- Par Eugénie Bastié
Pour Périco Légasse, la transition énergétique présentée par Ségolène Royal manque d'ambition et surtout n'offre aucune réponse sur le domaine essentiel de l'agriculture. La malbouffe, qui devrait être la priorité de toute lutte écologique, a encore de beaux jours devant elle !
Périco Légasse est journaliste et critique gastronomique. Il anime un blog rattaché à Marianne 2.
FigaroVox: Le projet de loi sur la transition énergétique a été présenté par Ségolène Royal en conseil des ministres mercredi 18 juin. Cette réforme vous parait-elle aller dans le bon sens?Périco Légasse: Tout ce qui va dans le sens d'une préservation de l'environnement et d'une modification de la consommation d'énergie vers des technologie durables va dans le bon sens.Ségolène Royal s'attaque là à un gros dossier car les enjeux politiques et financiers sont immenses et l'on se doute que les lobbies de l'électricité et des énergies fossiles ne vont pas renoncer si facilement à leur prédominance. Il est donc à craindre qu'ils n'accompagneront cette «révolution» énergétique que s'ils peuvent la contrôler. La preuve c'est que la ministre les ménage en ne rompant pas avec le passé puisque la plupart de ces mesures sont basées sur le volontariat. Ils en feront ce qu'ils veulent, aucune norme capitale n'étant obligatoire. Le gouvernement français porte une grande responsabilité sur la mise en place de cette nouvelle équation, en ce sens qu'il est tenté de l'inféoder aux marchés alors que la France devrait avoir les moyens de son indépendance quant aux choix technologiques. C'est en tout cas la preuve que l'on est allé trop loin dans l'énergie nuisible et qu'il appartient aux pouvoirs publics de prendre les mesures qui s'imposent. La prévention est très rare dans ce genre de situation. On préfère panser au lieu de penser.On y trouve diverses mesures sur le transport, le nucléaire, le bâtiment, etc, mais rien sur l'agriculture et l'alimentation. L'agriculture productiviste et la mondialisation des produits agro-alimentaires ne sont-elles pourtant pas au cœur du problème?
La classe politique, toute discréditée qu'elle soit, continue d' agir en priorité sur les dossiers les plus voyants. On ne va pas le lui reprocher mais l'on n'est pas dupe pour autant. Pour le coup, le train a été pris en marche et il était temps. Le vide sur les questions agricoles et alimentaires s'explique par le fait que les solutions de transition énergétiques sur ces secteurs ne proposent pas, pour l'heure, de procédures compatibles avec la préservation des intérêts des grands trust agro industriels. La seule transition énergétique qui vaille en ce sens est le passage au durable systématique par une revitalisation économique et sociale de nos campagnes. En d'autres termes, l'arrêt de l'hémorragie de la classe paysanne par un redéploiement massif des exploitations respectueuses de l'environnement avec une main d'oeuvre rentable et qualifiée. Ce serait non seulement une transition énergétique responsable mais également le gage, à moyens termes, de l'autosuffisance de la France sur le plan agricole. Cet objectif est bien celui du projet d' Agroécologie mis en place par Stéphane Le Foll, avec toutes ses limites et ses carences, mais en totale contradiction avec le discours productiviste et financier de la FNSEA, de l' ANIA (industries alimentaires) et de la Commission de Bruxelles. C'est pourtant sur ce secteur là que la situation est la plus urgente. Je pense que l'on risque d'attendre longtemps avant de voir de vraies mesures structurelles se mettre en place. François Hollande reste loyal, voire royal, envers les lobbies.François Hollande reste loyal, voire royal, envers les lobbies.Vous luttez contre la «malbouffe». Quelles seraient selon vous les mesures urgentes à prendre pour endiguer ce fléau?Le champ d'action est vaste, et pourtant si précis. Pour en rester à une dimension énergétique, privilégier d'urgence l'agriculture durable par une véritable redistribution des aides européennes aux méritants les moins polluants. Il faut bien comprendre qu'en agriculture, la pollution est un monstre à double visage, environnemental et alimentaire. On n'empoisonne pas seulement les sols pour produire plus et plus vite, on empoisonne également le produit végétal ou animal qui en est issu. La malbouffe n'est pas une fatalité, en tout cas pas en France où les possibilités de solutions restent (mais pour combien de temps,) immenses. Cela passe évidemment par un changement radical de stratégie politique au niveau de l'Union Européenne, où la préférence communautaire doit devenir une réalité urgente. Cela est absolument vital. Il faut le crier partout!
