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Espaces de cirque d’hier

Publié le 09 septembre 2012 par Archiviewpoint @ArchiViewpoint

La commande d’un bâtiment à un architecte en vue d’inscrire physiquement la place du cirque dans la ville n’est pas un geste nouveau. Nous pouvons toujours rappeler que dès les premières décennies d’activités du cirque, au milieu du 19ème siècle, l’architecte français Jacques Ignace Hittorff posait les principes de ce type architectural avec la conception du Cirque d’Eté et du Cirque d’Hiver au cœur de Paris. Toutefois, de nombreuses constructions permanentes ont disparu un siècle plus tard du paysage de nos villes – particulièrement en Europe – ou ont changé de fonction ; principalement par un usage généralisé du chapiteau au 20ème siècle par les compagnies, mais également du fait d’un déclin de leurs activités.

1. Fondements d’un type architectural

1.1. Premiers pas en Grande-Bretagne

1.1.1. The Astley’s Amphitheatre

Historiquement, le cirque est né en Grande-Bretagne, près des berges de la Tamise. Les héros, en cette année de 1768, sont deux écuyers, John Philip Astley et Charles Hugues, qui ouvrent, le temps d’un été, une Riding School ou une école d’équitation (Figure 1).

Le dispositif de la carrière, ouverte au public, est probablement un ring, piste circulaire que délimitent des cordes fixées à des piquets. Au centre, un praticable pour un ou deux musiciens (…).[1]

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Figure 1 : Astley’s Amphitheatre, vue extérieure, Londres, 1777

En raison du succès des voltiges équestres dans cette piste circulaire, Astley va disposer en 1770 d’un bâtiment portant son nom, l’Astley’s Amphitheatre. Une tradition qui, par ailleurs, va perdurer dans l’univers du cirque. Voici la description qui en est faite par Dupavillon :

L’édifice a probablement été imaginé et construit par Astley lui-même (il avait été apprenti ébéniste). Le bâtiment principal, de taille modeste, est encadré de deux ailes. Sur rue, cinq toiles suspendues annoncent le programme (…). L’intérieur est une carrière ou manège à ciel ouvert. La sciure de bois empêche que la pluie transforme la piste en boue ; Le bâtiment principal, qui sert d’accès au public, a trois niveaux de trois loges, ou gallery, ouvertes sur la piste. Les ailes, de part et d’autre, ont chacune quatre loges à étage et des écuries au rez-de-chaussée. Le périmètre de la piste comprend le Riding Ground, loges en bois recouvertes de toile. Les spectateurs, assis ou debout, sont séparés du ring par une palissade peinte, haute d’un mètre environ.[2]

1.1.2. The Royal Circus

Quelques années après l’ouverture du Astley’s Amphitheatre, l’écuyer Charles Hugues en collaboration avec Charles Dibdin, profitant des séjours à Paris de Astley, construit en 1779 le Royal Circus an Equestrian Philarmonic Academy (Figure 2), qui n’ouvre ses portes qu’en 1782. Et c’est bien « pour la première fois, (que) le mot “cirque“ apparaît au fronton d’un établissement de ce type, alors que Philip Astley ne l’a jamais utilisé pour qualifier ses activités… »[3]

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Figure 2 : Royal Circus, vue extérieure, Londres, 1782

Outre l’utilisation du mot « cirque », les deux hommes innovent aussi du point de vue scénique, en juxtaposant à la piste une scène de théâtre. « Ainsi, à peine défini, le cirque produit déjà une autre synthèse de deux formes a priori opposées, la scène et la piste »[4], permettant de combiner les numéros équestres et dramatiques. Ainsi, le cirque pose les fondations de son éternelle dimension hybride, à l’image de la salle de spectacle du Royal Circus (Figure 6) qui appose en alternance la représentation circulaire et la représentation frontale.

