Réalisateur : Kenji Misumi
Genre : film de sabres
Année : 1972
Durée :83 minutes/89 minutes (non édité)
L'histoire : Suite des aventures de Daigoro et de son père, qui protègent une prostituée et tentent de mettre fin à leur combat contre le clan Yaghyu.
La critique d'Hdef :
Suite des aventures d’Ogami Itto, « Le loup à l’enfant » et de son fils, Daigoro. Le 2e épisode, L’Enfant massacre, terminait sur une note « positive » puisque l’ancien bourreau laissait aller la chef des femmes ninjas qui avait pourtant été son adversaire. Clairement, Dans la terre de l’ombre est moins optimiste. Tout commence presque par une scène de viol d’une rare violence où des samouraïs glandeurs s’en prennent à une mère et une fille qu’ils ont aperçue sur la route. La scène de viol en question, qui se déroule dans la forêt (ce qui évoque irrémédiablement Rashomon), a pour but de montrer à quel point les samouraïs (qui sont censé être irréprochables et exemplaires) sont répugnants, voire encore plus criminels que les hommes qu’ils poursuivent (ou les femmes d’ailleurs, car une fois de plus, Misumi traite la femme sur un pied d’égalité). La scène est donc volontairement dérangeante, d’autant qu’après le viol, les deux jeunes femmes sont massacrées. Une ouverture qui en dit long sur ce que va être Baby Cart 3 : dans la terre de l’ombre, c’est à dire un film profondément sordide, violent et cruel, qui est sans doute le plus brutal de la saga. Personnellement, c’est aussi l’un de mes préférés.
On retrouve de l’opus 2 à cet opus-ci le personnage de femme puissante et chef de clan. Dans L’Enfant massacre, il s’agissait d’une femme-ninja, dans Dans la terre de l’ombre, on parle…de la gérante d’un réseau de prostitution ! Car en effet, non content de montrer les samouraïs comme des violeurs, Misumi les montre aussi comme proxénètes, et croyez-moi, le réalisateur de La Lame diabolique n’y va pas avec le dos de la cuillère ! En témoigne cette scène où une prostituée arrache la langue de son client et le tue afin d’essayer (vainement ?) de sortir du milieu. Le personnage n’est pas sans évoquer la prostituée des thermes du Sabre de la vengeance.
Ogami Itto va la prendre sous son aile. Contrairement à Baby Cart 5 : le territoire des démons, Ogami est ici présenté comme un protecteur, comme un personnage positif. Mais je ne pense pas que le personnage change vraiment au cours de la saga. Il le dit lui-même, « Mon fils et moi vivons entre la vie et la mort », et une scène du Sabre de la vengeance suggérait même entre le Bien et le Mal. Des fois, Ogami Itto peut se montrer bon, d’autre fois non (nous verrons ça dans un prochain (très prochain !) article). En l’occurrence, le bonhomme est si entêté dans sa volonté de sauver la jeune femme des griffes de la maison close qu’il acceptera d’être torturé à sa place. Nous débouchons donc ici sur une des scènes les plus marquantes de la saga. Ligoté la tête en bas au-dessus d’un bassin (dans une position qui évoque celle de Daigoro au bord du puits dans L’Enfant massacre), Ogami est d’abord noyé ; puis on le fait tourner sur lui-même la tête en bas tout en le battant à coups de bambous ! La douleur du personnage (qui ne crie pourtant pas à un seul instant) devient nôtre par le biais de l’utilisation de la caméra subjective, dans un vertigineux plan séquence (à l’envers !) d’une grande virtuosité. Du Misumi quoi !
Mais le passage a une autre utilité : celle de montrer presque pour la première fois qu’Ogami Itto n’est pas un monstre mais un être de chair et de sang, et qui peut donc souffrir. Et (exception faite pour Prométhée) donc mourir…
Résolument plus penché vers le western léonien que vers le film de sabres (la scène du meurtre du client évoque Il était une fois dans l’Ouest et le massacre final n’est pas sans évoquer l’interlude guerrier de Le Bon, la brute et le truand ou le massacre des soldats dans Pour une poignée de dollars), Dans la terre de l’ombre évoque notamment Pour une poignée de dollars dans la façon qu’Ogami Itto a de protéger la prostituée, comme Clint Eastwood protège Maria Koch dans le film de Leone. On notera au passage une forte ressemblance entre Daigoro et le fils de Koch : Jésus. L’homme sans nom des westerns serait-il comparable à Ogami Itto ? Bien entendu ! D’autant que dans Et pour quelques dollars de plus, Clint Eastwood est un tueur à gages, tout comme Itto en fin de compte. Et la structure du scénario est la même : un homme arrive, tue, repart. Le schéma même de tout western avec un « homme sans nom », que l’on parle de Pale Rider ou de L’Homme des vallées perdues. De plus, on note que l’un des méchants possède deux revolvers et les manie comme Eastwood ou Lee Van Cleef. Mais il n’y a pas que ça : pensez au fait que pour couvrir la famille de Maria Koch, Eastwood endure la torture lui-aussi dans Pour une poignée de dollars qui, pour finir, faisait également un usage particulièrement remarquable (et qui en faisait le meilleur de la « Trilogie du dollar » à mes yeux) de la vue subjective. Tout ceci nous ramène au grand final de Baby Cart 3 : le grand, le big, le GIGA massacre, mélangeant Rambo, John Woo et un peu de tout ce qui se faisait de démentiel et d’invraisemblablement sanguinolent au Japon dans les années 60-70. Une magistrale compilation d’action, de guerre et de moments de pure émotion. ATTENTION SPOILERS !
On assiste en effet pétrifiés à l’affrontement entre Ogami Itto et une véritable armée (je n’exagère pas) de samouraïs et de lanciers. Pour se défendre, le loup à l’enfant utilise…des mitraillettes planquées dans le landau de son fils, qu’il manie comme un bazooka, façon La Horde sauvage !!! Une surprise complète pour la tuerie la plus invraisemblable de l’histoire. Tel un diablotin, Ogami Itto bondit dans les airs, son sabre semble traverser la chair comme un couteau dans le beurre, des nuages de sang volent au-dessus des victimes, sur une musique entraînante quasi-diabolique. Et quand tout est fini, reste un samouraï qui, avant de mourir, désire savoir si, après avoir abandonné son seigneur pour lutter contre des assaillants, il a perdu son honneur. Après la réponse d’Ogami, l’homme se fait hara-kiri et est décapité par le « héros ». FIN DES SPOILERS. Réflexion profonde sur le rôle du samouraï dans un monde aussi dénué de valeurs, le film demande également jusqu’où peut aller l’honneur et la fierté d’un homme ? Peut-elle le mener jusqu’à la mort ? Oui.
Mais quelque part, la mort n’est que le début…
« The death is only a passage, that we must take. And than, you will see it… » JRR Tolkien, The Lord of the Rings : the Return of the King. Gandalf à Pippin.
Note : 18/20