On a récemment chroniqué sur ce blog deux ouvrages précédents de Philippe Jaffeux, dont l’écriture relève selon maints critiques d’une poésie expérimentale, écriture que je qualifierais plutôt d’expérience radicale. N et O sont déjà parus (chez Passage d’encres et chez L’Atelier de l’Agneau). Ce copieux volume de 394 pages au format 21 x 29, 7 cm regroupe toutes les lettres du début de l’alphabet, de A à M.
L’ampleur du travail (des années de labeur) impressionne et force le respect. Comme Ponge prenait le parti pris des choses, Jaffeux prend le parti pris de la lettre comme élément de base constitutif de la langue. Chaque lettre de l’alphabet fait l’objet d’un traitement et d’un exercice différents. Pour chacune d’entre elles, une contrainte fixe le cadre. En voici quelques exemples.
La lettre B, intitulée « Suite . », présente 26 lignes sur chacune des 26 pages, soit 676 lignes ou 338 phrases disposées sur 2 lignes et encadrées par deux points finaux. Chaque page débute de plus en plus bas : aucun espace sur la première page jusqu’à 26 espaces sur la dernière.
La lettre D s’intitule « Entretien ? » car elle contient 676 questions classées dans l’ordre alphabétique. Les 26 réponses de chaque page sont disposées sur deux lignes soit 52 lignes et 51 interlignes.
La lettre F, intitulée « Lettre ! », présente 26 lignes sur chacune des 26 pages. La page A compte exactement 26 lettres A et ainsi de suite jusqu’à la page Z qui contient 26 lettres Z.
La lettre I, intitulée « Théâtre – », présente 52 lignes et 51 interlignes introduites par 26 tirets dans chacune des 26 pages, ainsi qu’un nouveau nom d’acteur, en italique, qui est toujours une anagramme du mot « alphabet ». La pagination se déroule en haut à droite et en bas à gauche afin de suggérer un jeu de cartes.
On le voit dans ces indications données par l’auteur, autant que la lettre, le nombre est essentiel : il structure et engendre à la fois le texte. Le procédé n’est pas nouveau, de grandes œuvres du passé obéissent à des compositions mathématiques. La Divine Comédie de Dante est entièrement régie par les nombres (le 3 et le 1, les tercets, les 33 chants du Purgatoire et du Paradis, les 33 + 1 chants de l’Enfer…). Mais Jaffeux, se situant en deçà des histoires, en fait une méthode et une machine productrice, il invente en continu et se renouvelant constamment.
Lancé sur l’aire de jeu du papier blanc 21 x 29, 7 cm, Jaffeux joue non seulement sur les mots mais aussi sur tous les autres éléments du langage écrit : les signes de ponctuation, la typographie, la justification, l’envers et l’endroit, le blanc de la page ou de la ligne, les distorsions visuelles, graphiques ou orthographiques. Le langage n’est plus utilitaire, au service d’une histoire ou docile au sens que lui imprime un auteur tout puissant : il raconte ses propres histoires selon des lois mécaniques.
Alphabet – de A à M, de Philippe Jaffeux, Passage d’encres, 30 € (+ 6 € de frais d’envoi).
Passage d’encres, Moulin de Quilio, 56310 Guern.
On a récemment chroniqué sur ce blog deux ouvrages précédents de Philippe Jaffeux, dont l’écriture relève selon maints critiques d’une poésie expérimentale, écriture que je qualifierais plutôt d’expérience radicale. N et O sont déjà parus (chez Passage d’encres et chez L’Atelier de l’Agneau). Ce copieux volume de 394 pages au format 21 x 29, 7 cm regroupe toutes les lettres du début de l’alphabet, de A à M.
L’ampleur du travail (des années de labeur) impressionne et force le respect. Comme Ponge prenait le parti pris des choses, Jaffeux prend le parti pris de la lettre comme élément de base constitutif de la langue. Chaque lettre de l’alphabet fait l’objet d’un traitement et d’un exercice différents. Pour chacune d’entre elles, une contrainte fixe le cadre. En voici quelques exemples.
La lettre B, intitulée « Suite . », présente 26 lignes sur chacune des 26 pages, soit 676 lignes ou 338 phrases disposées sur 2 lignes et encadrées par deux points finaux. Chaque page débute de plus en plus bas : aucun espace sur la première page jusqu’à 26 espaces sur la dernière.
La lettre D s’intitule « Entretien ? » car elle contient 676 questions classées dans l’ordre alphabétique. Les 26 réponses de chaque page sont disposées sur deux lignes soit 52 lignes et 51 interlignes.
La lettre F, intitulée « Lettre ! », présente 26 lignes sur chacune des 26 pages. La page A compte exactement 26 lettres A et ainsi de suite jusqu’à la page Z qui contient 26 lettres Z.
La lettre I, intitulée « Théâtre – », présente 52 lignes et 51 interlignes introduites par 26 tirets dans chacune des 26 pages, ainsi qu’un nouveau nom d’acteur, en italique, qui est toujours une anagramme du mot « alphabet ». La pagination se déroule en haut à droite et en bas à gauche afin de suggérer un jeu de cartes.
On le voit dans ces indications données par l’auteur, autant que la lettre, le nombre est essentiel : il structure et engendre à la fois le texte. Le procédé n’est pas nouveau, de grandes œuvres du passé obéissent à des compositions mathématiques. La Divine Comédie de Dante est entièrement régie par les nombres (le 3 et le 1, les tercets, les 33 chants du Purgatoire et du Paradis, les 33 + 1 chants de l’Enfer…). Mais Jaffeux, se situant en deçà des histoires, en fait une méthode et une machine productrice, il invente en continu et se renouvelant constamment.
Lancé sur l’aire de jeu du papier blanc 21 x 29, 7 cm, Jaffeux joue non seulement sur les mots mais aussi sur tous les autres éléments du langage écrit : les signes de ponctuation, la typographie, la justification, l’envers et l’endroit, le blanc de la page ou de la ligne, les distorsions visuelles, graphiques ou orthographiques. Le langage n’est plus utilitaire, au service d’une histoire ou docile au sens que lui imprime un auteur tout puissant : il raconte ses propres histoires selon des lois mécaniques.
Alphabet – de A à M, de Philippe Jaffeux, Passage d’encres, 30 € (+ 6 € de frais d’envoi).
Passage d’encres, Moulin de Quilio, 56310 Guern.