Du fait que l'autoroute D1 est en pleine réfection (et Mère Nature sait qu'elle en a grandement besoin), l'on décida, ma chérie d'amour et moi, de nous en rendre en Moravie/Silésie par le Nord, par "Hradec Králové", "Šumperk", jusqu'à "Krnov". Comme le reste de la République tchèque, c'est tout plein de choses à voir et à visiter tout du long, et comme justement le touriste ne s'en rend que rarement en ces contrées de par leur éloignement de tout axe principal et de leur relative hauteur (entre 400-900 m au-dessus du niveau de l'amer... bière...), ben c'était l'occasion d'y jeter un oeil (avant d'y jeter l'autre aussi). Sur ma longue liste des "à voir à bsolument", j'en avais tellement velu que l'on ne put tout faire, mais cette petite église en bois St Michel, je l'avais mise en priorité "importante" et je ne le regrettai point du tout du tout. Parenthèse. C'est mal foutu quand même parfois la langue française. Tiens, si je vous dis "l'église en bois St Michel", on dirait qu'il s'agit du "bois St Michel", comme du "bois de Boulogne", genre un qualificatif du bois. Et si je vous dis "l'église St Michel en bois", on dirait que c'est St Michel qui est en bois, et pas l'église. Si la langue française était bien foutue, ou tout du moins mieux foutue qu'elle ne l'est, je pourrais dire "l'en bois église St Michel", et paf, toute ambiguïté serait comme par miracle écartée. Certes, il existe encore l'option pour les tatillons qui consiste à écrire "l'église en bois consacrée à (l'archange) St Michel", mais mes publies sont déjà suffisamment longues comme ça... Enfin bon, juste pour dire qu'en ce cas spécifique, les langues slaves sont nettement plus flexibles (cf. "dřevěný kostel sv. Michala"). Tiens, autres splendides exemples d'ambiguïté française: la circulation a été déviée par la gendarmerie (ou par la route nationale?). Le prisonnier des cannibales était prêt à manger (en prêt-apporté?). Bref... En arrivant sur place au moment où le temps était ensoleillé comme pas permis, nous trouvâmes aux abords de l'église une vieille brave dame en train de retourner son jardin. Et comme la publicité disait "sur demande auprès de Mr Lichner, demeurant en la première maison près de l'église, icelui vous fera visiter...", nous interpellâmes la brave dame. "Lád'ôôôôô..." hurla-t-elle de par derrière de la bâtisse, "t'as des touristes pour visiter l'église!". Au bout de quelques minutes, "Lád'a" débarqua de derrière les fourrés et nous ouvrit l'église St Michel (en bois, l'église), rien que pour nous. Historique"Lád'a" était un brav' p'tit vieux, d'un âge certain, mais plutôt bien conservé pour cet âge (surtout dans sa tête, qu'il était bien conservé). Et il nous dévoila tout de ce qu'il savait sur l'édifice, sans rien omettre ni cacher. Aussi ce que je vous raconte dans cette publie est en grande partie la réplique écrite de ses propos vocaux (avec de menues nuances cependant, afin de faire compréhensible par endroit). "Maršíkov" est un trou de quelques 90 demeures pour 200 habitants dépendant de la commune de "Velké Losiny", dans le district de "Šumperk". La première mention écrite du bled date de 1351 (cf. "Codex diplomaticus et epistolaris Moraviae. Leitomischl 12. April 1351. Clemens Episcopus Servus Servorum Dei ad perpetuam rei memoriam [...] Marschonisvilla [...]") et fait référence à la paroisse dans le cadre d'attribution de domaines à la chienlit cul-bénite pour exploitation fiscale et esclavagisme intensif du péquenaud. De toute son existence, la commune resta absolument insignifiante, et sans notre église St Michel, elle serait sans doute restée dans l'oubli le plus absolu tellement elle ne représente rien dans le cour de l'histoire. Pour preuve de son insignifiance, outres les naissances, les mariages, les décès et les baptêmes, vous trouverez dans le registre communal tous les changements de nom du bled: "1475-1605 Mařkov, Marzkow, Marškov, Marskow, Maržkow, 1481 Maříkov, 1494 Marczkow, 1771 Meykow, 1846 Maršíková, 