plus vite qu’une roue de hamster qui roule inévitablement sur elle-même". Yes we can, disait-on pourtant : comme si l’impératif de perfection n’a fait qu’enfanter des ratés chroniques.
Devenu son propre loup, Narcisse ne peut même plus se voir en peinture, pris en otage entre l’exigence de performance et son égocentrisme asphyxiant. "Victime et bourreau, seigneur et valet" : auto-tyran d’un supplice qu’il a lui-même créé et dont il ne peut plus s’extraire, comme voué à jouer toutes ses cartes quitte à finir consumé. Un comble à l’époque où le bien-être affiché s’érige en nouveau Graal, béquille d’une compétitivité toujours à la hausse. "Trop vivants pour mourir et trop morts pour pouvoir vivre", n’est-ce pas un bien piètre horizon pour un jeu qui n’en vaut pas la chandelle ? Quitte à se faire force autant qu’elle soit salutaire, car une guerre menée contre soi est toujours perdue d’avance.