Et si un réseau social donnait forme à l’émulation collective pour faire bouger les lignes et évoluer notre société vers plus de respect de l’environnement ? Dans les bureaux de La Ruche, j’ai rendu visite à Jérôme Lhote, le fondateur de Koom, un site qui montre comment chacun peut être partie prenante du changement, une action concrète après l’autre. Entretien avec un entrepreneur passionné qui croit à l’idéalisme en actes.
Peux-tu me parler de la naissance de Koom ?
J’ai deux dadas : le développement durable et l’Europe. Il y a un peu plus de trois ans, j’ai lancé avec plusieurs amis européens un projet très ambitieux nommé Citizens New Deal. Nous voulions renouveler le projet européen avec des workshops dans chacun des pays de l’Union, pour arriver à des bases coécrites pour savoir quelles seraient les aspirations profondes des citoyens. J’ai finalement renoncé à cette partie conceptuelle pour me concentrer sur le second volet du projet : structurer des moyens d’action. C’est ce qui a donné Koom. Dans la vision de Koom, il y a donc forcément une dimension européenne et internationale à terme. D’où d’ailleurs le choix du mot « koom », un mot à consonance ni française ni anglaise, dont nous avons découvert par hasard qu’il voulait dire « rêve » en coréen.
Aujourd’hui on fait face à deux constats. Le premier, c’est la confiance qui se détériore vis-à-vis des élus et des entreprises. Le second, c’est qu’on est dans un pays qui est à la tête du palmarès depuis trois ou quatre ans des pays les plus pessimistes, ce qui m’agace un peu parce que l’on a quand même pas mal d’atouts. Les gens sont frustrés de ne pas avoir de capacité d’agir, ce qui contribue à alimenter la spirale du fatalisme. Je voulais m’y opposer en montrant aux gens qu’ils peuvent agir à leur niveau de manière concrète, qu’ils ne sont pas seuls, et qu’il y a une dynamique qui est déjà enclenchée au niveau local. Je prends un exemple concret qui a été réalisé il y a quatre ans déjà par un maire aux Etats-Unis, qui a envoyé un courrier aux habitants d’un quartier en leur disant : voici le nombre de vos voisins qui font le tri sélectif. En envoyant le même courrier tous les jours aux mêmes personnes, il s’est rendu compte qu’en deux semaines il y avait une hausse de 19% du tri sélectif. Quand les gens ont le sentiment qu’ils ne sont pas seuls, cela donne du sens à leur action. Placer l’action individuelle à une échelle collective change tout.
Le but de Koom est à la fois de redonner confiance aux gens et de montrer que l’on a besoin des entreprises et des élus, parce que ces acteurs-là ont des leviers d’action que l’on n’a pas et vice-versa. Il s’agit aussi de faire agir ensemble ces différents acteurs de manière positive, avec des défis. S’il y a un certain nombre de particuliers qui agissent sur telle action concrète, alors telle entreprise ou telle ville s’engage à agir à son tour sur ses propres leviers d’action. Par exemple, j’ai discuté l’an dernier avec la ville de Paris qui m’a dit qu’elle avait un plan climat très ambitieux d’ici 2020, dans lequel les actions de la ville ne représentent que 30% des objectifs. Pour les 70% restants, il faut donc mobiliser les habitants et les entreprises, ce que la ville ne sait pas trop faire. Le responsable me disait qu’il lancerait bien un défi en disant que si 10 000 parisiens se fournissent en électricité renouvelable, la Mairie de Paris peut s’engager à ce que la tour Eiffel soit alimentée en électricité renouvelable …mais en fait, c’est déjà le cas !
