Paroles dites par N. :
Je laboure mes champs en personne et mon palmier-doum y est le palmier de Min...
dans Paul BARGUET
Le Livre des morts des anciens Égyptiens
Chapitre 124
Paris, Éditions du Cerf, 1967
p. 156
Que ce soit phytolâtrie, adoration des plantes ou dendrolâtrie, adoration des arbres ou arbustes, cette vénération des végétaux présents dans leur nature environnante que vous rencontrez communément dans le monde gréco-romain antique, il vous faut savoir, amis visiteurs, qu'elle se développa déjà autant quelques siècles auparavant en Égypte : qu'ils fussent ou non alliés à une divinité, que celle-ci soit censée les habiter ou qu'elle s'identifie à eux.
Vous l'aurez certainement compris depuis que nous nous retrouvons vous et moi ici, près de la vitrine 6 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, et plus particulièrement depuis que nous nous sommes arrêtés devant la petite étagère accrochée côté Seine, à gauche du pan central, sur laquelle j'ai dernièrement monopolisé votre attention à propos de la laitue, du mimusops et de la noix-doum, les Égyptiens en effet - d'après ce qu'en dirent les auteurs classiques -, vécurent en étroite sympathie avec leurs végétaux, soit qu'ils les associèrent au monde funéraire, soit qu'ils les considérèrent en tant que protagonistes à part entière de leurs pratiques magico-religieuses, dans la mesure où ils étaient persuadés que tous procédaient des forces divines et qu'il résidait en chacun d'eux une parcelle des humeurs des dieux.
Et notamment d'Osiris. Vous lirez en effet dans le papyrus Jumilhac(E 17110) conservé au Louvre, mais non exposé, - qu'avec cliché photographique à l'appui j'avais déjà en 2010 mentionné -, document magistralement étudié et publié voici un peu plus d'un demi-siècle par l'égyptologue français Jacques Vandier (VIII, 21) : ... ce sont les humeurs divines qui ont poussé en arbres fruitiers
Et dans un des Papyri Graecae Magicae - ce que les philologues sont convenus d'appeler les Paryri magiques (ou hermétiques) grecs -, conservés soit à Paris, Londres, Leyde ou Berlin -, ne trouverez (XII, 226 ; Ier siècle de notre ère) : ... Je suis la plante nommée palme, je suis l'écoulement de sang provenant de la tombe du Grand. (Osiris)
De ces arbres fruitiers, et plus spécifiquement le palmier-dattier, en ce compris ses liens avec le dieu abydénien, je vous entretiendrai dès nos premiers rendez-vous de rentrée, fin août ou, au plus tard, en septembre.
Mais d'ores et déjà, sans évidemment prétendre à une quelconque exhaustivité, j'ai tenu pour le légume et les deux fruits que nous avons envisagés à néanmoins vous apporter un certain nombre de renseignements autres que botaniques, avec l'espoir tout simple que, quand se présentera l'opportunité d'à nouveau les croiser dans l'un ou l'autre musée, vous ne soyez plus indifférents à leur présence, plus indifférents aux rôles qu'ils tinrent au sein des cultes, essentiellement panthéistes, et funéraires du Double-Pays.
Mardi dernier, rappelez-vous, en terminant notre entretien, je vous ai quelque peu annoncé celui d'aujourd'hui en vous proposant une scène peinte sur une des parois murales de l'hypogée (TT 3) datant du règne de Ramsès II (XIXème dynastie), d'un certain Pached, à Deir el-Medineh.
Ce sera dans le même esprit que nous nous arrêterons un nouvel instant à Deir el-Médineh, mais dans la tombe 290 cette fois, pour y admirer une figuration fort semblable.
