Pourquoi donc Hollande veut-il détruire 60.000 emplois ?

Publié le 25 juin 2014 par Juan

Ce n'est plus une question. 

C'est un doute, presque existentiel. 

Une énigme.



Son combat, c'est pourtant l'emploi. 
François Hollande s'attaque avec acharnement au chômage de masse hérité de la Grande Crise et de l'incurie de la droite au pouvoir une décennie durant entre 2002 et 2012. Dès sa prise de fonction, il a dû gérer un ralentissement généralisé des économies occidentales. Il a rapidement fait voter les contrats de générations - promesse de campagne; les emplois d'avenir - autre promesse de campagne. Début 2013, le chômage continuait sa progression sous toutes ses formes officielles. Hollande se risqua à promettre une "inversion de la courbe", autre néologisme de cette novlangue à la mode dans les cercles gouvernants de tous bords. La presse toute entière s'gita sur ce nouveau marqueur qui incarnait si facilement le story-telling officiel. Un an plus tard, le constat d'échec était évident, il ne fut pas nié. Reconnaissons à Hollande cette franchise-là.
C'est sans doute la seule chose qu'on pouvait lui reconnaître en la matière. Car il est un autre terrain où Hollande s'obstina sans comprendre. Les plus conservateurs du pays expliquèrent que le "coup de matraque fiscal" de la Hollandie triomphante avait eu raison de la reprise. Ces gens-là loupaient volontairement l'essentiel. Hollande devait redresser les comptes, et aussi la fiscalité trop clémente sur les plus fortunés, le capital et ses revenus. La gauche toute entière aurait du retenir cet effort.
En 2013, le coût des niches fiscales a enfin reculé. C'est déjà ça.
Hollande commit l'erreur de pratiquer le supplice chinois, maintes fois évoqué dans ses colonnes de blog. Plutôt que de cibler, il éparpilla la ponction fiscale. Il laissa quelques centaines de milliers de foyers pourtant précaires plongés dans l'imposition sur le revenu, perdant en cascade nombre d'aides sociales réservées à ceux en-deça du seuil de l'IR. Il augmenta la TVA à taux réduit, une mesure mal digérée même si elle n'eut aucun effet sur l'inflation.
Il y eut pire, le Pacte de responsabilité, annoncé tout-de-go le 14 janvier 2014. Depuis l'automne 2012, le président Hollande ajoutait pièce après pièce les éléments d'un puzzle non discuté pendant la campagne présidentielle, la Compétitivité. Ce socialisme de l'offre agaça d'abord lors du Crédit Impôt Compétitivité Emploi. L'affaire était significative mais loin d'emporter l'ensemble de la politique gouvernementale. Dix-huit mois plus tard, elle a pris plus d'ampleur. La Compétitivité a emporté tout sur son passage.  Le summum fut atteint début avril. Manuel Valls livra quelques clés pour comprendre jusqu'où cette affaire nous emmenait: seule une petite partie des 50 milliards d'euros d'économies serviraient donc à rééquilibrer les comptes publics. L'essentiel, soit 41 milliards, seraient rendus sous formes d'exonérations de cotisations sociales. Pour faire bonne figure, le premier ministre trouva quelques marges de manoeuvre pour alléger d'un peu plus d'un milliard l'impôt sur le revenu pour les foyers nouvellement imposables.
"La période 2002-2012 a été marquée par un accroissement régulier des déficits commerciaux, témoignant de la perte de compétitivité des entreprises françaises, et du creusement des déficits budgétaires, qui a entraîné une croissance ininterrompue de la dette." Extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 11/06/14
Au final, le mauvais scenario s'installe dans toutes les têtes au sommet de l'Elysée: la consommation est faible, la demande s'affaisse, l'économie ne repart pas, les impôts rentrent moins bien. Mais on s'obstine à penser que réduire la pression fiscale sur les entreprises, et couper en conséquence dans les dépenses publiques, va relancer la machine. Mardi 24 juin, l'INSEE table sur une croissance faible, un microscopique 0,7% cette année, et encore un chômage en progression pendant toute l'année. "Les espoirs d'une vraie reprise cette année s'amenuisent", commentent les Echos ce mercredi 25 juin.
Les arguments de l'institution publique sont tristement prévisibles, pour qui veut bien les lire avec lucidité: "La réduction de la dépense publique va peser sur l’économie en 2014. Les salaires grimperont eux, faiblement dans un contexte de chômage toujours élevé, et le pouvoir d’achat des ménages s’améliorera surtout grâce à la faiblesse de l’inflation." Il y a pourtant encore des économistes néo-lib pour justifier cette "politique de l’offre, nécessaire pour redresser les marges des entreprises".
"La croissance est le fil rouge de la politique économique : c’est d’elle dont dépendent les créations d’emploi dans le secteur marchand, et donc le pouvoir d’achat de nos concitoyens ; c’est aussi d’elle dont dépend la vitesse de correction de nos finances publiques." Valérie Rabault, rapport à l'Assemblée nationale, 18 juin 2014

