[Critique] Christine and the Queens – L’album Chaleur Humaine se partage

Par Neodandy @Mr_Esthete

Le 02 Juin 2014, Héloïse Letissier cache théâtralement ses passions et son talent derrière un nom de scène, Christine and the Queens. Elle partage un premier album, Chaleur humaine, composé en tout et pour tout de 11 pistes. Du côté du contenu, presque tout est écrit et composé par Christine and the Queens à l’exception du titre "Paradis Perdus" emprunté à Christophe. Le résultat musical est le fruit de morceaux et d’instantanés vivifiants à découvrir : des impressions, des petits bouts de vie qui ne prennent forme que par le partage lyrique. Le propos de "Chaleur humaine" n’est autre que l’accomplissement dans une vie de réussites dues à des facteurs aléatoires : de bonnes personnes, de belles rencontres, l’oreille musicale et le fait de rendre un album indépendant sur pied.

   L’indépendance est une niche qui ne prend forme que sous le coup du talent. Ne reste plus qu’à l’artiste concerné de faire de cette forme un atout de lancement pour croitre et, au possible, se constituer un public. Héloïse Letissier montre qu’elle sait transformer ce savoir-faire : en faisant les premières parties de concerts de Stromae, la chanteuse à l’anglais et Français parfait sait aussi manier les thématiques de société sur des rythmes effrénés. "iT", la première piste, ouvre Chaleur humaine sur des vers aussi littéraires que graves : "She’s a man now" clame Christine tandis que, pour l’une des rares fois dans l’album, les chœurs nommés "Queens" rétorquent à leur tour : "And there’s nothing we can do". La nuit, le travestissement et les paillettes sont présentés comme le "genre neutre" sur des synthétiseurs en trois temps rythmiques. L’une des plus belles réussites et, à notre bonheur, non la seule.

Chaleur humaine n’est pas un album de tubes : il place chaque titre dans une continuité de réussite simple.

   Littéraire et plus abstraite, Chaleur Humaine l’est indubitablement. Notre coup de cœur Science-Fiction est à l’image de nombreux autres sensations de l’album : les vers se suivent nominalement. Rares sont les verbes qui complètent ce qui, à s’y méprendre, pourraient être des pensées à voix hautes "mis en scènes". Des rêveries pourtant accessibles et dont l’univers est palpable à chaque nouvelle note. Aux côtés des synthétiseurs réglés sur la répétition de répercussions légères et ondulantes, chœurs en Italien et guitares électriques s’avèrent d’une complémentarité redoutable pour en apprécier simplement une articulation "rêvée". Les paroles fusionnent admirablement et électroniquement à une simplicité redoutable.

   Les spécialistes musicaux verront probablement dans l’album de Christine and the Queens ce que l’on nomme à outrance " des machines à tubes". Ce fut "Saint Claude", le deuxième titre du CD, qui donna toute la tonalité promotionnelle de Christine and the Queens 1er album. Cet acte introductif est aussi le visage à double tranchant de Héloïse Letissier : une voix reconnaissable parmi nmilles autres dégagent des fragments d’une écriture notable et extrêmement lettrée. Deux lectures s’offrent à l’auditeur : l’audace d’une piste extrêmement douce et quasi veloutée à l’air facile à retenir ou le plaisir des mots par l’écoute pure et désintéressée.

   Un premier essai qui s’appuie sur d’autres belles bases. Un peu plus de 10% de Chaleur Humaine tire son identité du précédent CD EP "Nuits 17 à 52" qui, qualitativement, profilait d’autres morceaux d’exception. L’extrait éponyme est dominé par un classique et traditionnel piano où Français et Anglais expriment mélancoliquement un instant de vie. Entièrement dans la langue régnante à Londres, Narcissus is Back strie le rythme par des saccades synthétiques. Entrecoupées, les impressions donnent l’effet d’un accéléré souvent ralenti et, finalement, éclairé de la voix de Christine. La définition de la Pop’ par Christine and the Queens est l’histoire d’une appropriation certaine dont le style fonde les piliers d’un univers singulier et inspiré.

La Chaleur humaine, l’histoire d’une transmission à ne surtout pas manquer dans l’horizon musical Francophone.

   Fer de lance et véritable leitmotiv, le titre Chaleur Humaine n’est que quelques poétiques transmissions. "La non-beauté des nudités" et être "Contre les chastetés" comme l’affirme Christine and the Queens est positivement remplacée dans l’appareil modeste du "contact humain". "Ce gamin là" signale-t-elle est la clef de la "Chaleur humaine" : loin de l’ostentation, une incroyable onde positive est transmise à travers une subtile gradation sonore :
" Je suis contre les chastetés,
Ces refus à bouche fermée,
Qui font du corps blond un corps habillé,
Et sonnent le glas des frivolités car,
Ce gamin-là [...]"

La personne, cet homme, celui-ci : il n’est autre qu’une personne dans la masse mais capable de donner autant qu’il présente de banalité. Une entité humaine pourtant unique, la sienne ou la notre pour quelques auditeurs : des messages tout en retenu passent avec une efficacité redoutable du point de vue des impressions et sensations auditives.

La Chaleur Humaine est une dédicace dédiée à des millions d’individus. Un message qui guide l’album.

   "Half Ladies" présente, en sons sens, le schéma traditionnel des morceaux choisis pour représenter Chaleur Humaine. Les voix de chant se scindent à des élévations électroniques principalement répétées. L’écho, le choc, les propos ne se rendent sophistiqués que par un alliage en de nombreux points de vue d’une fonctionnalité idéale. Paroles simples qui, mêlées aux instruments traditionnels musicaux et à la confiance d’un réglage synthé’. La répétition des formules peu à peu éloignée dans le temps du morceau; ce sera aussi une formule menée rondement par la onzième piste "Here". En dehors du refrain, le style associe la répétition pour un brouillard musical maitrisé. La mélodie, peut-être parfois trop facilement, reste et persiste comme une chanson aux paroles loin de respirer l’aisance. Tout se joue dans la nuance de la parole, des mots pesés, des sous-entendus et d’un implicite d’une rare élégance. En dépit de sanglots longs au violon lors de la piste finale, d’une opinion personnelle cela va de soi, Chaleur Humaine a un message rare à transmettre. S’inspirer pour créer et concrétiser un univers inédit et connu, accessible mais élégant.

  

 Au final, la 1ere grande réalisation de Christine and the Queens est une œuvre collaboratrice. Plusieurs savoirs-faire, plusieurs mises au point et mixages ont finalisé Chaleur Humaine comme une œuvre en toute retenue émotionnelle pour un impact séduisant. Avouons-le : le Blog La Maison Musée a littéralement été conquis par l’audace, des paroles incroyablement abstraites et métaphoriques pour être un air subtil de nouveauté. Une nouveauté … Totale ? Pas exactement puisque le morceau 5 est sous l’inspiration de Jean-Michel Jarre, roi de l’électronique Français; et, l’ensemble des 11 morceaux est une réminiscence lyrique à un genre rétro-renouvelé. Des inspirations issues d’années passées comme mixées et remises à une actualité plus pointue, pourtant intimiste et d’une force rare par la répétition de ces paroles. La chaleur humaine est une histoire d’une transmission : indéniable, rare et qualitativement élevée dans son ensemble.