Hughes et Dibdin font donc office, à leur tour de créateurs lorsqu’ils ouvrent leur Royal Circus à quelques centaines de mètres de la “maison mère“… Mais, surtout, ils remettent déjà en question l’unité fondatrice de la représentation et mettent à mal le principe de visibilité totale qui guide les premiers pas du cirque depuis une quinzaine d’années. Ainsi, à peine adolescent, le cirque moderne est contraint à une première et brutale mutation.[5]

1.1.3. The Royal Grove

En 1784, Astley suit le mouvement initié par Hughes. Il construit sur le lieu de l’Astley’s Amphiteatre un nouvel édifice, le Royal Grove, dont l’espace scénique se compose d’une piste et d’une scène de théâtre. Par ailleurs, c’est la première fois que la piste circulaire du cirque acquiert son diamètre, plus ou moins définitif, de 13,50 mètres. En 1794, le Royal Grove est détruit par un incendie, mais est rebâtit pour ouvrir ses portes l’année suivante sous un nouveau nom, The Astley’s Amphitheatre of Arts. L’utilisation du bois rend la longévité des édifices très brève, et de nouveau, en 1803, cette version brûle. Qu’à cela ne tienne, un an après Astley ouvrait de nouveau un autre bâtiment, le quatrième, en le baptisant The Royal Amphitheatre (Figure 3), et cette fois-ci en pierre.

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Figure 3 : The Royal Amphitheatre, vue intérieure, Londres, 1856

La forme générale intérieure est celle d’une lyre allongée. Les décorations prédominantes sont blanches, citron et or, et les loges privées ont de riches tentures pourpres. Il y a une rangée complète de loges et deux demi rangées sur les côtés, à l’aplomb du premier rang de la galerie : au-dessus des demi rangées, se trouvent des couloirs d’accès à la galerie (…). La piste, espace circulaire réservé aux chevaux, est entourée d’une banquette d’environ 1,20 mètre de haut, peinte en fausses pierres ; elle a 13,20 mètres de diamètre. La piste est recouverte de sciure : la courbe, du côté de la scène, donne sa forme à l’orchestre et de l’autre côté au parterre (…). La scène, qui est la plus vaste et la plus commode de Londres, est pourvue d’immenses praticables ou planchers, empilés les uns sur les autres et la couvrant de part en part. (…) Pour ses spectacles, ils sont parqués par de décors romantiques tels que ponts, forts, montagnes et autres sujets.[6]

1.2. Prolongement en France

1.2.1. L’Amphithéâtre Anglois

Philip Astley est également le protagoniste de l’initialisation du cirque en France, surtout par la construction du premier cirque stable dans Paris en 1783, l’Amphithéâtre Anglois. Ce point d’ancrage permet à Astley de diffuser en France son spectacle, qui consistait « à faire tourner des chevaux pour divertir une assemblée sensible aux équilibres sur une, deux ou trois bêtes lancées au galop dans un lieu spécifiquement conçu pour cela. »[7]

1.2.2. Le Théâtre (du Cirque) Olympique

En 1791, Astley est contraint de quitter Paris et retourne à Londres. Son amphithéâtre est alors occupé par la famille Franconi de 1793 à 1802, qui rouvre ses portes sous un nouveau nom, l’Amphithéâtre Franconi. Cette première dynastie du cirque se déplace donc dans les jardins du couvent des Capucines et y construit son Théâtre d’Equitation. Mais leurs aventures ne s’arrêtent pas là :

En 1806, expropriés, ils sont encore une fois en quête d’un emplacement. Ils trouvent un terrain dans le 1er arrondissement et y font construire un nouvel édifice qu’ils baptisent Cirque Olympique. Ouvert le 28 décembre 1807, l’établissement est le premier en France à être ainsi désigné par le vocable magique. (…) La piste fait un peu moins de dix-sept mètres de diamètre, identique, à quelques dizaines de centimètres près, à celle de l’amphithéâtre londonien d’Astley, mais l’ensemble de la construction révèle davantage d’un décor que d’une réelle proposition architecturale. (…) Contraints une nouvelle fois de plus à déménager, les Franconi achètent l’amphithéâtre Astley le 3 août 1816 (…). Le Théâtre Olympique, deuxième du nom, ouvre ses portes le 8 février 1817. (…) Le bâtiment prend feu dans la nuit du 14 au 15 mars 1826 (…).[8]

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Figure 4 : Théâtre du Cirque Olympique, Alexandre Bourla, vue extérieure par
Jacques Testard, Paris, 1837

