Helio Oiticica.
Le pénétrable carré magique n° 5 – 1977,
Carnets de voyage de Matilde Dos Santos, Membre de l’Aica Caraïbe du Sud
Tunga – True Rouge, 1997
Le CACI – Centre d’Art Contemporain d’Inhotim se mérite. Au départ de Rio il m’a fallu six bonnes heures en voiture pour y arriver. Un vrai parcours initiatique…. Plus on s’approche, plus la route est mauvaise. Nous sommes à Minas Gerais, dont le nom évoque les mines d’or, diamant et autres pierres précieuses qui ont fait jadis la richesse du Brésil et du Portugal. Les temps ont changé mais le minerai est toujours là : du fer, de la tantalite, de l’or, du phosphate, du zinc, du diamant, de l’aluminium, du calcaire et des roches ornementales. L’entrée en zone minière est signalée par l’apparition de chemins de fer et d’une fine poussière rouge qui recouvre le tout : les trains, les voitures, les maisons, la végétation, les routes et à bien y regarder, même les hommes…
A l’arrivée, l’immense parking ouvre sur un sentier forestier, on est donc au contact du lieu avant même d’accéder la réception du plus grand musée à ciel ouvert du monde. One of a kind, comme disent les anglais… Quasiment 800 hectares de superficie totale dont plus de la moitié en « Mata Atlantica » (forêt tropicale primaire). Presque 100 hectares visitables et plus de 150 hectares de domaine forestier privé protégé. Des milliers de visiteurs accourent tous les jours de tout le Brésil et du monde entier. En 2010 on comptabilisait 200 000 visiteurs dans l’année. En 2012 ce chiffre a doublé.
Narcisus garden version Inhotim par Yakoi Kusama, en regard du lac artificiel et en couverture du centre culturel Burle Marx
L’apport des entrées, services et dérivés du Musée n’est néanmoins pas encore assez conséquent pour assurer la durabilité du parc… En 10 ans le Musée a englouti plus 500 millions de dollars et aujourd’hui l’entretien et le fonctionnement du parc demandent environ 1400 employés à temps plein. Tel une bête vivante, et comme dans le rêve de son mentor, Inhotim ne s’arrête jamais de grandir.
Le mentor justement, parlons-en : Bernardo Paz, sexagénaire séduisant, plutôt grand pour un brésilien (un peu plus d’ 1M80), barbe et cheveux blancs messianiques, 6 fois marié et père de 7 enfants avec différents épouses, parmi lesquelles la plasticienne Adriana Varejao, dont le pavillon, œuvre de l’architecte brésilien Cervinho, a été un des premiers du parc à conjuguer art et architecture.
Bernardo, à la fois passionné et dépressif, admet volontiers vivre reclus dans son parc (si tant est qu’on peut être reclus dans une propriété qui avoisine les 800 hectares), alternant les pilules pour dormir avec d’autres pour rester éveillé, mais rêvant sans cesse à l’agrandissement du Musée…. Collectionneur, le mécène, qui a fait fortune dans le minerai au détour d’un de ses mariages, vendit sa belle collection d’art moderne brésilien (Portinari, Di Cavalcanti, Tarsila do Amaral…) pour collectionner du contemporain à la fin des années 80, sous l’influence du plasticien Tunga. Avec l’aide d’un autre artiste génial, le paysagiste Burle Marx, il transforma petit à petit la ferme entourée de forêts vierges en un espace intégrant parfaitement art, nature et architecture. D’abord domaine privé, le parc prit la forme d’un musée en 2004 et a été ouvert aux visites en 2006.
4Chris Burden
Il compte aujourd’hui une vingtaine de galeries ou pavillons, exposant environ 500 œuvres. Certaines appartiennent à la collection de 1200 œuvres du mécène. Quelques-unes sont prêtées par d’autres musées ou des artistes pour des expositions temporaires. On remarque tout particulièrement une trentaine de sculptures monumentales au milieu d’un parc aménagé où s’étale la plus grande collection de palmiers du monde soit plus de 1500 espèces différentes et où 4300 espèces végétales ont été recensées.
Le CACI comporte aussi un centre éducatif, tourné vers les communautés locales, un centre de recherches botaniques, cinq restaurants, des bars, des boutiques, des scènes pour spectacles… Et ce n’est pas fini, en partant je suis passée devant les œuvres du futur hôtel intramuros, œuvre de l’architecte suisse-brésilienne Freusa Zeichmaster. Mais c’est surtout un lieu où les plus grands artistes contemporains du monde entier peuvent confronter leur œuvre à la démesure de la nature.