Puis, un nouveau choc. L'attaque est venue de l'intérieur. 
Valérie Rabault est la nouvelle rapporteuse (socialiste) du Budget à l'Assemblée. Elle a pris a relève de Christian Eckert, parti au Budget dans l'équipe Valls en avril dernier. Le 12 juin, Madame Rabault a déboulé dans les bureaux de Bercy pour se faire communiquer les estimations internes sur l'impact du plan d'économies de 50 milliards d'euros. Chez Michel Sapin, ministre des Finances, on n'a pas apprécié la démarche.
Quelques jours plus tard, la député livre les résultats de son enquête. On put lire son rapport sur le site de l'Assemblée, publié le 18 juin. Nos éditocrates sont gênés. Il fallait écouter Philippe Lefébure, éditorialiste économique sur France Inter, reconnaître lundi matin l'ampleur de la nouvelle: "certes, il manque, dans cette estimation, l'effet positif sur l'emploi du CICE (Bercy ne l'a pas donné). Valérie Rabault précise aussi que ne pas redresser les comptes publics aurait des effets bien pire encore mais quand même, les chiffres qu'elle a réussi à extirper de Bercy, et qu'elle a décidé de rendre publics, tombent mal. Ils vont, immanquablement, alimenter la fronde de ceux qui, au PS et ailleurs, réclament une "autre" politique".
Sans rire.

La députée socialiste avait  juste fait son job, expliquer les impacts de la politique gouvernementale pour éclairer la représentation parlementaire avant qu'elle ne débatte puis vote le pacte de responsabilité.
Les "révélations" sont les suivantes:
1. "Les 50 milliards représentent une réduction des dépenses de plus de 2 points de PIB, soit un impact négatif sur la croissance de 0,7% par an en moyenne, entre 2015 et 2017. " L'effet récessionniste de cette fuite en avant est là, chiffré.
2. "Ces économies pourraient entraîner la suppression de 250.000 emplois, à l'horizon 2017." La députée modère son propos: "une partie de cet impact sera neutralisée par l'adoption concomitante de mesures fortes en faveur de la réduction des charges des entreprises et du pouvoir d'achat des ménages dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité", soit à peine 190.000 créations d'emplois d'ici 2017. Arrêtons-nous sur le chiffre: 41 milliards d'euros d'exonérations de charges pour ... 190.000 emplois de créations d'emploi "supplémentaires" ? Où est passé le million d'embauches promis par Pierre Gattaz, le patron du Medef ? Ou les 2 millions qu'espérait urgemment Arnaud Montebourg
3. La Rapporteure attend davantage de chiffrages: "Des simulations complémentaires sont donc nécessaires pour disposer d’un chiffrage global sur l’effet des mesures d’économie et de relance (CICE et pacte de responsabilité) appliquées concomitamment, et non plus séparément comme cela a été présenté jusque-là."
4. Dans son rapport, Valérie Rabault fustige déjà la baisse des recettes fiscales constatée en 2013 - près de 5 milliards d'euros de manque à gagner. La fuite en avant ? L'Etat a du trouver la somme en gelant d'autres crédits publics dont 600 millions sur l'UNEDIC (l'indemnisation chômage), 300 millions sur le fonds national d’aide social de la CNAF, 300 millions de gel de prestations sociales dès 2014, et "1,6 milliard d’euros d’économies supplémentaires sur le budget de l’État" (Défense, écologie, Justice, etc).
5. L'impact net du Pacte de Responsabilité serait donc évalué par les services de Bercy à une perte nette de 60.000 emplois. Les intéressés ont évidemment démentis la réalité des révélations. L'explication de Michel Sapin, ministre des Finances, fut délicieux: "Ce n'est pas Valérie Rabault qui a fait les calculs, ce sont un certain nombre d'économistes qui font des calculs de cette nature qui sont des calculs complètement en chambre, des calculs extrêmement théoriques". Sortez les rames... Sapin complète: "Elle s'appuie sur une évaluation de la Direction générale du Trésor qui se fonde sur des hypothèses de ce que pouvait être le plan d'économies". Répétons avec nos mots: les évaluations de Bercy, sur lesquels ce même ministre se base quotidiennement pour son story-telling seraient donc fausses quand elles sont publiées et contraires à ses thèses ?
Détruire 60.000 emplois au nom de la Compétitivité ?
Cette information est terrifiante pour l'Elysée. L'argument générique - tout pour l'emploi, qu'importe le prix - est éteint.
Qui peut comprendre ?
Allez comprendre.