Que s'est-il passé ?
Le 18 juin 2014, au Conseil des ministres, "Le ministre de l’intérieur, la ministre de la décentralisation et de la fonction publique et le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale ont présenté un projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, ainsi qu’un projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République".
L'un de ces deux projets de loi est politiquement très sensible. Il s'agit du "Projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral". Ce texte organise la réduction du nombre de régions de 22 à 14 et reporte la date de l'élection des conseillers régionaux à décembre 2015. Les conditions de ce découpage régional sont controversées jusqu'au sein de la majorité présidentielle.
Ce texte a été déposé au Sénat pour être examiné en "procédure accélérée". Ce qui signifie qu'une seule lecture est organisée et que chaque assemblée ne débattra complètement du texte qu'une seule fois. Au Sénat, une "commission spéciale" a été créée. M Michel Delebarre a été nommé rapporteur. Les travaux de cette commission n'ont pas abouti à l'adoption d'un texte comme le précise le site du Sénat :
"Réunie le jeudi 26 juin 2014, la commission spéciale n'a pas adopté de texte sur le projet de loi n° 635 (2013-2014) relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte du projet de loi déposé sur le Bureau du Sénat."
A la suite de cet échec des discussions en Commission, c'est le projet de loi dans sa version présentée par le Gouvernement qui devait être débattu en séance publique.
Le Sénat refuse de débattre du texte
Pour qu'un projet de loi puisse être adopté par une assemblée, encore faut-il qu'il soit débattu et donc inscrit à l'ordre du jour d'une séance publique. L'inscription à l'ordre du jour est une compétence de la "Conférence des Présidents". Or, le 26 juin 2014, la Conférence des Présidents du Sénat a refusé d'inscrire le projet de loi à l'ordre du jour et a publié le communiqué suivant sur le site du Sénat
"L'examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, initialement prévu à partir du mardi 1er juillet, a été retiré de l'ordre du jour du Sénat.
Réunie le mardi 26 juin, la Conférence des Présidents a en effet constaté la méconnaissance des règles fixées par la loi organique n° 2009-403 pour la présentation de ce projet de loi. Le Premier ministre a saisi le Conseil constitutionnel qui dispose d'un délai de huit jours pour se prononcer.
En début d'après-midi, la commission spéciale chargée d'examiner ce projet de loi n'avait pas adopté le texte proposé par son rapporteur, Michel Delebarre."
La Conférence des Présidents du Sénat a donc "constaté la méconnaissance des règles fixées par la loi organique n°2009-403 pour la présentation de ce projet de loi". Quelles sont ces "règles fixées par la loi organique" qui pourraient ici avoir été méconnues ? Selon la presse, la Conférence des Présidents du Sénat aurait reproché à l'étude d'impact qui accompagne le projet d'être insuffisante.
Le Premier ministre, Manuel Valls a alors saisi le Conseil constitutionnel en application des dispositions de l'article 39 alinéa 4 de la Constitution, pour lui demander de vérifier la régularité de l'étude d'impact.
Rappel : l'article 39 alinéa 4 de la Constitution
Pour bien comprendre ce qui vient se produire au Sénat, il importe tout d'abord de relire les dispositions de l'article 39 alinéa 4 de la Constitution, lequel précise :
"Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l'assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours."
Cet article permet :
- d'une part, à la Conférence des Présidents du Sénat ou de l'Assemblée nationale de refuser de mettre un projet de loi à l'ordre du jour si elle "constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues".
- d'autre part, en cas de désaccord avec ce refus d'inscription, au Président de l'assemblée concernée ou au Premier ministre de saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours sur les motifs de la décision de la Conférence des Présidents.
Il convient donc de se reporter à la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 pour prendre connaissance des motifs dont la Conférence des Présidents du Sénat peut opposer au projet de loi sur la délimitation des régions de manière à refuser son inscription à l'ordre du jour.
La loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution
L'article 8 de cette loi organique dispose que les projets de lois doivent être accompagnés d'une "étude d'impact"
"Les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact. Les documents rendant compte de cette étude d'impact sont joints aux projets de loi dès leur transmission au Conseil d'Etat. Ils sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent.
Ces documents définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation.
Ils exposent avec précision :
― l'articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d'élaboration, et son impact sur l'ordre juridique interne ;
― l'état d'application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par le projet de loi ;
― les modalités d'application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées ;
― les conditions d'application des dispositions envisagées dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, en justifiant, le cas échéant, les adaptations proposées et l'absence d'application des dispositions à certaines de ces collectivités ;
― l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ;
― l'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l'emploi public ;
― les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d'Etat ;
-s'il y a lieu, les suites données par le Gouvernement à l'avis du Conseil économique, social et environnemental ;
― la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires."
Par voie de conséquence, si l'étude d'impact d'un projet de loi ne respecte pas ces conditions de régularité, la Conférence des Présidents est en droit de retirer/refuser d'inscrire un projet de loi à l'ordre du jour, comme le précise l'article 9 de cette même loi organique.
"La Conférence des présidents de l'assemblée sur le bureau de laquelle le projet de loi a été déposé dispose d'un délai de dix jours suivant le dépôt pour constater que les règles fixées par le présent chapitre sont méconnues. Lorsque le Parlement n'est pas en session, ce délai est suspendu jusqu'au dixième jour qui précède le début de la session suivante."
Conformément aux dispositions précitées de l'article 39 de la Constitution, le Premier ministre a donc saisi le Conseil constitutionnel qui dispose d'un délai de 8 jours pour se prononcer. La lettre de saisine du Conseil constitutionnel peut être lue ici.
Pour l'heure, conformément à l'article 47-II de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013, par dérogation à l'article L. 336, le mandat des conseillers régionaux et celui des membres de l'Assemblée de Corse élus en mars 2010 expirent en mars 2015. Le projet de loi qui vient d'être retiré de l'ordre du jour du Sénat prévoit de reporter ces élections de mars à décembre 2015.
Arnaud Gossement / associé
SELARL Gossement avocats