23 - 06
2014
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J'ai écrit ce post en avril 2006, je n'en change pas un mot, ce film est terrifiant plus par ce qu'il ne montre pas que ce qu'il montre, un chef-d'oeuvre du genre...
Une étudiante en communication prépare une thèse sur la violence dans les médias. Son professeur lui parle d'une vidéo mais il est retrouvé mort en la visionnant...
NOTES.
Je crois que je vais aller me servir un fond de scotch avec de la glace et griller une cigarette… On vient de passer « Tesis » sur le satellite, c'est le diable, Amenabar… Un génie… des ténèbres… pas étonnant que les américains lui rachètent ses scénarios… On se souvient que Tom Cruise avait fait un remake du second film d'Alejandro Amenabar «Ouvre les yeux» et produit son troisième film «Les Autres». Trois films, un seul thème : la mort. On peut dire que le réalisateur avait frappé fort avec son premier film «Tesis» (la thèse) ! Comme l'a dit le présentateur, outre la mort, thème ancré culturellement en Espagne, le film aborde deux sujets : qu'est-ce qui conduit le spectateur averti à regarder l'horreur, tel Orphée aux Enfers ... Participe-t-on à l'horreur en en étant le spectateur ?
La première scène donne immédiatement le ton du sentiment claustrophobique qui va aller crescendo tout au long du film : l'obscurité, une annonce au micro, des gens dans le métro plongé dans le noir, on comprend qu'un homme s'est jeté sous le train, les passagers évacuent les wagons. Parmi eux, une jeune femme brune, Angela (Ana Torrent), préoccupée, sérieuse, le visage fermé.
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Dans le bureau de son maître de thèse, Angela, étudiante à la fac de cinéma de Madrid, qui prépare un mémoire sur la violence dans les médias, demande à son professeur de lui procurer, via les archives privées de l'université, des vidéos de films les plus violents possibles. Réponse du prof «ça va être difficile de demander ça à la vidéothèque, ils vont me prendre pour un sadique !» A la cafeteria de la fac, Angela aborde un étudiant au look baba, Chema (Fele Martinez), chacun son walk-man sur les oreilles, écoutant l'un du rock, l'autre du classique, la bande son alternant les deux styles de musique quand la caméra filme l'un ou l'autre. Quand elle lui demande de lui prêter des films violents, il raille « va donc dans un sex-shop ! ». Cependant, le lendemain, Chema propose à Angela de l'accompagner immédiatement chez lui, cinéphile obsédé d'hémoglobine et de porno gore, il va lui montrer sa vidéothèque…
Le coup de force d'Amenabar, c'est que dans les quelques minutes suivant le début du film, les projections des snuff movies commencent et s'enchaînent sur l'écran de la télé de la chambre de Chema… Et ça revient habilement à nous passer, à nous, spectateur, les vidéos de ces meurtres véritables filmés en plan-séquence que sont les snuff movies, on est horrifié… Ce n'est certes pas moi qui serait en mesure de vous donner le détail de ces projections car j'en ai zappé la plupart mais, quand on ne montre pas les images, les cris sont presque pires… Pour certains passages, j'ai aussi coupé le son… Mais pour coller à la démonstration annoncée du film du pourquoi et dans quel but on reste regarder ces horreurs, je suis restée quand même regarder la suite… prise en otage par la curiosité d'Orphée se retournant aux Enfers, cobaye et spectateur… Comme on l'a compris, pour Angela et le spectateur, même combat, même sentiment de parano, d'effroi, de dégoût, à soupçonner tout et tout le monde, une vraie expérience sensorielle totalement omniphobique…
Le vieux maître de thèse ayant été trouvé mort en regardant une vidéo d'une snuff movie avec une jeune fille, Vanessa, torturée, assassinée, dépecée, Angela vole la bande et l'apporte à Chema. Ensemble, ils vont enquêter pour découvrir le réseau. Prise en tenaille entre Bosco (Eduardo Noriega), le séduisant copain de Vanessa, et Chema, l'ermite voyeur, Angela soupçonne alternativement les deux jeunes gens, étudiants en cinéma, ayant pour point commun de la trouver à leur goût. Dans cette atmosphère saturée de mort et de violence, point une histoire d'amour entre Chema qui aime Angela attirée par Bosco.