L’année suivante, en 1827, les Franconi ouvrent de nouveau, toujours au boulevard du Temple, un troisième établissement, le Théâtre du Cirque Olympique (Figure 4). Et c’est en définitive à cette dernière tentative que l’on prend connaissance qu’un architecte, Alexandre Bourla[9], a pris en charge pour la première fois la construction d’un cirque. Toutefois :

Le 28 août 1857, un décret, signé par Napoléon III, déclare d’utilité publique l’ouverture de nouveaux boulevards. (…) L’urbanisation a raison du dernier Cirque Olympique. Les sept théâtres du boulevard du Temple donnent une dernière représentation le 15 juillet 1862, quelques jours avant que ne débutent les démolitions.[10]

Le cirque, ayant pris naissance en Grande-Bretagne, implanté en France par un Britannique et développé par un Italien, nous dévoile tout au long ce court parcours historique l’un de ses traits les plus profonds et qui a perduré jusqu’à nous, le mélange.

1.3. Le modèle français

1.3.1. Le Cirque (Napoléon) d’Hiver

Même si Le Théâtre du Cirque Olympique (1827) est construit par un architecte, c’est en 1843, que l’architecture du cirque, tel que l’on peut la connaître, se précise avec le Cirque des Champs-Élysées (Figure 5). Sa hauteur est de 20 mètres et son plan est un polygone de seize côtés inscrit dans un cercle de 42 mètres de diamètre. Les parties centrales et essentielles du projet sont la piste, de 13,50 mètres de diamètre, et un amphithéâtre de 3500 places. Pour la première fois, le projet d’un cirque élimine pour de bon la scène de théâtre. Seule la piste perdure, marquant de ce fait l’aire de jeux qui se destine aux circassiens pour les cent ans à venir.

(…) un bâtiment tout à la fois circulaire et de grand diamètre ; la technicité de la toiture, ses références à l’Antiquité, notamment au théâtre et à la polychromie, enfin un cirque conçu davantage comme une place publique couverte que comme un théâtre avec une piste en guise de parterre.[11]

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Figure 5 : Cirque des Champs-Élysées, Jacques Hittorff, vue extérieure, Paris, 1845

Mais cet exemple devient véritablement un modèle architectural à travers la construction du Cirque Napoléon, inauguré en 1852, et connu aujourd’hui sous le nom de Cirque d’Hiver (Figure 6). Réalisé à partir d’une adaptation du Cirque des Champs-Élysées, ce deuxième cirque de Jacques Hittorff scelle un grand nombre de principes, architecturaux et constructifs, repris dans la plupart des cirques permanents bâtis à partir de cette date jusqu’au milieu du 20èmè siècle.

(…) Un bâtiment tout en hauteur où l’inclinaison à l’intérieur est considérable. Le public (…) s’étage dans une salle construite en entonnoir et contemple les évolutions des écuyers et des acrobates littéralement d’en haut. (…) La structure de l’aire de jeu est néanmoins classique, avec une piste d’environ douze mètres cinquante de diamètre et desservie par quatre vomitoires. (…) Il est curieux de constater à nouveau l’absence d’un hall d’accueil (…). Il n’y a pas ici d’escalier central, d’immense foyer ou de salons de repos et le spectateur, assailli d’emblée par les odeurs d’écurie, entre immédiatement dans le vif du sujet lorsqu’il franchi le contrôle.[12]

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Figure 6 : Cirque d’Hiver, Jacques Hittorff, vues extérieure, Paris, état actuel

L’une des grandes différences avec le Cirque des Champs-Élysées, outre cet effet d’entonnoir de l’amphithéâtre crée en raison de l’étroitesse du terrain, c’est l’absence de poteaux intermédiaires (Figure 7). C’est-à-dire qu’aucun pilier ne gêne la visibilité du spectateur sur la piste, en raison d’une couverture à ossature métallique qui ne s’appuie que sur les murs périphériques. Il faut bien évidemment évoquer ici l’influence de l’exposition universelle de 1851 à Londres, qui exaltait les possibilités des constructions métalliques, avec pour emblème The Crystal Palace.