La première cause de la malbouffe aujourd'hui est l'inaction préméditée de la Commission Européenne.Aujourd'hui, paradoxalement à la PAC, le pire ennemi de l'agriculture française c'est l'Europe du système Barroso (demain de Junker). La preuve, le secret dans lequel est négocié le Traité d'union transatlantique avec Washington. Mais enfin, de qui se moque t-on? On se demande parfois s'ils ne rêvent pas du FN à 40%... Je ne suis pas un «eurosceptique», et encore moins un «europhobe», détestables expressions inventées par les véritables ennemis de l'Europe pour discréditer ceux qui les obligent à ôter leur masque atlantiste. La première cause de la malbouffe aujourd'hui est l'inaction préméditée de la Commission Européenne. Je reviens à nouveau à la transition énergétique sur une actualité qui a fait beaucoup de bruit: les lasagnes Findus à la viande de cheval. Quel rapport? C'est tout simple: si la traçabilité sur les viandes utilisées dans les produits transformés était instituée par Bruxelles (qui s'y oppose dur comme fer), les industriels et les consommateurs auraient su que le minerai de viande provenait de Roumanie (ou de plus loin...) et qu'il a du traverser toute l'Europe en camion pour arriver à Castelnaudary. De la saloperie avec un bilan carbone monstrueux. Voilà l'Europe que l'on nous impose depuis le traité de Lisbonne.La «croissance verte» et le «développement durable» ne sont-ils pas des oxymores? La véritable écologie n'implique-t-elle pas de revoir tout la matrice économique dans laquelle nous vivons, fondée sur la croissance infinie et l'illimitation des ressources?C'est un très gros débat, douloureux, épineux, voire violent dans certains cas. Oui, il faut freiner. D'une façon comme d'une autre, nous allons dans le mur. La croissance c'est le commandant du Titanic qui aurait dit: «Machines avant toutes, on n'arrête pas le progrès!» en voyant l'iceberg. Il a pourtant bien fallu donner un coup de barre à babord et inverser les machines, mais trop tard, quel symbole. On va la faire simple et sans passions: La Terre est une maison de 12 appartements faite pour douze familles de huit membres chacune. Au delà, c'est la surcharge et le chaos. On peut agrandir ou surélever une maison, voire creuser un sous sol, on ne peut pas pousser les murs de la Terre. Au mieux on pourra la quitter. C'est comme ça. De deux choses l'une, ou l'humanité le comprend et les dirigeants de la planète prennent les mesures adéquates au niveau de la surpopulation, qui surproduit pour surconsommer, sans quoi ce sera l'apocalypse selon Saint Jean d'ici un ou deux siècles, voire avant selon certaines statistiques, ou l'on prend le taureau par les cornes du courage politique et l'on invente une autre forme de progrès. Le terme «décroissance» est aussi inaudible que ce celui de «sortie de l'euro»: Vade retro Satanas, avec gousse d'ail et crucifix.. Alors parlons de «croissance durable» et de «monnaie commune». Pour ce qui est de l'agriculture, il n'y a pas incompatibilité entre «croissance verte» et «développement durable», dès lors que l'on respecte les lois fondamentales de l'agronomie, cette science du bon sens qui assurait le progrès de l'agriculture depuis la nuit des temps avant que les industriels et les banquiers ne transforment nos campagnes en gisements et nos fermes en usines.
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/06/23/31003-20140623ARTFIG00214-l-agriculture-grande-oubliee-de-la-transition-energetique.php