1872-1885 Maršová, 1885 Mašov, od 1893 Maršíkov"... en différentes langues même, tellement l'archiviste ne savait plus quoi écrire dans son registre (cf. en Germain "1431 Marskendarf, 1569-1945 Marschendorf, 1570 Marssendorf, 1610 Maschendorf, 1788 Moschendorf, 1807 Alt Marschendorf", en Latin "1351 Marschonisvilla, Marchionis villa, 1672-1771 Marschendorf, 1690 Morschendorf", en Arabe dans quelques années...). Pour vous dire l'insignifiance... et donc passons directement au vif du sujet. L'édifice actuel date de très exactement 1609. Mais avant cette année (pas 2014, 1609. C'est vraiment mal foutu quand même parfois la langue française!), il existait déjà céans une autre église, démolie (toujours en 1609) pour cause de mauvais état. De cette pre-église l'on ne sait pas grand-chose (tiens, il faisait quoi l'archiviste ce jour-là?). Bien que la paroisse du village de "Maršíkov" date d'avant 1350, les seuls éléments concernant l'église affirment qu'il s'y trouvait 2 cloches gothiques. La plus grande datant de 1515 (gothique tardif) fut réquisitionnée, la seconde, et sans doute plus ancienne, est toujours pendue au clocher. Mais l'on ne connaît pas la date de sa fonte, la DLUO n'ayant pas été gravée dessus comme sur la précédente. Bref, en 1609 commença alors la construction du temple évangéliste (cf. Église évangélique des frères tchèques), en partie d'avec les restes de l'église de "Velké Losiny", également démolie pour cause de mauvais état. Bien qu'une partie du coût fut absorbée par les dons privés, la majeure partie fut cependant concédée par la famille "Žerotínové", famille de laquelle je vous avais déjà parlé à propos de l'église jamais terminée de "Panenský Týnec". En fait les factures relatives à l'église existent toujours, et sont datées du 28 mai 1609. Elles concernent des lattes, des clous, des bardeaux et autres menus zinzins, mais rien concernant les poutres, le gros-oeuvre ou l'électricité. Aussi l'on peut présumer qu'iceux proviendraient de la récup de matos de l'église de "Velké Losiny" (à moins que les factures n'aient été perdues, mais les experts ne penchent pas pour cette possibilité). Pareil, aucune trace des artisans, constructeurs ni architecte(s), aussi l'on pourrait croire que l'édifice fut construit par les extra-terrestres (à moins que les documents n'aient été perdues, mais les experts ne penchent pas pour cette possibilité). Par contre, et bien qu'aucun document n'existe à nouveau, le permis de construire dut être délivré par "Jan ze Žerotína" juste avant sa mort le 8 mai 1608, puisqu'en cette période le rejeton et ritier "Přemyslav II" était mineur, et les biens alors administrés par sa mère "Andělina" (Angelina). En fait, je précise parce que vous entendrez souvent que l'initiateur de la construction était le fils "Přemyslav II ze Žerotína", alors que c'est pas possib' et que donc c'est plutôt le père "Jan ze Žerotína" qui just' avant sa mort... C'est pas important "Lád'o", on passe à la suite. Parenthèse, mais c'est pas "Lád'a" qui m'informa de cette info, mais ma femme de ménage. En fait l'on ne sait toujours pas si "Jan ze Žerotína" était un ou plusieurs. En effet, nombreux documents de vers 1609 font référence à Jean le jeune, Jean le vieux, Jean le fils et Jean le père que Jean-Pierre mon Latin... et que donc du savoir de qui autorisa la construction... Enfin bon, reportez-vous à la thèse de "Andréa Kvapilíková: Losinsko-vízmberská větev rodů Žerotínů na Šumpersku" qui vous donnera tous les détails. Fin de part en thèse. Bon, et je disais quoi maintenant... Ah oui. Après la triste bataille de la Montagne Blanche, l'église de "Maršíkov" fut rattachée à la paroisse de "Velké Losiny", ce qui eut pour conséquence l'ajout d'une ligne supplémentaire sur le registre de la commune. En 1649, le retable avec la photo de l'archange St Michel fut bénit consacré, ce qui eut pour conséquence l'ajout d'une nouvelle ligne sur le registre de la commune. Entre 1655 et 1657, fut posé un