"On n’est pas là pour rigoler !" nous rabâchait-on déjà sur les bancs de l’école. Avec les années, le constat ne s’arrange guère. Un carré de chocolat, une bouffée de cigarette, la saveur d’un bon verre de vin : autant de plaisirs innocents désormais trop coupables, qu’il faudrait presque "oser" revendiquer sans avoir à baisser les yeux. Imaginez l’insolence. Qu’on le veuille ou non : céder, c’est culpabiliser. Sans oublier l’impératif de se justifier une fois le crime accompli, quitte à en faire des tartines plus grosses qu’un pot de Nutella.
La honte. La cuillère de trop, la gorgée de travers : un rien suffit pour que la mouche devienne éléphantesque. Si seulement la coupe de champagne pouvait en faire autant et muter en magnum ! Rien d’étonnant à ce que l’happy hour tourne au vinaigre quand le bon vivant se voit traité d’alcoolique, d’irresponsable et de goinfre, le maudit verre étant toujours à moitié vide. Gare à celui qui vit un pied en dehors des convenances, car l’oeil inquisiteur de Sauron n’est jamais très loin pour lui rappeler le poids de sa faute. Rien ne gâche son plaisir, les occasions ne manquent pas. "Craquage", "tentation", "écart", voire "pêché", que reste-t-il des réjouissances de la vie lorsque même les mots interdisent d’y goûter ? La rechute. Diabolisée à outrance, l’évocation d’une douceur suffit désormais à couper l’appétit, comme si l’épicurisme menait nécessairement à l’orgie gargantuesque. Plutôt que de juger la descente du voisin ou la fréquence de son lever de coude, commençons d’abord par mettre de l’eau dans notre propre vin. Et cessons donc de culpabiliser à la moindre tentation, au risque de finir plus aigri qu’un mauvais pinard. Quand certains préféreront s’abstenir sous couvert de bonne conscience, mieux vaut boire du rouge que broyer du noir. Avec modération bien sûr, histoire d’être d’attaque pour cueillir demain.