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Figure 7 : Cirque Napoléon, Jacques Hittorff, coupe, Paris, 1852

En définitive, Jacques Hittorff décide de concentrer l’espace dédié au spectacle à l’intérieur d’un volume unique, reléguant les autres fonctions à un bâtiment situé à l’arrière. Ce dernier, rectangulaire, répond à une architecture plus commune, en regroupant au rez-de-chaussée les écuries pour cinquante-deux chevaux, et à l’étage, les loges pour artistes ainsi que des magasins de costumes.

1.3.2. Multiplication et adaptation du modèle

Toutes les villes d’importance, autant en France que dans le reste de l’Europe, auront leur cirque stable. La grande époque de ses constructions se situant ente le milieu 19ème siècle et le début du 20ème siècle.

Ces constructions, partout en Europe, prennent en modèle les principes architecturaux des réalisations de Jacques Hittorff : la piste et les gradins regroupés dans un volume unique, et des constructions annexes rassemblant les espaces de soutient aux spectacles. Bien souvent, l’originalité ou l’innovation des stables construits après le Cirque Napoléon ne se retrouve qu’au niveau technique, essentiellement par la construction d’amphithéâtres à grande capacité (2000 à 3000 personnes) et de leur couverture.

L’ornementation est également un aspect important qui se développe et qui prend des caractéristiques propres suivant la région, le pays, l’architecte et le commanditaire. Cet élément, essentiel et significatif du style Beaux Arts, est mis à profit par le cirque pour augmenter l’émerveillement, le somptueux et le faste de cette activité artistique.

2. Le cirque traditionnel

2.1. La piste

Le spectacle de cirque dit traditionnel se donne dans une piste circulaire. Cette condition renvoie à l’histoire du genre et surtout aux premiers jeux équestres présentés par Astley. La piste évoque aussi une certaine idéologie sociale des circassiens, se traduisant par un réel esprit de famille et de nomadisme. Par ailleurs, le cercle, chargé d’une symbolique puissante, est un espace de communication avec l’au-delà, et le chiffre treize de son habituel diamètre se veut de conjurer la mort, limite frôlée par la virtuosité de l’artiste.

La piste, abritée tout au long du 19ème siècle par des constructions de pierre et de métal, a rencontré sous la toile un autre abri, le chapiteau. Construction éphémère qui complète le symbole du nomadisme dans le cirque.

2.2. L’imagerie

L’« imagerie-cirque » existe, sans aucun doute. Elle se traduit par le chapiteau, par le rouge et l’or, par les paillettes, par l’odeur des animaux, ou encore par la musique de l’orchestre. Elle s’exprime aussi à travers les images du nez rouge et des savates de l’auguste, du clown blanc, des élégants trapézistes, des fauves sautant à travers des cerceaux en feu, et bien sûr de Monsieur Loyal… La série photos de l’univers du cirque réalisée par le photographe Wayne Schoenfeld, et présentée dans la Figure 8, en font un portrait saisissant.

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Figure 8 : Fire, Wayne Schoenfeld, 2005

2.3. L’esthétique

L’esthétique du cirque traditionnel ne s’explique pas par un acte sportif réalisé au milieu des paillettes. Le spectacle est formé d’une succession de numéros dont la logique est celle du collage de numéros variés, issus de disciplines diverses, dont la dramaturgie est donnée par l’artiste.

Dans le cirque traditionnel, la variété des disciplines présentées (jonglage, équilibrisme, trapèze acrobatie, domptage, etc.) se traduit par la diversité des numéros, enchaînés comme autant de performances autonomes qui visent à magnifier la virtuosité de l’artiste. La dramaturgie interne fonctionne par paliers et repose sur le crescendo de la prouesse, orchestré par le roulement de tambours et les applaudissements (…).[13]

Il faut par ailleurs noter l’absence de texte, à l’exception des clowns et de Monsieur Loyal. Au cirque traditionnel, l’artiste n’interprète pas un personnage, il ne joue pas un rôle qui serait inscrit dans une conception globale du spectacle. Un numéro d’artiste peut être facilement remplacé par un autre numéro sans compromettre le spectacle. Toutefois, et sans rentrer dans les détails, le déroulement qui prévaut se soumet à des contraintes techniques et à une certaine hiérarchie des émotions.

