Difficile fin d’année pour le ministre en charge de l’Éducation Nationale ! Avec le sens du timing dont seul un imbécile ou un socialiste peut disposer, Benoît Hamon a donc décidé d’utiliser ce moment précis de la fin d’année pour émettre des remarques sur le système de notation en vigueur dans les écoles. Et si je parle de timing extraordinaire, c’est parce qu’Hamon propose une nouvelle réforme dans l’enseignement pile au moment où des grognements de plus en plus gutturaux se font entendre au sujet des épreuves du baccalauréat : oui, l’éducation en France est assez méchante, non, cela n’est pas normal, oui, il va faire quelque chose, ne vous inquiétez pas, bisous.
En effet, on apprend que l’Académie a été bien peu accommodante pour nos futurs étudiants dans les épreuves de physique-chimie, et que les épreuves de mathématiques ont été absolument abominables avec de la torture de félins tétraédriques.
Pour la physique-chimie, les réseaux sociaux ont résonné (à défaut de raisonner) du bruit mat des facepalms virtuels et massifs que nos lycéens se sont administrés en commentant l’épreuve qui leur fut infligée. À lire les tweets échangés, c’est un véritable massacre de chatons mignons auquel se sont livrés les rédacteurs du sujet.
Pour les mathématiques, l’ampleur de la catastrophe est encore plus importante puisqu’on comprend que les élèves n’avaient absolument pas prévu d’avoir à gérer un tétraèdre régulier, la géométrie en 3D en terminale S, apparemment résumée à une longue partie de Minecraft en multijoueurs, se contentant apparemment de cubes pour tout sujet. Si l’on y ajoute une étude d’une exponentielle très très méchante et quelques statistiques violemment urticantes, l’épreuve s’est transformée en supplice pour nombre d’entre eux. À tel point que nos lycéens, plus à l’aise sur les réseaux sociaux que devant une feuille de papier, se sont décidés à enflammer les intertubes avec l’une de ces petites pétitions de derrière les fagots histoire de bien ramoner toute la hiérarchie éducationnelle pour que cette abomination cesse enfin. Que voulez-vous, si, maintenant, en terminale S, on commence à faire des choses un tantinet velues en mathématiques, en physique et en chimie, où va le monde, mes petits amis, où va le monde ? Et puis, après tout, puisqu’on dit que le bac est donné, il faut le donner. Pas question qu’en plus, il y ait des contraintes de savoir et de niveau attachés. Le bac est un droit de l’Homme, merdalafin.
Vite, des bisous !
« Aujourd’hui, notre système d’évaluation souligne les lacunes et les échecs des élèves, ce qui peut être très décourageant pour certains »
Et il en sait quelque chose, notre ami Ben, lui qui a prouvé qu’avec une simple licence en poche, on pouvait devenir ministre à condition d’être inscrit au PS. Les notes, c’est délicat, ça peut stigmatiser un élève, ça peut paralyser ce petit être tendre aux yeux encore emplis de rêves avant que le système éducatif, froid et sans pitié, le broie dans une concurrence acharnée avec les autres, dans une compétition sans merci et, pour tout dire, ultranéolibérale jusqu’à l’os. D’ailleurs, Benoît le rappelle :
« Les jeunes Français sont ceux qui redoutent le plus l’erreur et qui s’abstiennent le plus de répondre ‘par peur de faire une faute’ »
Si on regrette que cette peur de répondre en disant de grosses bêtises ne perdure pas une fois devenu ministre, on doit s’interroger : combien de prix Nobel, combien de médailles Fields nous ont ainsi échappé parce qu’on avait brusqué un élève ? C’est horrible, quand on y pense, et les pleurs poignants des hordes lycéennes toutes affairées à signer électroniquement, entre deux selfies, des pétitions sur Facebook illustrent à merveille la détresse dans laquelle on jette ainsi la jeune génération française !
