J‘adore la nuit. Dans le temps, à Venise, quand nous avions notre propre calendrier et que nous nous tenions à l’écart du monde, nous commencions à vivre la nuit. A quoi nous servait le soleil puisque notre commerce, nos secrets et notre diplomatie dépendaient de l’obscurité? Dans le noir on est comme déguisé, or c’est la ville des déguisements.«L’Empereur» et «La Dame de Pique», ainsi se nomment les deux premières parties de ce second roman de Jeanette Winterson, l’une des grandes romancières anglaises du moment. D’un côté,Napoléon, son Empire, ses folies guerrières, sa passion du commandement, de l’autre, Venise et ses amours nocturnes, androgynes, cachés, masqués, interdits. La passion est celle que vivent deux êtres étranges dans cette Europe dévastée par les guerres napoléoniennes, entre les incendies, la neige et les milliers de morts de la Retraite de Russie et le jeu, les masques et les folies des nuits vénitiennes de cette époque. Ce livre n’est cependant pas un roman historique, mais davantage une histoire fabuleuse d’amour fou, infiniment réaliste et mystérieusement romantique à la fois. Henri, le tout jeune cuisinier attitré de l’Empereur, subjugué par lui avant de le haïr au milieu des incendies et de la peste qui dévastent tout Moscou , tombe éperdument amoureux de Villanelle, la fille d’un batelier vénitien, née avec des pieds palmés, elle-même follement éprise de la mystérieuse Dame de Pique qui lui a volé son cœur. Elle n’aura de cesse de la poursuivre avec Henri, son amoureux transi, pour récupérer ce cœur injustement volé. Le résumé trahit la complexité mais aussi la beauté de l’histoire, pleine de péripéties et de rêve où s’entremêlent passion, jeu, folie, travestissement, androgynie, mythe, références historiques et littéraires puisque selon l’éditeur ce récit est un hommage à ceux d’Oscar Wilde et de Virginia Woolf. Quoi qu’il en soit , c’est un roman que j’aime beaucoup et qui m’incite à poursuivre ma découverte de Jeanette Winterson,peut-être avec son autobiographie: Pourquoi être heureux quand on peut être normal? La passion, Jeanette Winterson (éditions de l’Olivier, 2013, 214 p.) Traduit de l’anglais par Isabelle D. Philippe, ( 1987) Ici également
Nouvelle participation au mois anglais de Lou, Cryssilda et Titine.