1Doug Aitken
En 2011 Inhotim est devenue une OSCIP – Organisation de Société Civile d’Intérêt Public, développant des actions dans le domaine de la botanique, de la culture, de la formation et de l’éducation. Ce statut permet au Musée de rester privé tout en reconnaissant l’importance de sa politique d’inclusion sociale vis à vis des écoles publiques et des communautés précaires, basée sur l’art, la musique et le paysagisme. Sa politique de ressources humaines est également centrée sur l’’emploi et la formation de jeunes issus de la population locale.
Un petit côté Disneyland des arts… Surement à cause de la présence pléthorique d’un personnel, aussi gentil que disponible (entièrement local) et surtout des petites voitures de golf, avec lesquelles on accède aux œuvres les plus excentrées. Merci Bernardo, vos petites voitures m’ont permis de voir quasiment toutes les œuvres parsemées sur 100 hectares en seulement deux journées…. Inhotim aime le mélange de genres. Il suffit d’observer le public pour se rendre compte qu’il y a un peu de tout, des amateurs et critiques d’art, des étudiants, en art, archi, botanique, des familles nombreuses venues là pour la promenade, le déjeuner et les souvenirs, des botanistes, des passionnés de la randonnée, des brésiliens surtout mais aussi des européens, sud et nord-américains, des asiatiques… L’art contemporain y tutoie l’architecture. La visite fragmentée des différents pavillons, construits à des moments différents, propose un nouveau paradigme de l’espace de monstration.
1Doug Aitken
Les œuvres de Cildo Meirelles, Penone, Oiticica, Lygia Pape, Chris Burden, Dan Grahm, Olafur Eliasoon, et les autres dialoguent avec le cercle des montagnes, l’immensité de l’espace et la moiteur de la végétation, mais aussi avec des parterres en béton brulé, des parois en verre, et l’intelligence et l’audace des lignés épurées des architectes Cervinho lopez, Alexandre Brasil, Paula Cardoso, André Prado, Bruno Santa Cecilia, Carlos Maciel, Maria Moura, Thomas Sales...
On dit souvent que Bernardo Paz a réussi un pari fou, celui de créer un centre d’art contemporain totalement à l’extérieur des centres névralgiques planétaires. A mon avis l’endroit est bien choisi : Minas, capitale du minerai, berceau du baroque à la brésilienne, fait rimer nonchalance avec extravagance depuis les temps de la colonie quand le Conseiller Joao Fernandes de Oliveira faisait paver d’éclats de diamant les chemins empruntés par sa concubine, la belle affranchie Chica da Silva.
Matilde Dos Santos
5Tunga : nouveau pavillon inauguré en 2012 Cooking crystals expanded fer calage d’acier ferrite-verre cristal de roche acier au carbone acier inoxydable eau teinte
1Doug Aitken – architecture de l’artiste, en portugais le pavillon s’appelle le son de la terre, l’artiste a fait un trou long de 208 m et y apposé des capteurs qui transmettent le son en permanence
Pavillon Varejão, oeuvre de Cervinho Lopez
2Pavillon Varejão, oeuvre de Cervinho Lopez, en discussion avec l’artiste. Boite aveugle , 3 étages, rampe d’accès et lacs artificiels au fond peint, formant miroir d’eau.
3Adriana Varejão – Linda do Rosario vue de l’extérieur. L’œuvre fait référence à un fait divers carioca. L’hôtel "Linda do Rosario" s’effondra dans le centre-ville de Rio en 2002. Tous les hôtes ont pu s’en échapper sauf un couple qui mourut au lit écrasé par les murs de la chambre quand l’hôtel s’affaissa sur lui-même. Avec du polystyrène, Adriana a créé un pan de mur en céramique d’où s’échappe en dégoulinant de la chair et des tripes. C’est fort et étrange.
3Adriana Varejão – Linda do Rosario vue de l’extérieur
4Beams Drop, Chris Burden – 71 poutres en métal sorties des chemins de fer de la région minière autour du site. Les poutres ont été jetées depuis le haut d’une grue dans un parterre de ciment mou ce qui a donné la configuration finale aléatoire de l’œuvre. Emouvant rapport avec les montagnes et la végétation autour et avec l’histoire et le vécu du lieu.
5Tunga, nouveau pavillon, inauguré en 2012, cooking crystals expanded – fer, calage d’acier, ferrite, verre, cristal de roche, acier au carbone, acier inoxydable, eau teintée
6Banc de Hugo França.
6Banc de Hugo França. Le Musée possède 80 parsemés dans le parc tous différents les uns des autres. Il s’agit de résidu forestier, des restes de troncs abattus que l’artiste récupère en forêt et sculpte.