On peut être socialiste jusqu’aux tréfonds de son âme tout en gardant une âme d’enfant (pour certains, c’est même un prérequis indécrottable). Benoît n’en pouvait plus et c’est la voix chevrotante d’émotion qu’il a décidé de s’attaquer au problème avec l’une de ces merveilleuses inventions indispensables dont tout homme politique dispose dans son immense boîte à outils géniaux : une « conférence nationale sur l’évaluation des élèves ». Non seulement, le nom claque comme le fouet d’un Zorro de Prisunic, mais en plus ça donne tout de suite une ampleur certaine à son projet.
Rendez-vous compte : cette conférence nationale truc-machin va permettre d’associer dans un grand élan la communauté éducative et la société civile, c’est-à-dire, sans le jargon, les profs et les parents, le tout placé sous l’égide d’un Comité d’Organisation, avec un président et sept spécialistes de l’éducation qui organiseront des groupes de travail avec des post-its, des gommettes, des tableaux Veleda et des marqueurs rouges, verts, noirs et bleus, qui feront des enquêtes pratiques et des questionnaires astucieux. Ce sera génial. Après, il y aura « une semaine de l’évaluation », du 8 au 12 décembre, dans laquelle on boira du jus d’orange, on mangera du cake préparé par les enfants, on récupèrera les post-its et on s’échangera les gommettes. À l’issue de cette Consultation Nationale qui aura forcément réussi et produit d’excellents résultats dont tout le monde se félicitera en se tapant généreusement dans le dos, une réforme éducative sera inscrite au programme (ce sera la vingtième en vingt ans, à peu près), qu’on appliquera l’année d’après, et tout le monde sera content. Les participants ramasseront les gobelets de banga, les assiettes en papier, les feutres colorés, les gommettes inutilisées et quelques petits bouts de cake écrasés sous une table parce que Ginette en a fait tomber un peu en le découpant tout à l’heure, et ce sera bon.
Vous allez voir : la suppression des notes est en route, et rien ne pourra arrêter le train du progrès chauffé par Benoît, les pommettes déjà noires du charbon enfourné dans la formidable machine. Pour le moment, certes, il ne sait pas encore comment on va s’y prendre (des couleurs, des lettres, des petites annotations dans un carnet, des stickers avec des girafes amusantes au cou proportionnel à la note imaginée, allez savoir) et quel système on va bien pouvoir trouver pour endormir les parents et les enseignants, mais pour les élèves, c’est dans la poche (80% d’une classe d’âge, mes petits amis, 80% !). Et ce ne sont pas les syndicats qui risquent de s’opposer à la disparition de toute évaluation (pour s’en convaincre, il faut se rappeler Luc Chatel, l’un des précédents minustres à la place de Hamon, qui avait voulu évaluer les élèves et qui s’était heurté à une vague de protestation syndicale).
Et puisqu’on va bien se garder d’évaluer, on évitera donc de reprendre une année si elle n’a pas été assimilée. Autrement dit, le redoublement devrait être supprimé (ou à peu près). Sur cette question, Benoît a compris qu’il trottait dans un champ de mines et s’est donc montré plus évasif pour finir par dire, dans l’un de ses demi-sourires mous au regard vitreux qui laissent pensifs sur les hypothétiques processus mentaux à l’œuvre dans sa boîte crânienne :
« On peut concevoir qu’un certain nombre de connaissances attendues à la fin de la 6e ou du CE2 puissent être acquises plus tard. »
Plus tard, comme par exemple en troisième ou, de fil en aiguille, au baccalauréat. Vous voyez, petits lycéens maltraités par un sujet vraiment pas gentil : pas de quoi paniquer, le ministre pense à vous ! Bientôt, si vous loupez votre bac, vous l’aurez quand même puisqu’on pourra concevoir qu’un certain nombre de connaissances attendues à cette épreuve puissent être acquises plus tard.
L’avenir éducatif français se dessine, avec les traits d’un gros marqueur indélébile tenu par une main tremblante d’enfant capricieux qui bave un peu (l’enfant, pas le crayon) : ce sera gommettes pour tout le monde et redoublement pour personne. Moyennant quoi, dans quelques années si tout va bien, les lycéens pourront rentrer chez eux, heureux de n’avoir subi aucune stigmatisation mathématique méchante, en criant : « J’ai eu une pastille verte à mon bac ! »
Ça promet.
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