3. Le cirque stable et le territoire de la ville

3.1. Son inscription dans le tissu urbain

La première construction de Philip Astley (Figure 1) répond finalement au problème que pose un espace de représentation circulaire qu’il faut entourer de spectateurs. Problème longuement étudié par les Grecs, mais qui prend une forme aboutie avec le colisée romain. Dans tous les cas l’objectif n’est pas de retracer cette filiation. Ce que l’on peut déjà remarquer tient du caractère urbain de la construction qui s’exprime en opposition avec la circularité de la piste. La façade principale se retrouve, en effet, alignée avec la rue tout en évoquant des similitudes avec les bâtiments institutionnels (symétrie, un corps central dont le pignon se détache des ailes par une toiture plus haute, un escalier qui prend naissance en dehors des limites du bâtiment, et une entrée couronnée d’un arc). Astley voulant certainement susciter par ce choix une crédibilité de son établissement de spectacles et attirer la reconnaissance de l’aristocratie londonienne. En opposition, l’arrière est structuré par des loges placées autour du périmètre de la piste, de façon à ce que les spectateurs se retrouvent au plus près de l’aire de jeux.

The Royal Circus (Figure 2) reprend à Astley’s Amphitheatre l’alignement de sa façade principale sur la rue. Cependant, ce cirque stable, contrairement à l’amalgame de constructions de l’Astley’s Amphitheatre, dégage une cohérence architecturale, en étant structuré de façon monumentale dont la transition avec la rue est assurée par un imposant portique entouré de colonnes. Mais, d’un point de vue urbain, ces deux premières constructions ne montrent pas leur fonction. C’est-à-dire que de l’extérieur, rien ne laisse présager l’existence d’une piste circulaire et d’un amphithéâtre. Le Royal Circus pourrait être facilement confondu avec un théâtre. C’est par ailleurs la même posture urbaine et architecturale qu’adopte le Théâtre du Cirque Olympique à Paris (Figure 4).

Les premiers cirques stables privilégient donc l’aspect institutionnel, copiant de très près les relations qu’opèrent les théâtres avec la ville, de manière à fonder une crédibilité auprès des citadins. La façade sur rue est la façade représentative de ce que veut véhiculer cette nouvelle forme artistique. L’arrière, très en retrait par rapport à la rue principale, se compose d’édifices ordinaires et hétéroclites, dont les fonctions sont de loger les artistes, les animaux et le matériel.

3.2.Vers l’objet isolé

Le cirque stable prend une autre direction avec l’entrée en piste de l’architecte Jacques Hittorff. Le cirque des Champs-Élysées (Figure 5) et le cirque Napoléon (Figure 6 et Figure 7) ne reprennent plus une intégration urbaine qui s’inscrit au plus près du tissu urbain existant, mais sont conçus tels des objets isolés. Le cirque se retrouve seul sur sa parcelle en se détachant de son environnement bâti. Ce rapport à l’urbain est dicté par les choix conceptuels de l’architecte, qui opte pour concentrer la piste et les gradins dans un seul volume. Ce nouveau type architectural tient à se démarquer des autres équipements culturels et à acquérir des spécificités uniques. Par ailleurs, cette façon d’intégrer les cirques se prolongera jusqu’au 20ème siècle, autant en Europe de l’Ouest qu’en Europe de l’Est.

Tel que pour The Royal Circus et le Théâtre du Cirque Olympique, les édifices annexes des cirques conçus par Jacques Hittorf, se retrouvent à l’arrière de la parcelle, connectés au volume principal. Une fois de plus, l’emphase est placée sur un élément significatif et représentatif.

4. L’originalité passe à l’est

Sans trop rentrer dans le détail, il est utile de présenter ici l’extension des cirques stables en Europe de l’Est. Cette extension, qui s’effectue après la seconde guerre mondiale, donne naissance à une cinquantaine de cirques stables construits entre 1950 et 1970, alors qu’en Europe de l’Ouest l’usage du chapiteau en toile devient prédominant et grand nombre de constructions stables disparaissent.

Les constructions en Russie et dans les anciennes républiques socialistes sont des cirques d’État. Dans les années 1930, l’État soviétique met en place un enseignement organisé des arts du cirque, qui tend à rendre ce spectacle populaire et de masse, ainsi que synonyme de rigueur et d’exploit, valeurs auxquelles le régime d’alors était attaché. Cette étatisation du cirque se répercute dans l’architecture, par une monumentalité dans l’expression de la forme et des dimensions imposantes.

