Quelques réflexions tirées d’un court séjour à Berlin.
En 1945, Berlin, comme l’Allemagne, fut divisé en quatre zones d’occupation, américaine, britannique, française et soviétique. La guerre froide devait figer rapidement cette situation : la zone soviétique devenait la capitale de l’Etat est-allemand de 17 millions d’habitants, tandis que les trois zones de l’Ouest, ceintes de barbelés, et, à partir de 1961 d’un mur infranchissable, apparaissaient comme un îlot de prospérité occidentale. La fonction de capitale de la République fédérale était dévolue à la petite et tranquille cité rhénane de Bonn, près de Cologne.
En 1989 et 1990, l’effondrement de la République communiste conduisait immédiatement à la réunification des deux Berlin ; le gouvernement fédéral n’hésita pas à transférer le Pouvoir et ses outils à Berlin.
Dès lors se posait pour l’Allemagne fédérale et pour le Sénat de Berlin (autorité locale) un défi d’urbanisme : comment construire une capitale en partant de deux villes qui se tournaient le dos depuis 45 ans, marquées par les destructions de la guerre et le poids moral des crimes de guerre ?
Première réponse : Berlin ne sera pas seulement une capitale politique, comme Washington, mais, à l’instar de Londres ou Paris, une métropole économique, culturelle et politique : les Affaires, qui ont toujours été bienvenues à Berlin Ouest, sont invitées à venir s’ancrer à l’Est, par exemple autour de la Potsdamerplatz, qui fait penser à nôtre quartier de La Défense ou à l’Est londonien.
Second principe : pour le centre-ville (Mitte) on recrée l’atmosphère du Berlin impérial, en mêlant les commerces de qualité et les activités politiques et culturelles. L’opération des Galeries Lafayette, menée par Jean Nouvel, est à cet égard une vraie réussite, comme le sont les nouvelles Ambassades, reconstruites sur leur emplacement historique. La France, avec Christian de Portzamparc, a fait avec talent ce qu’elle devait faire sur la Pariserplatz. Mais il y a d’autres réussites : la Grande-Bretagne, l’Egypte, la Suisse, l’Autriche, les Etats nordiques intelligemment groupés.
Pour la Chancellerie et les Ministères, le Gouvernement fédéral a dû résoudre un problème politique : comment se doter des moyens de travailler sans tomber dans le monumental, qui serait écrasant pour les partenaires de l’Allemagne, et donc contre-productif ?
Réponse : depuis le Bundestag, restructuré par Norman Foster, jusqu’à la nouvelle Gare centrale s’enchaine une suite de bâtiments aux lignes souples, manifestement voués à la bonne gestion environnementale.
Enfin, l’Allemagne fédérale a compris que ce renouveau de sa Capitale passait immanquablement par une reconnaissance claire des responsabilités du Pays dans l’Holocauste et les autres crimes des années 1933-1945 ; le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe, dû à l’architecte américain Peter Eisenman, est établi au cœur même du dispositif du Pouvoir, à quelques centaines de mètres du Parlement et de la Chancellerie.
A quelques rues de là, sur l’emplacement du siège de la Gestapo, un centre historique expose, sous le titre "Topographie de la terreur", les raisons et le déroulement des crimes, sans cependant souligner le rôle de services autres que la SS, par exemple l’Armée.
Et, juste en face, on trouve les bâtiments austères du ministère fédéral des Finances, miraculeusement épargnés par les bombardements, et qui fut jadis le siège du ministère de l’Air d’Hermann Göring …. (Reichsluftfahrtministerium), le plus grand bâtiment administratif de Berlin.