Jan Peter, 2014 (France, Allemagne)
En pleine période de commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, chaque chaîne y va de sa participation et de son documentaire : On a retrouvé le soldat Borical (Barcha Bauer, France 3, 2013), 4 hommes dans la Grande Guerre (Philippe Claude, la chaîne Histoire, 2014), Le soldat méconnu (Jérémy Malavoy, la chaîne Planète, 2014)… 14, des armes et des mots de l’Allemand Jan Peter est produit par Arte et participe bien sûr à cet élan mémoriel 1. Mais à l’inverse d’Apocalypse, la 1ère guerre mondiale (Isabelle Clarke, Daniel Costelle, production France 2, 2014), Jan Peter ne prétend pas à une histoire totale et spectaculaire. La démarche n’est pas anhistorique, les sources ne sont plus trafiquées ni maltraitées. Le commentaire ne cherche plus à inspirer la pitié 2. Au contraire de tout cela, le documentaire en huit parties 3 de Jan Peter a très bien conscience de ce qu’il est, de sa mise en scène et de l’utilisation qu’il fait des images.
Entre 1914 et 1918, la Première Guerre mondiale a entraîné l’écriture d’une masse de lettres, de carnets et de journaux intimes dont beaucoup ont été publiés sous des formats variés et dont beaucoup en raison de leur caractère privé sont restés inédits. Le documentaire s’appuie sur quelques-uns de ces écrits et permet ainsi de découvrir le conflit à travers des expériences personnelles. Plutôt que de s’intéresser à la seule histoire événementielle et politique, il part du vécu de ces individus, de leurs espoirs et de leurs détresses, et fait réapparaître des visages derrière les chiffres de populations déplacés, de soldats, d’infirmières, de mutilés ou de morts.
Sous la direction d’Oliver Janz (Professeur d’Histoire contemporaine à l’Université libre de Berlin, Directeur de l’Encyclopédie de la Première Guerre mondiale), Stéphane Audoin-Rouzeau (Co-directeur de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne) et Peter Englund (historien et écrivain suédois), les chercheurs et les écrivains qui ont aidé pour la préparation du documentaire ont brassé et étudié plusieurs milliers de documents personnels avant que quatorze personnages principaux ne soient choisis et ranimés pour ce film.
Quatorze personnages dont le destin est retracé grâce à des acteurs et des scènes reconstituées. Quatorze personnages qui permettent de donner des points de vue différents, de raconter des histoires originales et complémentaires de la Grande Guerre : des soldats volontaires ou non, des mères et des enfants, des hommes et des femmes de l’arrière, venant de partout en Europe. C’est par exemple, Marina Yurlova qui, à 14 ans, décide de faire le chemin à pied de son village natal vers un front du Moyen-Orient pour retrouver son père cavalier cosaque. Jamais elle ne le trouve dans le Caucase mais devient elle-même et dès les premiers mois de la guerre, une cavalière de l’armée russe. Elle échappe de peu à une amputation de la jambe, voit les conséquences des révolutions de 1917 et est faite prisonnière par l’Armée rouge. C’est aussi l’exemple de l’Anglaise Gabrielle West engagée dans une police féminine. Elle s’oppose à sa hiérarchie qui cherche à imposer des charges de travail supplémentaires aux ouvrières de l’armement 4. C’est encore Louis Barthas, un poilu survivant de Verdun et de la Somme, puis témoin des mutineries et de leur répression…
Si les dialogues sont fictifs, les textes rédigés par ces quatorze individus sont lus par extraits en voix off. Parfois, dans les reconstitutions, les protagonistes se tournent vers la caméra pour commenter ou exprimer leurs ressentis. Ils suspendent ainsi le temps du récit, le temps que l’historien tente d’analyser et qu’il interroge sans cesse. Un narrateur lie l’ensemble des destins décrits et, à l’aide d’images d’archives 5 et de cartes très simples, il change d’échelle et replace dans le contexte historique. Sur les huit heures du documentaire, plusieurs dizaines d’autres courts extraits de lettres venant du monde entier sont lus et illustrent un thème tout en rendant compte de la récurrence de l’horreur constatée ou de certains ressentis (à propos du départ à la guerre, des effets du gaz utilisé dans les combats, d’une mutilation…).
En invoquant la mémoire de quatorze personnages, du son des cloches qui partout se relayaient au début du mois d’août 1914, jusqu’aux mêmes qui, le 11 novembre à 11 heures, résonnaient à nouveau dans toute l’Europe, le documentaire explique les déplacements de troupes, les stratégies des uns ou des autres, les armes nouvelles (grenade à fragmentation, lance-flamme, tanks…)… Après La dictature des Khmers rouges (2012) ou Adieu camarades ! (2011), avec cette série documentaire, Arte montre à nouveau le soin apporté à ses productions historiques.
1 D’autres documentaires sur le sujet de la Grande Guerre sont produits par Arte comme Juste avant l’orage (Don Kent, 2014).
2 Apocalypse ne vaut pas mieux en cela que La rafle de Rose Bosch, 2009. Lire pour une comparaison un peu moins sévère mais tout aussi critique O. THOMAS, « Au cœur de la Grande Guerre », dans L’Histoire, n° 399, mai 2014, p. 30.
3 Les huit parties de 52 minutes chacune ont pour titre : Le gouffre (elle traite des causes de la guerre et du départ des soldats), L’assaut (sur les premières batailles), L’angoisse (qui traite de l’année 1915), La nostalgie, Le désastre (1916), La patrie, L’insurrection (notamment sur les révolutions russes de 1917) et Les ruines.
4 Le journal de Gabrielle West est conservé à l’Imperial War Museum de Londres et il est, parmi les écrits cités par le documentaire, un de ceux à ne pas avoir été publiés.
5 Les images d’archives proviennent de 71 fonds différents, très souvent des images qui n’ont jamais été exploitées. Elles ont été retrouvées (par exemple des images russes retrouvées au Texas lors des migrations de leurs propriétaires durant les révolutions de 1917), authentifiées, analysées (qui filme ? Sur quel territoire ? Que montrent-elles ?) et restaurées. Sur ces archives, entendre l’entretien de Jan Peter par Kathleen Evin dans L’humeur vagabonde sur France inter, émission du 29 avril 2014.