On a lancé un défi avec le Crédit Coopératif pour le World CleanUp Day, qui est une journée de nettoyage de la nature : si un certain nombre de personnes s’engageaient à participer au World CleanUp Day, alors le Crédit Coopératif versait 3000€ à l’association organisatrice de l’événement. On se rend compte que lancer des défis au niveau national avec des entreprises devient possible si on atteint une taille critique de la communauté de 100 000 personnes. Aujourd’hui, nous avons autour de 6400 membres. L’objectif est donc d’atteindre les 10 000 très rapidement et de lancer les défis au niveau local en maillant un territoire précis, et ensuite d’essaimer sur d’autres territoires. Depuis deux mois Koom fait partie des 15 startups sélectionnées par le Centre Francilien de l’Innovation. Dans le cadre de ce booster, on a eu une intervention passionnante sur la stratégie, qui a enfoncé le clou sur la notion de plus petit périmètre utile. Quel est le plus petit périmètre sur lequel on peut tester son business model ? Pour Koom, je pense que c’est une ville. On se rend compte qu’il y a des villes qui sont intéressées par une marque blanche de Koom pour mobiliser leurs habitants et conserver le lien. Si les habitants ne sont pas au courant de ce que fait la ville, c’est un peu dommage. Je discutais avec le Conseil Général de Lyon il y a quelques mois qui me disait avoir organisé une journée pour recueillir les idées des habitants en termes d’action de développement durable : à 90%, c’était des choses qui étaient déjà faites. C’est un problème. Le but de Koom est de valoriser les actions des particuliers et des entreprises et de faire agir avec un processus de défis. On cherche à donner aux gens les outils pour agir à leur niveau, s’organiser et remettre un peu d’espérance dans ce monde.
Est-ce que tu vas chercher à développer la dimension ludique du site ?
C’est à l’étude. Pour certaines personnes, la gamification est importante, pour d’autres pas du tout. Je suis en train de contacter 15 koomers pour faire des entretiens qualité avec eux. C’est exactement ce qu’avait fait Frédéric Mazzella de BlaBlaCar, qui avait appelé des dizaines de covoitureurs pour les interroger sur leur expérience d’utilisateurs. Ce feedback est primordial, la richesse numéro un d’une entreprise est d’être à l’écoute de ses clients. Souvent on est trop bille en tête avec sa vision, ses objectifs… On a fait un hold-up ici il y a deux mois, et une des personnes présentes qui était inscrite sur Koom nous a dit : « ah c’est ça Koom ? Je n’avais pas du tout compris la puissance du concept de défi ! ». On a refait une landing page pour que le concept soit plus évident à la première connexion.
On veut aussi renverser la charge de l’initiative et permettre aux gens de lancer leurs propres défis. Quelqu’un peut proposer un défi à une ville ou une entreprise de son choix en demandant : quelle est votre contrepartie si nous sommes X à réaliser cette action ? Il y a une notion de réciprocité qui est très importante d’un point de vue sociologique. Ensuite, la personne invite ses amis à soutenir sa proposition de défi sur les réseaux sociaux. Après, le défi est co-construit avec l’entreprise ou la ville.
Au-delà de l’aspect ludique, il y a les récompenses, qui sont offertes par certains sites, mais qui présentent un risque en termes de théorie du changement, car plus on a de raisons extrinsèques d’adopter un changement de comportement, moins on se l’approprie. Il y a une vidéo TED qui explique que le business continue à faire le contraire de ce que prouve la science, et à fonctionner avec le système de la carotte et du bâton, alors que la science prouve que les raisons intrinsèques sont beaucoup plus puissantes : le sens qu’on y met, voir que l’on fait partie d’une dynamique collective, imaginer le résultat potentiel, le fait d’y croire. Après, se pose la question de la vérification que les gens font vraiment ce qu’ils disent : c’est la puissance de CitéGreen.
Quelle est la répartition géographique des koomers ?
Aujourd’hui elle est assez dispersée, notamment parce qu’on a lancé un concours il y a un an avec le REFEDD (réseau français des étudiants pour le développement durable) qui s’appelait « Mets ton campus à l’an vert », pour incorporer le concept des défis à l’intérieur des écoles et des facs, dans une dynamique d’émulation collective sur du concret. Il y a eu 3000 participants. J’espère qu’en 2015 le concours sera renouvelé.
Dans les choses toutes nouvelles qu’on est en train de mettre en ligne, on donne aux gens la possibilité de dire de quelles associations ils sont proches. Cela permet de faciliter les rencontres entre gens qui sont déjà dans la même direction. Avec un filtre sur la carte, on pourra voir par exemple tous les Colibris autour de chez soi, et remonter gratuitement cette carte en widget aux associations.
Qu’est-ce pour toi que l’innovation ?