nouveau carrelage en remplacement du lino temporaire et le maïeur local fit don à l'église d'un tableau représentant Mari Madeleine à Longchamp pour la finale du Prix du Mérite Agricole des juments pouliches de 4 ans, ce qui eut pour conséquence l'ajout de 5 longues lignes sur le registre de la commune. Suite à quoi, l'archiviste se mit en grève afin de réclamer une augmentation parce que sa fonction devenait insoutenable de par la charge de travail. Lorsqu'on trouva un nouvel archiviste (le précédent étant parti en retraite bien méritée), sa première ligne sur le registre communal s'articula ainsi: "A.D. 1670, un nouvel archange St Michel fut peint sur le retable de l'église." Après quoi il prit 2 semaines de vacances afin de se remettre du labeur. En 1673, la commune fit l'acquisition d'un positif (petit orgue transportable que l'on "pose") afin d'accompagner le chant dissonant des fidèles. Iceux braillaient cependant toujours aussi faux, et pire, couvraient le son de l'instrument. Aussi en 1776, l'on remplaça le positif par un vrai orgue de facture "Kašpar Weltzel" (il contribua à l'orgue de l'église de la Nativité à la Lorette à Prague). Et justement, toujours en cette période (1776-1777), vu que l'archiviste avait ses mains dans le chantier, l'on restaura l'église en bois d'une touche rococo, et le retable reçu un nouveau tableau de l'archange Michel peint par le fameux peintre jésuite "Ignác Raab" (cf. St Thomas, St Tignace, St Roch, St Seb et Ste Rosalie, et j'en passe...). Entre 1842 et 1843, d'autres modifications mineures furent apportées à l'édifice: recarrelage du choeur, ajout d'angelots au retable principal, ajout de retables latéraux consacrés à la vierge Marie et à St jean Népomucène, et ajout d'une chaire pour que tout le monde puisse voir le curé. Ben oué. Le cimetière qui entourait l'église St Michel fut fermé en 1900, mais l'archiviste ne prit pas la peine de préciser dans les registres où les locataires furent relogés. Entre 1930 et 1931, débarrassé de ses occupants, le terrain autour de l'édifice fut abaissé afin de mettre ce dernier en valeur (enfin), et les vieilles poutres pourries furent remplacées par des poutres neuves en pleine forme. D'autres nécessaires réparations eurent lieu encore en 1964, 1972, 1994 et depuis 2000, c'est quasi incessant entre le toit, les planches des murs et plafonds... Bon, mais c'est pas vraiment important "Lád'o", alors on passe à la suite. DescriptionL'édifice construit en rondins est d'apparence gothique (très) tardif et d'agencement intérieur renaissance (j'te dis pas l'accouchement difficile du monstre). La nef est longitudinale de 14 mètres et largitudinale de 11, terminée par un choeur polygonal profond de 6 mètres, adjoint d'une petite sacristie rectangulaire au Nord. La nef toujours est surmontée en son centre d'une petite tour baroque octogonale construite en 1757 et chapeautée d'un oignon. La toiture à 2 versants et 2 croupes est couverte de bardeaux. En fait l'apparence extérieure est similaire à toutes les églises en bois de la région, et hormis la tourelle baroque, l'aspect est originel encore aujourd'hui. D'intérieur, c'est autrement plus trop fort de café, et xceptionnellunique. Le plafond du choeur est voûté en anse de panier, formant une surface plate sur la moitié centrale. Ce plafond à caissons peu profonds rappelant un treillage est percé au sud de 2 lucarnes en forme de lunette. L'inspiration (selon "Lád'a") aurait été l'église St Jean Baptiste de "Velké Losiny", mais n'y m'étant point rendu, je ne puis confirmer. Le plafond de la nef est plat, également à caissons et à motifs carrés en diagonale, soutenu par 2 piliers centraux. Au-dessus du vestibule se trouve une tribune, qui devait en son temps se prolonger sur les murs latéraux de la nef comme en témoignent les traces longitudinales laissées sur les tasseaux. Les murs intérieurs sont tapissés de planches en bois, dont certaines, provenant de l'église recyclée de "Velké Losiny" selon "Lád'a", sont polychromées de motifs champêtres et géométriques disparates. Proviendraient-elles de diverses églises, les planches polychromées? Pour l'anecdote, lorsque je demandai au bon boug' plus de détails sur ces polychromies vieilles de quelques 400 ans, il m'informa que "l'on a bien essayé de les laver, mais rien à faire, ces peintures tiennent au bois comme la merde à la chemise." J'en crus pas mes esgourdes. Et puisqu'il en était aux confessions, "Lád'a" nous informa encore que l'orgue de Gaspar ("Kašpar Weltzel") fut restauré en 1973, et seuls 3 tuyaux usés sur les 315 durent être remplacés. Ensuite il insista encore sur la toile de la Ste Trinité de 1717 qui pend dans le choeur, mais qui pendait auparavant dans une chaplette homonyme avant qu'icelle ne soit désacralisée, et qui fut offerte (la toile) par la comtesse "Ludvika ze Žerotína". Hum... j'y jetai un oeil poli, mais bon, sans grand intérêt la croûte. Puis il nous informa encore de quelques artefacts précieux qui embellissaient l'église, mais qui, pour des raisons de sécurité comme de conservation, furent déménagés en divers musées de la région. Mentionnons un font baptismal renaissance de 1615, un calice de 1614 offert à l'église par "Přemyslav II ze Žerotína", et un bénitier (sans grenouille) de la seconde moitié du XVIe siècle provenant de l'église d'avant. Anecdotes et curiositésEt donc outre l'exceptionnalité architecturale que représente l'église de l'archange St Michel de "Maršíkov", cet édifice peut encore se vanter du titre de "la plus ancienne construction populaire conservée en l'état en Moravie du Nord." Moi j'dis qu'on fasse péter le Champomy! En 1819 (ou 1820), l'on découvrit à quelques centaines de mètres de l'église le premier chrysobéryl d'Europe. "Maršíkov" devint alors mondialement... localement... un peu connu auprès des 29 lithophilistes du monde en ce début du XIXe siècle. En 1757 naquit soudainement une affabulation sans fondement, selon laquelle, le cardinal Von Dietrichstein aurait fait don aux paroissiens de "Maršíkov" du matériel de construction de feu l'église de "Velké Losiny" en remerciement de leur reconversion à la religion catholique comme les tous premiers reconvertis en Moravie du Nord. C'était bien entendu faux, mensonger, et n'avait qu'un but purement politique, comme toujours en religion (surtout catholique). La messe n'est plus célébrée régulièrement en l'église, mais uniquement dans le cadre d'évènements exceptionnels, genre ouverture de la coupe du monde de football au Brésil (pour faire plaisir à mon pote Pascal ツ), ou lorsque le lundi de Pâques tombe un vendredi saint. Pour la visite, adressez-vous donc à Mr "Ladislav Lichner" demeurant en la première maison près de l'église. Je ne pense pas qu'il parle Français (il est Morave, du Nord, donc déjà avec le Tchèque il a du mal...), mais essayez l'Allemand, je suis prêt à parier qu'il n'aura aucun problème. En conclusionPour les amoureux des églises en bois et du patrimoine culturel populaire des montagnes pas très hautes de la Moravie du Nord, l'église de l'archange St Michel à "Maršíkov" est un petit bijou en boîte de satin (en bois de sapin?). Maintenant compte tenu de son éloignement (relatif) de toute route à vitesse moyenne (au-dessus de 70 km/h), je ne puis vous envoyer en cette contrée avec pour seul but la visite de l'édifice susmentionné. Toutefois, et si le hasard de la fortune vous mène en ces terres, sonnez chez "Lád'a", vous ne le regretterez pas. En fin de visite, et pour toute rétribution, il s'efforcera de vous refourguer des cartes postales et autres prospectus. Bon, pour les quelques couronnes qu'il en demande, soyez bon Monseigneur, achetez, ça vous portera chance. Et n'oubliez pas quelqu'offrande pour la réfection de l'église, en cette matière chaque sous est le bienviendu. Personnellement j'ai acheté, et j'ai donné. Attends, je ne peux pas toujours que prendre non plus, non? L'église en bois c'est là: 50.0344278N, 17.0758756E