Il est également nécessaire de ne pas perdre de vue le contexte théorique et technique que traversait l’architecture à cette époque, en rappelant que le mouvement moderne s’étant imposé sur la scène, ses préceptes se sont logiquement greffés à la conception de ces cirques stables de l’Est. Ceci se traduit notamment par le rapport forme – fonction, par l’usage des techniques modernes, particulièrement le béton et l’acier, et par un dépouillement de l’ornementation (« less is more »).

Tel que pour les cirques de Jacques Hittorff ainsi que pour les cirques construits cent ans après, les cirques soviétiques s’affirment dans l’expressivité du volume abritant la piste. Les exemples représentés ici le démontrent, que ce soit pour le Nouveau Cirque (Figure 9), pour le cirque Sotchi (Figure 10), pour le cirque Frunze ou pour le cirque de Bucarest (Figure 11).

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Figure 9 : Nouveau Cirque, Moscou, Russie, 1972

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Figure 10 : coupe du cirque stable de la ville de Sotchi, Russie

Le volume abritant la piste demeure l’élément central, se composant d’un cylindre dont les parois vitrées permettent des relations visuelles entre l’intérieur et l’extérieur. Contrairement aux premiers stables qui cachaient l’aire de jeux, certainement en raison des contraintes constructives, la piste chez les cirques de l’Est est montrée à la ville. Le spectacle ajoute de l’ampleur à l’effet signalétique apporté par cet objet isolé, autant la nuit que le jour.

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Figure 11 : coupe du cirque d’état de la ville de Bucarest, Roumanie

Mais à mon sens, l’innovation significative se situe dans la recherche de la forme et les prouesses techniques des couvertures de ce cylindre. Qu’elles soient métalliques ou en béton armé, les concepteurs mettent en relief l’espace couvert sans points d’appui intermédiaires, créent des hauteurs correspondant aux attentes de certaines disciplines du cirque, et accentuent la monumentalité du volume principal. En ce sens, le projet de cirque stable pour la ville de Sverdlovsk (Figure 12), est un exemple particulier de cette recherche.

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Figure 12 :  cirque stable de la ville de Sverdlovsk, Russie
Footnotes   (↵ returns to text)
  1.  Dupavillon, Christian. Architectures du cirque : des origines à nos jours. Librairie de l’architecture et de la ville. Nouvelle éd. Paris, Moniteur, 2001, p.53.↵
  2.  Ibid., pp.54-55.↵
  3.  Jacob, Pascal.Le cirque. Du théâtre équestre aux arts de la piste. Comprendre et reconnaître. Paris, Larousse, 2002, p.41.↵
  4.  Ibid., p.43.↵
  5.  Ibid., p.47.↵
  6. Citation de E.W. Brayley, Historical and Descriptive Accounts of the Theatres of London, Londres, 1826, reprise par Dupavillon, Christian. Architectures du cirque : des origines à nos jours. Librairie de l’architecture et de la ville. Nouvelle éd. Paris, Moniteur, 2001, pp.59-62.↵
  7. Jacob, Pascal.Le cirque. Du théâtre équestre aux arts de la piste. Comprendre et reconnaître. Paris, Larousse, 2002, p.50.↵
  8.  Ibid., pp.51-52.↵
  9. Dupavillon, Christian. Architectures du cirque : des origines à nos jours. Librairie de l’architecture et de la ville. Nouvelle éd. Paris, Moniteur, 2001, p.75.↵
  10.  Ibid., p.78.↵
  11.  Ibid., p.80.↵
  12. Jacob, Pascal et Pourtois, Christophe. Du permanent à l’éphémère, espaces de cirque. Centre international pour la ville, l’architecture et le paysage (CIVA), Bruxelles, 2003, p.54.↵
  13.  David, Gwénola. Les accidents du récit : une poétique de l’espace-temps. in Le cirque au risque de l’art. Sous la direction d’Emmanuel Wallon. Apprendre. Arles : Actes Sud, 2002, pp.124-125.↵

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