C’est essayer d’apporter quelque chose de nouveau mais qui réponde à un besoin. Il y a beaucoup d’inventions qui ne servent pas à grand-chose, il n’y a qu’à voir la Foire de Paris ! Après, pour la mise en œuvre, c’est le tâtonnement. Un des apprentissages de l’entrepreneuriat pour moi est d’accepter que les choses mettent du temps. C’est un travail sur soi, parce que forcément, quand on est entrepreneur, on a mille idées à la minute, mais on ne peut pas toutes les mettre en œuvre dans la même minute. Qu’est-ce qu’on priorise ? Qu’est-ce qu’on repousse à plus tard ?
Comment as-tu basculé de Citizens New Deal à Koom ?
Grâce aux femmes ! En juin 2010, j’ai trois amies qui m’ont dit : il faut qu’on prenne un verre, parce que tu nous inquiètes. Elles m’ont dit que mon projet européen était complètement démesuré et qu’elles avaient peur que je m’épuise à donner des coups d’épée dans l’eau. J’ai eu la chance d’être en capacité d’écoute. Après quoi, j’ai eu une autre amie au téléphone qui m’a conseillé de me concentrer sur la seconde partie d’actions concrètes et de chercher à connecter les gens.
Une chose qui est très importante mais loin d’être évidente est de faire la distinction entre l’obstination et la persévérance. Qu’est-ce qui fait aujourd’hui que je persévère ou que je m’obstine ? Je pense qu’une partie de la réponse est donnée par des personnes extérieures au projet. Quand il y a six mois on a gagné le prix Ekilibre, quand on intègre les 15 startups du programme booster, quand on obtient des milliers d’euros de subvention de la BPI, de la ville de Paris et de la région Ile-de-France, ce sont des éléments factuels extérieurs qui prouvent que des structures croient au projet et y trouvent un intérêt. C’est pour cela qu’il ne faut pas rester seul ; c’est l’intérêt de La Ruche. Et aussi toujours garder le contact avec le monde réel. Si on reste entre soi avec les 5% de Français qui sont déjà engagés, ce n’est pas comme cela que l’on va faire bouger le monde.
C’est rarement l’idée de départ qui est celle d’arrivée, y compris pour le business model. Pareil pour BlaBlaCar : Frédéric Mazzella était convaincu que le business model était dans le BtoC, mais tous les business angels lui disaient d’aller dans le BtoB. Ils ont testé plein de business models avant d’arriver à une commission par trajet : du freemium, de la pub sur le site…
Koom a 4 sources de revenu. Il y a les défis, avec l’accès à la plateforme en marque blanche. On peut vendre l’outil de mobilisation à l’entreprise ou à la ville, et lui remonter les données statistiques agglomérées des personnes qu’elle a touchées (tranche d’âge, zone d’habitation, etc.). Il y a aussi le profil développement durable d’une ville ou d’une entreprise. Il y a des obligations légales pour les entreprises de plus de 50 000 habitants de faire des rapports de développement durable qui ne sont pas connus donc pas lus, ce qui est dommage. L’idée est de proposer un outil interactif facilement duplicable sur leur site qui permette en un coup d’œil de voir ce que fait la municipalité en termes d’actions de développement durable avec un filtre thématique. C’est quelque chose que l’on vend aussi sous forme d’abonnement ; pour l’instant, on a celui de la mairie du 18ème arrondissement. Le troisième reste pour l’instant théorique : c’est la vente de Koom en marque blanche en interne dans les entreprises pour la motivation des salariés. Le quatrième pilier est l’extension du concept des défis à une plateforme de crowdfunding local uniquement pour des projets associatifs à impact social ou environnemental, avec obligatoirement l’abondement d’une entreprise. Dans ta ville, si tu as une association bien identifiée qui a un projet à hauteur de 6000 euros, si les habitants de la ville financent 3000 euros, une entreprise abonde de 3000 euros. On a commencé à Bordeaux avec Nature & Découvertes pour un projet de rucher pédagogique. On aura sans doute un deuxième projet à Conflans-Sainte-Honorine avec Simply Market, pour une serre Jardins de Cocagne. En option, on proposera l’intégration d’une offre commerciale. Par exemple, Simply Market pourra offrir un bon de réduction à toutes les personnes qui contribuent au projet. Contrairement aux autres plateformes de crowdfunding, elle est gratuite pour l’association, mais on facture à l’entreprise une prestation de communication et d’image. Cela fait que la plateforme peut être beaucoup plus rentable qu’une plateforme de crowdfunding classique.