L'intelligence du film, entre autres choses, c'est d'avoir commencé par le pire : les images des snuff movies et de poursuivre le film par la recherche des coupables. Mais les images effroyables de la première partie restant imprimées sur la rétine du spectateur, la suite du film n'est alors qu'une interminable angoisse à trembler qu'Angela subisse le même sort que les cinq jeunes filles disparues en deux ans. Tout comme Angela, on se met à se méfier de tout, à sursauter au moindre bruit, à surveiller la porte, à redouter le téléphone, et jusqu'à la fin du film, Amenabar nous ballade.
Le film tourné en couleur a les tons d'un noir et blanc verdâtre de lieux privés de la lumière du jour : caves, sous-sols, bibliothèques vétustes, salles obscures, appartement de Chema aussi pimpant que celui de Brad Pitt dans «Fight club» avec un vieux slip sale sur une chaise, une marée de vieilles tennis pourries sur le sol, des affiches gore aux murs… L'image est souvent filmée en clair-obscur brun, un hommage aux peintres espagnols comme Velasquez, des sortes de petits tableaux de lieux vides et mi-clos vus de l'extérieur. Certaines scènes où Angela se retrouve en position d'être agressée ou celles des bandes de surveillance de lieux du crime sont filmées à travers la caméra en noir et blanc des vidéos, un procédé efficace pour mettre le spectacteur en situation de voyeur au plus près de l'horreur.
Ana Torrent, mince, pâle et brune, le visage émacié, a les coloris du décor dans ce rôle d'étudiante intellectuelle. Fele Martinez, apparemment le double du réalisateur, le visage mangé de cheveux hirsutes, de grosses lunettes de myope, affiche la mine de déterré des peaux qui n'ont jamais vu un rayon de soleil. Seul Edouardo Noriega conserve le teint de pêche et le regard de velours propres à son emploi de serial latin lover.
photo Carlotta
ET AUSSI...
Après la déferlante du cinéma italien dans les années 60/70,chez les latins, c'est au tour de ibériques d'avoir le leadership. Connu surtout pour les films de Carlos Saura et de Pedro Almodovar, le cinéma espagnol n'est pas près de céder l'avantage avec des auteurs que bien des pays pourraient lui envier. Je songe à «Souvenirs mortels» , un excellent thriller jouant lui aussi avec la mort, film à petit budget avec des acteurs peu connus pour le moment chez nous.
Les acteurs/Le réalisateur :
Alejandro Amenabar, d'origine chilienne et installé en Espagne, a réalisé «Tesis» (1996), «Ouvre les yeux» (1998), les deux avec Eduardo Noriega. Tom Cruise produira et interprétera le remake d'«Ouvre les yeux» sous le nom de «Vanilla sky», Penelope Cruz jouant dans les deux versions espagnole et américaine. Tom Cruise produira ensuite «Les Autres» (2001) avec Nicole Kidman. Le dernier film d'Amenabar est «Mar adentro» (2003) sur le sujet de l'euthanasie avec Javier Bardem.
Eduardo Noriega, en passe de devenir un des comédiens espagnols les plus populaires, a joué dans «Tesis» et «Abre los ojos» d'Amenabar, puis dans «El espinazo del diablo» de Guillermo del Toro en 2002.
Fele Marinez est sans doute le plus connu en France pour avoir jouée dans «Souvenirs mortels» (2000) d'Alvaro Fernandez Armero, «La mauvaise éducation» d'Almodovar (2003) «Utopia» (2003)
Ana Torrent a commencé dans des films de Carlos Saura «Cria cuervos» (1976), «Elisa mon amour» (1977). On la retrouve aujourd'hui dans The Tulse Luper suitcases » (2003) de Peter Grenaway.
Un premier film choc, un macabre chef-d'œuvre, qui préfigure un grand réalisateur, une image superbe, une psychologie très fine de la peur, un portrait troublant d'ange exterminateur, une dénonciation de la violence en même temps qu'une explication de la fascination pour la violence, «il faut montrer au spectateur ce qu'il demande», dit le professeur Jorge Castro tout au long du film. Mais est-ce que le spectateur ne demande pas aussi ce qu'on lui montre ?
Un film à éviter pour les âmes (normalement) sensibles… ou alors à regarder en dvd en sautant des passages…
DIFFUSION.
DVD et Blu-Ray Carlotta, sortie le 25 juin 2014
www.carlottavod.com
Ecrit par vierasouto le 05/04/2006 - 19h39
Note CinéManiaC :
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Mots-clés : CinéRécent, CinéDVD, cinéma espagnol, Tesis Alejandro Amenabar