Le titre n'est pas bon, je le reconnais tout de suite. Je n'ai pas envie d'en chercher un autre dans l'immédiat, désolé, c'est le contenu de cette note qui m'intéresse, pas son titre.
Et si j'écris ce matin (NdA : cette note a en réalité été écrite il y a deux ans et jamais publiée, je viens de la lire et de décider de la publier en 2014, tout colle assez bien, sauf l'allusion à ce matin, désolé, ce n'est plus le même) c'est à la suite d'une série de questions qui portent sur l'auto-édition, autour du refrain très souvent repris ces derniers temps :
« Que pensez-vous de l'auto-édition ? »
ou
« Que pensez-vous de l'édition à compte d'auteur ? »
Avant l'ère numérique, ma position était très claire : pas question de payer pour publier un livre. Si un éditeur demande à l'auteur de contribuer, c'est qu'il ne fait pas son métier, point final. Le débat s'arrêtait là. Par conséquent, un auteur qui acceptait le compte d'auteur ou l'auto-édition, à mes yeux, était un sous-auteur, un réprouvé ou un imbécile, soit qu'il avait été refusé partout et finissait par payer pour imprimer lui-même son texte, soit qu'il était trop bête pour comprendre la farce éditoriale dont il était le dindon.
En clair, donc :
avant, c'était très simple
Compte d'auteur = arnaque
Auteur auto-édité = pigeon
Livres auto-édités = bouquins à éviter
Précisons tout de même : si je méprisais complètement les ouvrages publiés par cette voie, je n'encensais pas pour autant tout ce qui était publié à compte d'éditeur, je vous rassure. Il s'imprimait bien des merdes à bon nombre d'exemplaires, là n'est pas la question, d'ailleurs
Depuis l'arrivée d'Internet et des outils de diffusion en ligne, tout cela s'est compliqué. Dès 1997, j'ai ouvert mon site (à l'époque, hébergé gratuitement sur Geocities.com, jusqu'à ce que l'hébergeur disparaisse avec tout mon contenu en ligne puis sur iBelgique.com, où l'histoire s'est répétée) et j'ai publié des textes en ligne. De fait, je m'auto-éditais pour ces textes-là. Je ne vendais rien du tout, je me contentais de diffuser, d'offrir, de partager.
Et là, tout d'un coup, ça ne m'embêtait pas d'être à la fois l'auteur et l'éditeur. Fallait surveiller l'orthographe, lire et relire, prendre de la distance et, bien entendu, tendre l'oreille pour tenir compte des commentaires des nombreux lecteurs en ligne. La masse de lecteurs remplaçait efficacement les compétences des quelques lecteurs professionnels d'une maison d'édition qui nettoient les textes avant leur publication.
Pourtant, aujourd'hui, quand je vois nombre d'auteurs publier eux-mêmes leur romans en ligne, sur Amazon, sur l'Apple Store, sur leurs sites, leurs blogs et passer leurs journées à faire de la pub sur les réseaux sociaux, je sens qu'il manque quelque chose d'essentiel.
Non, pas l'éditeur. Franchement, avec une bonne équipe coopérative (voir l'édition interdite de Crouzet, par exemple), on peut réunir les mêmes compétences pour retravailler le texte.
Non, ce qui manque, c'est la figure d'auteur.
J'ai déjà expliqué en détail qu'à mes yeux un auteur n'est pas simplement une femme ou un homme qui écrit (relisez cette note, tiens, par exemple), qu'il faut autre chose aussi.
Je pense surtout qu'un auteur n'est pas un vendeur de livres. Ni hier ni aujourd'hui. L'auteur est celui qui rédige le texte, qui le pense, qui le mûrit, qui le triture, qui le pétrit puis qui le polit.
Qui le lit par la suite, qui en discute, qui le défend.
Mais jamais celui qui le vend, non.
Les gens qui vendent des livres sont des libraires et des éditeurs.
Les auteurs écrivent des textes.
Les auteurs aiment les donner à lire mais ils ne sont pas là pour les commercialiser.
Cela me semble du moins incompatible avec la figure de l'auteur, ce petit conglomérat imaginaire de qualités qui constitue un écrivain à mes yeux.
Quelles qualités devrait-on y trouver ?
En vrac :
- la distance et le recul par rapport au monde ;
- le bonheur d'écrire ;
- le plaisir de discuter de mots, de langue, d'histoires, de personnages et de bouquins ;
- l'attention aux rythmes secrets qui secouent les phrases, au trébuché des mots, à la saccade des idées et au déferlement des images ;
- le goût du partage, de la discussion, de l'approximation et du paradoxe qui aident à mieux cerner l'inconnu, à apprivoiser l'inacceptable ;
- un culte infini pour les histoires et leur magie toute puissante ;
- la certitude permanente d'être un incapable qui fait de son mieux ;
- et ainsi de suite...
Nulle part, là-dedans, je n'ai envie de faire rentrer des compétences commerciales. Un auteur n'est pas un bon vendeur, en tout cas pas un bon vendeur de ses propres œuvres.
Autant un auteur peut me donner l'envie d'en lire un autre (rien de plus contagieux que la passion d'un auteur pour l'œuvre d'un autre écrivain), autant, l'auteur en séance d'auto-promotion, forcé de souligner son propre génie me dégoûte, me repousse, me terrifie.
L'auteur n'est pas là pour encenser son propre travail. Il est là pour douter de ce qu'il fait et tenter d'améliorer ses textes. Il ne s'engage pas à vendre davantage à chaque nouveau titre, il s'engage juste à aller plus loin plus profond et plus fort. A aller là où il n'est jamais allé lui même.
Il écrit mais ne vend pas.
Il peut partager, offrir, échanger. Pas promouvoir.
Voilà pourquoi j'ai tant de mal aujourd'hui avec les auteurs auto-édités : leurs manœuvres pour pêcher les lecteurs (pour attirer le chaland, pour accroître leur chiffre d'affaire) sont incompatibles avec l'image que je me fais d'un auteur. Elles les discréditent définitivement à mes yeux.
Arrivé au bout de cette note, je me rends compte que je ne sais toujours pas vraiment ce qu'est un auteur. Dans mon cas, c'est sans doute tout simplement quelqu'un qui parle trop.
Un bavard.
Oui, c'est ça, un bavard qui, incapable de se taire, fait passer son vice pour de la littérature.