Quatre heures du matin, perdu dans les méandres de la nuit. Une nouvelle fois l'insomnie m'a attaqué de façon sournoise et pernicieuse, ne me laissant pas le loisir d'un repos dont j'ai pourtant grandement besoin. Que faire dans ces moments où l'on se sent délaissé, en marge du monde, pas assez éveillé pour être actif, pas assez endormi pour se laisse aller vers la somnolence ? Aller faire un tour dehors ne m'amuse plus, il n'y a rien à y faire. La monotonie dépaysante de l'obscurité n'apporte pas plus de réponses sous les étoiles que dans la semi-pénombre d'une chambre vide. Heureusement reste la fidélité éternelle de cette feuille blanche qui a l'immense mérite de ne jamais trahir, de ne jamais décevoir. Et pourtant aujourd'hui je sèche, je ne parviens pas à trouver d'idée exploitable ou d'angle de vue intéressant pour ma chronique hebdomadaire. Lassitude, essoufflement, manque d'inspiration ? Relax, prenons du recul, ce genre de choses ça va ça vient, pas de quoi paniquer...
La nuit porte conseil dit-on, mais l'insomnie est elle très mauvaise conseillère. Parce que dans la douleur que représente le fait de ne pas dormir, la moindre contrariété prend des allures de problème insurmontable. Si je n'arrive pas à sortir trois lignes d'affilée, aurais-je perdu la flamme ? Pour me rassurer, je me replonge dans mes chroniques de l'été dernier. C'est avec un petit sourire que je relis mes impressions d'expatrié, que je revis par procuration mon expérience un an après. Je m'étais bien amusé quand même à me livrer à ce petit exercice d'écriture, à changer de ton d'une fois sur l'autre, à m'essayer à plusieurs modes d'écriture. A l'époque ces chroniques occupaient l'essentiel de mes pensées pendant toute la semaine. Dès le lundi, je guettais le moindre petit évènement susceptible d'être exploité le week-end suivant. L'œil était en chasse à chaque instant, l'esprit dans une recherche insatiable du détail insignifiant mais malgré tout révélateur. Une veille permanente pour oublier que j'étais seul, loin de ma terre, loin de ceux et de celles que j'aime. Trouver désormais la même motivation lorsque l'on est dans la routine quotidienne est un casse-tête de tous les instants.
J'ai toujours vécu l'écriture comme une planche de salut, un exutoire pour exprimer toutes ces choses qui n'arrivent pas à sortir autrement. Il paraît que par chez nous, sur ce petit bout de la côte ouest, on est taciturnes, pour ne pas dire taiseux. Ce n'est pas qu'on n'arrive pas à parler des choses qui nous touchent, non, c'est juste que ce n'est pas dans nos habitudes. Un silence qui trop souvent m'a fait passer pour quelqu'un de distant, de circonspect. Il y en a pourtant des choses à dire derrière cette carapace protectrice. Alors depuis gamin, j'ai toujours cherché le moyen de m'exprimer d'une autre manière. C'est en écrivant mes premiers textes sans prétention, mes premières courtes chroniques que je l'ai trouvé, il y a de cela maintenant plusieurs années. Des lignes malhabiles gardées précieusement qu'il m'arrive de relire avec bienveillance et une pointe de nostalgie. Textes polémiques, ressentis personnels, rimes, écriture automatique, tout y est passé, avec plus ou moins de bonheur.
D'où me viens ce besoin d'écrire ? Je ne sais pas. C'est une envie sourde et profonde, une condition nécessaire à mon équilibre. Quand rien ne va, ou au contraire quand tout va trop bien, ce qui ne peut qu'être louche, seuls un stylo noir et une page blanche peuvent calmer mon esprit. C'est peut-être cette ambivalence noir-blanc qui m'attire. Ou alors la sensation de puissance de remplir des pages entières, sensation rassurante qui prouve que mon esprit est encore en vie, sensation enivrante de pouvoir continuer toute la nuit sans jamais s'arrêter, avec l'espoir de finalement avoir compris quelque chose sur soi-même. L'écriture automatique est quelque chose de tellement magique... Lorsque l'esprit s'efface, que le corps n'est plus qu'interface entre un cerveau en ébullition et une page blanche tout ce qu'il y a de plus calme. Et là, le miracle se produit. Des choses enfouies, insoupçonnées, qui émergent soudainement au coin d'une ligne. Ca peut faire peur à certains, en particulier à ceux qui ont la prétention d'avoir une vie carrée et maîtrisée, ces esprits rationnels qui ne connaissent ni le doute ni la remise en question. Mais qui peut réellement avoir cette prétention sans se mentir à soi-même? Les mystères de la pensée humaine sont tellement insondables...
Je ne pourrais jamais exprimer ma relation au stylo de façon aussi juste et poétique que Chien de Paille dans le sublime Maudits soient les yeux fermés (1). Mais parmi mes premières lignes maladroitement écrites sur un bout de feuille à l'époque du lycée, il y en a qui ont gardé tout leur sens et qui contiennent une certaine part de vérité :
Ecrire contre l'oubli(C'est donc ça nos vies... 19.05.2008) Ecrire pour exprimer ses ressentis
Ecrire comme exutoire face à cette vie
Ecrire pour ne pas se dire "tant pis"
Ecrire comme arme contre l'ennemi
Ecrire pour assurer sa survie
Quelques années après, certaines choses n'ont pas changé. Je me sens redevable de l'écriture car elle m'apporte équilibre et sérénité, de façon inexplicable. Comme une épouse compréhensive, nous nous sommes jurés fidélité. Et je n'ai pas dans l'habitude de déshonorer ma parole.