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"Le Milieu de l'horizon" de Roland Buti

Publié le 24 juin 2014 par Francisrichard @francisrichard
"Le Milieu l'horizon" Roland Buti

En 1976, il n'était pas encore question de réchauffement climatique. Ce n'était pas tendance. Et pourtant l'Europe a connu cet été-là une canicule mémorable, et isolée. La preuve, je m'en souviens...

Le roman de Roland Buti, Le Milieu de l'horizon, se passe à ce moment-là, dans cette chaleur improbable, propice aux ruptures de temps, dans les deux acceptions du terme.

Auguste Sutter a treize ans, cet âge incertain où l'on n'est bientôt plus un enfant, sans être pour autant un adulte, où l'on est adolescent, cet entre-deux. Auguste est encore Gus pour les siens et lit le Journal de Spirou.

Le père de Gus, Jean, est paysan et fier de l'être:

Pour lui, les historiens avaient toujours minimisé le travail têtu des paysans qui avaient modelé le paysage et nourri ceux qui pouvaient alors se consacrer à d'autres tâches plus visibles et plus prestigieuses.

Il a une exploitation qui comporte des terres cultivées, des prés et surtout une poussinière, dans laquelle il a investi des centaines de milliers de francs:

Papa pensait que le poulet rôti jusque-là servi cérémonieusement le dimanche à la table familiale des bourgeois ne pouvait que se démocratiser.

Il voyait juste. Mais si voir juste est nécessaire, c'est insuffisant pour réussir...

Pour l'aider, il a Rudolf Biedermann, Rudy, le fils demeuré d'un cousin éloigné du Seeland. Qui a dépassé la trentaine et vit seul, mais ne désespère pas de trouver l'âme soeur:

Chaque femme qu'il avait l'occasion de croiser, jeune ou vieille, belle ou laide, était celle qui depuis si longtemps lui était destinée, mais qu'un malheureux concours de circonstances avait jusque-là tenue loin de lui.

La mère de Gus, à trente-quatre ans, a l'air d'une fillette. Pourtant elle mène une vie étriquée. Elle souhaiterait qu'elle le soit moins pour ses enfants:

Maman était en permanence occupée à une multitude de tâches accaparantes qui devaient l'empêcher de trop désespérer.

La soeur de Gus, Léa, est son aînée de quatre ans. Elle est musicienne. Elle fait un distinguo entre culture et nature. Son frère relève de la deuxième catégorie...

Le grand-père de Gus, Annibal, que tout le monde appelle Anni, a pris sa retraite:

Depuis qu'il avait remis l'exploitation à papa, c'était pour lui un point d'honneur de ne plus se mêler de rien, de laisser à son fils la maîtrise totale des affaires; lorsqu'il passait à la maison, il ne faisait jamais aucune remarque sur la marche de la ferme, exactement comme si elle ne lui avait jamais appartenu.

Bagatelle est la jument de la ferme. Elle a vingt-sept ans et a l'air d'attendre la mort sans jamais fermer les yeux ni pouvoir se coucher pour dormir.

Sherif est le chien de la ferme. Il a une fâcheuse tendance à tourner de l'oeil... sous cette chaleur caniculaire.

Madeleine, Mado, est une fille de l'âge de Gus. Elle tourne autour de lui. Elle se colle et se frotte à lui, comme un petit animal...

Non seulement les éléments - un violent orage succède un jour à la sécheresse estivale -, mais le comportement des êtres - notamment l'irruption de Cécile, l'amie de sa mère, dans leur vie -, vont perturber leur univers et Gus, bien malgré lui, sera obligé de grandir pour devenir Auguste.

Et puis treize ans est, à l'époque, l'âge des premiers émois, et le corps de Gus réagit à la vue nocturne de Cécile, en chemise de nuit, venue boire du lait à la cuisine, ou quand le corps de Mado se frotte à lui dans l'eau froide du réservoir qui alimente les robinets du village...

Roland Buti, très naturellement, restitue cette atmosphère lourde de la campagne écrasée de soleil, puis accablée sous un ciel dur, prêt à se déchirer. Sous la pression qui monte, les êtres se font plus violents et les senteurs qui émanent d'eux plus fortes. Quand la pression retombe, il ne reste plus qu'à faire l'inventaire des dégâts...

Francis Richard

Le Milieu de l'horizon, Roland Buti, 192 pages, Zoé


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