Agenouillé à côté d'un palmier-doum dont les feuilles suscitent ombre et fraîcheur, donc une meilleure respiration, par la brise qu'elles font naître, et penché au bord d'un bassin rectangulaire rempli d'eau - ce que symbolisent les lignes verticales brisées -, faisant ainsi l'aiguade aux fins d'étancher sa soif, - le texte indique bien : boire de l'eau près de l'arbre -, Irynefer illustre en quelque sorte les chapitres 57 à 60 du Livre pour sortir au jour (Livre des Morts, dit-on encore couramment), commençant par : Formule pour respirer la brise et avoir de l'eau à volonté dans l'empire des morts, quand, dans l'un d'eux, il invoque : Ô Hâpy, (...) fais que je puisse disposer de l'eau (...), fais que m'accompagnent les grands dieux qui président au siège du flot d'inondation ...
Et enfin, dans la même nécropole, une troisième et dernière tombe, la TT 218 d'un certain Amennakht ayant également vécu à l'époque ramesside, hypogée faisant partie du complexe funéraire que partagèrent aussi son fils (TT 219) et son petit-fils (TT 220),
vous retrouverez une figuration similaire à celles de Pached et d'Irynefer : sur les murs de chaque côté de la porte d'entrée de la chapelle, au sud, l'épouse du défunt boit près d'un palmier-dattier (personnifiant la déesse Nout) et au nord, le mari, dans la même attitude mais sous un palmier-doum
Quelques lignes de hiéroglyphes l'accompagnent :
Chapitre pour boire auprès du palmier-doum, au pied de Min, le dieu. Salut à toi, qui apparais avec son ombre, dieu unique qui croît sur terre, qui donne de l'eau grâce à ses racines : puisses-tu désaltérer l'Osiris Amennakht.
Vous aurez évidemment compris l'invocation, amis visiteurs, si vous vous souvenez que je vous ai déjà maintes fois expliqué que tout défunt n'avait de cesse de se comporter en vue de devenir un nouvel Osiris dans sa seconde vie.
Indéniablement, ce type de scène, récurrente dans plusieurs tombes de particuliers, suggère tout à la fois la régénération du défunt dans l'Au-delà - parfois, certains d'entre eux allaient jusqu'à souhaiter pouvoir se métamorphoser en palmier-doum ! -, et la fertilité de l'arbre capable, parce qu'il plongeait ses racines dans le "Noun primordial", en réalité dans une nappe phréatique proche de la surface du sol, de produire de nombreux fruits.
Rappelez-vous mes propos concernant la laitue : qui dit fertilité en Égypte ancienne évoque immanquablement Min, le dieu ithyphallique, le dieu de la régénérescence, véritable personnification de la fécondité.
Comprenez-vous maintenant la raison pour laquelle, en leur maison d'éternité, il était primordial pour certains privilégiés que fussent emportés noix-doum et autres fruits - réels ou simples modèles de faïence à l'instar de ceux étalés ici, dans cette partie de vitrine 6 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre -, aux fins d'être assurés d'en bénéficier à jamais ?
Comprenez-vous maintenant la raison pour laquelle chez Pached, Irynefer, Amennakht et d'autres, semblables représentations d'aiguade eurent pour dessein de prouver que la présence de cet arbre considéré comme hypostase de Min, dieu de la fertilité, leur permettait - magie de l'image égyptienne ! - de jouir de la même puissance fécondatrice toujours renouvelée ?
In fine, l'éternelle viridité du palmier-doum en tant que symbole de virilité éternelle du défunt !
(Un merci tout particulier, ce matin, à Alain Guilleux qui, plus qu'aimablement, m'a permis d'importer de son site, pour vous, amis visiteurs, sa photo de la peinture murale d'Irynefer se désaltérant au pied d'un palmier-doum, ainsi qu'à Thierry Benderitter, d'OsirisNet, pour celle du complexe funéraire d'Amennakht et des siens.)
BIBLIOGRAPHIE
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Ostracon figuré : rive d'un cours d'eau avec palmier , dans L'Art du contour. Le dessin dans l'Égypte antique, Catalogue édité sous la direction de Guillemette Andreu-Lanoë, Paris, Ed. Somogy/Musée du Louvre, 2013, Notice 136, p. 297.
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