Les media sont pleins de nouvelles sur des enjeux de fin de vie ces temps. Et l'un de ces cas est intriguant: l'acquittement par la Cour d'assises de Pau, en France, du Dr Bonnemaison. Il était accusé d'euthanasie sur sept patients et risquait selon la loi française la réclusion à perpétuité.
Comment se fait-il qu'un pays qui interdit, avec beaucoup de persistence, à la fois l'euthanasie et l'assistance au suicide finisse par acquitter un médecin qui aurait 'administré des médicaments ayant accéléré leur décès' à sept patients très malades et âgés, sans en référer à personne?
En fait ce n'est pas si surprenant. Sur la base des faits rapportés, il y a en fait deux lectures possibles et toutes les deux permettent de mieux comprendre.
La première, c'est la lecture de l'exception euthanasique. Dans cette lecture l'accusé aurait bel et bien pratiqué des actes d'euthanasie active: il aurait administré des médicaments dans le but de hâter la mort de ses patients. Cependant, la Cour aurait accepté de l'acquitter par conviction que voilà des circonstances dans lesquelles il aurait été inhumain de le condamner car il aurait effectivement servit l'intérêt de ses patients, et l'aurait fait par humanité. Mais alors, si l'on pense que l'euthanasie puisse être une réponse humaine et justifiée à la souffrance dans certains cas concrets, pourquoi l'interdire absolument? Certains ont effectivement interprété cet acquittement dans ce sens, comme signalant que le temps était désormais venu de légaliser, enfin, l'euthanasie en France. Mais la France est aussi un pays où l'on a déjà vu défendre une autre idée. Celle selon laquelle la logique de la loi et la logique du cas particulier seraient si différentes que maintenir l'euthanasie illégale tout en acquittant certains de ceux qui la commettent ne serait pas véritablement contradictoire. Cette position considère que maintenir l'euthanasie illégale est important pour signaler l'importance de l'interdit de tuer, et pour en éviter des abus. Elle considère en même temps que lorsqu'un cas particulier ne représente pas un abus, alors on peut l'accepter 'sous un régime d'exception'. Paradoxalement, l'acquittement du Dr Bonnemaison pourrait fournir un exemple de cette logique à l'oeuvre et ainsi constituer un argument contre la légalisation de l'euthanasie par les personnes qui défendent ce régime d'exception.
L'autre lecture, tout à fait différente, est celle des soins palliatifs dont on assume les risques. Dans cette lecture l'accusé n'aurait jamais eu l'intention de tuer ses patients. Il aurait employé pour soulager leurs symptomes, et de manière ciblée, des substances comportant par ailleurs aussi un risque de hâter un peu leur décès. Dans des circonstances de fin de vie, il arrive en effet que l'on se trouve devant ce choix. Soit employer un médicament comportant ce risque, soit laisser tout bonnement souffrir le patient. Dans la plupart de ces cas, il est clair qu'écarter la souffrance doit être prioritaire. Dans un cas comme celui-là, le Dr Bonnemaison aurait tout simplement agit selon les règles de l'art médical. Il n'aurait pas euthanasié ses patients. Son acquittement serait un signal fort pour les médecins français que des soins palliatifs bien conduits, y compris avec un certain risque lorsque celui-ci est inévitable, ne sont pas considérés comme contraires à la loi.
De ces deux lectures laquelle est la bonne? Sur la base des informations disponibles, difficile à dire. Cela dépend en partie de l'intention du médecin, mais pas seulement. Selon que le but est de soulager la souffrance, ou de hâter la mort, les médicaments sont différents, les doses sont différentes: sur la base d'une expertise du dossier, sur la base d'une procédure juridique habituelle, donc, on est dans la plupart des cas en mesure de savoir dans quel cas de figure on se trouve. J'ai peut-être manqué quelque chose (dites-le moi dans les commentaires si c'est le cas) mais je trouve ici dommage que la presse n'ait pas clarifié cette question ici. Pour la clarté des discussions difficiles autour de la fin de vie, l'absence de claré sur ce point n'aide pas.
Comment cela se serait-il passé en Suisse? Dans le premier cas, celui où il aurait bel et bien eu l'intention de tuer, il n'est pas dit qu'il aurait été acquitté. Même si nous avons eu notre propre cas d'acquittement suite à un geste d'euthanasie, le fait que ce geste respectait avec une clarté limpide la volonté de la patiente a joué un rôle central en Suisse. Dans un cas où cette demande ne serait pas présente, un cas où un médecin aurait véritablement eu l'intention de tuer par compassion des patients en fin de vie qui ne lui auraient rien demandé, il est tout à fait plausible qu'un tribunal suisse l'aurait condamné. Aux yeux de la loi il ne s'agirait même pas d'un cas d'euthanasie, car la notion de 'meurtre sur demande de la victime' (article 114 du Code pénal suisse) repose justement en Suisse sur...la demande de la victime. Il se serait agit d'un meurtre tout court.
Dans le deuxième cas, en revanche, j'ose penser qu'il n'y aurait même pas eu de procès. Une prise en charge des symptomes en fin de vie fait tout simplement partie du bon exercice de la médecine. Tant que l'intention de tuer est absente, un risque de décès plus rapide est autorisé s'il est inévitablement lié aux médicaments nécessaires pour soulager les symptômes.
Et dans cette deuxième lecture, c'est cela que la Cour d'assise de Pau vient de reconnaître. Vu comme cela, que voilà une décision rassurante.