" Je pars d'un point et je vais le plus loin possible "
Entretiens avec Michel Delorme (1962, 1963, 1965) suivis d'une lettre à Don Michael (1962)
Paris. Editions de l'Eclat. 2011. 72 pages.
Alain Gerber a étudié " le cas Coltrane " titre d'une longue étude stylistique. Pour faire plus court et aller au coeur du sujet, je vous conseille, lectrices expertes, lecteurs savants, de lire ces trois entretiens de John Coltrane avec le journaliste français Michel Delorme en 1962, 1963, 1965, où John Coltrane explique sa méthode. Il s'agit d'un univers en expansion continue, tendant vers l'infini comme disent les astronomes. " Partir d'un point et aller le plus loin possible " comme dit Coltrane. Au risque de perdre des spectateurs en route. A Paris, à l'Olympia, en mars 1960, au sein du quintette de Miles Davis, John Coltrane se faisait siffler par une partie du public qui, ne comprenant rien à ce qui se passait, au lieu de partir poliment, manifestait publiquement sa désapprobation. Coltrane savait ce qu'il faisait et il estima que ces sifflets montraient qu'll n'allait pas encore assez loin.
En 1965, après le concert d'Antibes, où il joua d'une traite en 48mn sans dire ni bonjour, ni au revoir, ni merci, son album " A Love Supreme " (la version studio dure 34mn et est bien plus sage), le journaliste le critique lui disant qu'il a eu tort de jouer ainsi, qu'il perd son public. Comment un journaliste peut-il oser reprocher une démarche créative à un créateur? S'il ne peut pas suivre, tant pis pour lui.
En 1972, un critique de Jazz perdu par le Miles Davis électrique, funky, agressif d'On the corner dit à Miles: " Miles je t'ai suivi jusqu'ici mais là je ne peux pas ". Miles lui répondit: " Que veux tu de moi, connard? Attendre que tu sois capable d'arriver là? ".
John Coltrane était beaucoup plus poli et gentil que Miles, son ancien patron mais il restait déterminé. Il avait un plan, savait ce qu'il allait jouer, se projetait toujours vers l'avant, vers le nouveau, l'inouï au sens littéral du terme même s'il se sentait dépassé par la New Thing d'Albert Ayler et Archie Shepp. Pour les rattraper, il brisa toutes les conventions harmoniques après 1965 et, là, j'avoue que je ne le suis plus. Comme Thelonious Sphere Monk, un autre de ses Maitres, John Coltrane joue toujours faux, au sens technique, mais cela n'a aucune importance tant il est lyrique, cosmique, unique.
Bref, ce petit livre est à lire si, en plus de vouloir ressentir la musique de John Coltrane, vous voulez la comprendre, lectrices expertes, lecteurs savants.
Voici un parfait exemple de la méthode Coltrane. Plus de 20mn de voyage à travers un thème simple " My favorite things " au festival de Jazz de Combiain-la-Tour en Belgique le 1er août 1965. Au départ il s'agit d'une mélodie de comédie musicale pour Broadway " The sound of music " (1959). Adapté au cinéma en 1965 sous le même titre (en français, La mélodie du bonheur), chanté par Julie Andrews en VO et Mathé Altéry en VF. John Coltrane (saxophone soprano), Mac Coy Tyner (piano), Jimmy Garrison (contrebasse) et Elvin Jones (batterie) en font un hymne mystique. Rien à ajouter.