Je n’avais pas anticipé la mort de mes héros quand j’étais jeune. Je savais, comme tout le monde, qu’un jour ou l’autre on voit disparaître ses ainés, sa famille et ses proches, pour se retrouver de plus en plus vieux et entouré de fantômes. Mais la mort de mes héros personnels, je ne pensais pas que cela m’affecterait. La mort de Sergio Leone fut déjà un choc, plus dû à sa soudaineté inattendue qu’au traumatisme provoqué alors par sa disparition. C’est à la mort de Franquin en 1997 que j’ai réalisé que j’allais devoir composer avec la disparition de tous ceux qui ont constitué mon identité culturelle, que le processus serait inéluctable et douloureux. Après tant d’autres depuis, c’est au tour d’Eli Wallach, qui par son rire, son jeu, son personnage était comme un proche pour beaucoup d’entre nous. Curieusement, une image de lui qui me revient souvent est celle de sa participation au Parrain 3, car je m'étais rendu compte à cette occasion que je tenais à lui. Sa disparition me touche, comme me touchera la disparition de son acolyte Clint Eastwood, comme me touchera la disparition de Pierre Richard quand elle arrivera, comme me touchera la disparition de tous ces acteurs, auteurs, dessinateurs, rock stars ou sportifs que j’ai pu suivre à un moment ou à un autre de ma vie. Je me demande s’il existe une étude quelconque sur le processus de deuil de son entourage culturel. Et je ne veux pas parler de ces deuils collectifs hystériques lors de la mort de Lady Diana ou Michael Jackson, mais bien d’un deuil intime pour ces personnalités moins connues mais tout aussi importantes pour tout un chacun, et dont les décès nous rappellent le temps qui passe.