Genre: érotique, pornographique (interdit aux -18 ans)
Année: 1973
Durée: 1h04
L'histoire: Justine Jones, une vieille fille frustrée, se suicide par désespoir de n'avoir jamais connu l'amour. Condamnée à errer dans les limbes du purgatoire, elle se voit accorder la faveur de revenir sur terre afin de s'adonner aux plaisirs de la chair et ainsi, gagner sa place en enfer.
La critique d'Inthemoodforgore:
Au début des années 70, un film créé la sensation et envahit les écrans du monde entier. Deep Throat (Gorge Profonde) devient un phénomène de société, fait la fortune de ses producteurs et la renommée de son réalisateur, Gerard Damiano. De nombreux cinéastes américains ambitieux décident alors de réaliser des longs métrages sophistiqués afin d'attirer un plus large public dans les salles.
Aux USA c'est l'avènement du porno chic, du vrai cinéma pour adultes. Et on peut dire que les producteurs y mettaient les moyens: actrices cultes, décors somptueux, scénarios inventifs, tonalité sciemment libertaire: bienvenue dans l'âge d'or du X américain !
Après Gorge Profonde, suivront en 1973, Behind the Green Door et The Devil in Miss Jones qui nous intéresse aujourd'hui. Au panthéon des grands classiques du genre, ce dernier rassemble toutes les qualités qui ont fait le succès de ses prédécesseurs. Ambiance feutrée, dialogues tout en retenue, ébats délicats; rien à dire, The Devil in Miss Jones, c'est vraiment la classe...
Cette atmosphère hautement raffinée nous fait encore plus regretter la manière dont à évoluer (façon de parler) l'industrie du X au fil du temps au point de devenir une sinistre caricature d'elle même. Mais passons. Devil in Miss Jones (L'enfer pour Miss Jones de son titre français), sera hélas l'un des derniers films pornographiques à atteindre de tels sommets. Il y aura, bien sûr, par la suite, d'autres classiques américains tels que Debbie Does Dallas, Plato The Movie ou encore The Ecstasy Girls, mais ceux ci s'orienteront vers un registre plus populaire comme la comédie potache ou le polar douteux.
Pour son film, Gerard Damiano a recruté de grosses pointures de l'époque: John Clemens, Harry Reams, Albert Gork et dans le rôle titre, Georgina Spelvin sur laquelle (si j'ose dire) je reviendrai. Attention spoilers: Justine Jones est une vieille fille aigrie et frustrée de n'avoir jamais goûté aux plaisirs charnels. Seule dans son appartement, un soir, elle s'ouvre les veines.
Aussitôt décédée, elle se retrouve dans un bureau où l'accueille un homme étrange dénommé Abaca. N'ayant plus aucun souvenir de son accident, elle croit être auditionnée pour un entretien d'embauche. Abaca lui révèle alors qu'elle est bel et bien morte et que ce bureau est tout simplement l'antichambre de l'enfer. Justine, qui n'avait jamais fauté durant son existence et s'estimant injustement condamnée sur le seul fait de son suicide, supplie alors son geôlier de la faire revenir sur terre afin de réaliser ses fantasmes les plus secrets. Ainsi, ayant commis le péché de luxure, elle méritera vraiment sa place en enfer. Abaca lui accorde cette faveur mais pour un temps limité seulement et se réserve le droit de la rappeler à tout moment.
C'est alors que Justine Jones va pouvoir assouvir ses instincts les plus pervers en s'adonnant à tous les plaisirs sexuels dont elle fut privée durant sa vie. Absolument vierge, elle commence son initiation avec le "Professeur" puis rencontre, au gré d'un songe éveillé, divers partenaires des deux sexes qui se feront tous un devoir de la satisfaire. Une fois son temps achevé, elle sera rappelée en enfer découvrant qu'en lieu et place du feu et des flammes, il n'y a au final qu'une pièce froide où se tient un homme mystérieux avec qui elle sera condamnée à passer l'éternité sans qu'ils ne puissent se toucher.
The Devil in Miss Jones est une oeuvre chargée en références et en symboles. Tout d'abord la religion qui est le point de départ du scénario puisque Justine se retrouve punie uniquement de par le fait de son suicide. Le suicide qui, comme il est mentionné dans la religion catholique, condamne son auteur à la damnation éternelle. Autre moment symbolique: lors de caresses intimes, l'héroïne voit apparaître un serpent qui remonte lentement le long de son corps et dont elle prend la tête dans sa bouche.
On peut interpréter cette scène comme une totale soumission de Justine envers le pouvoir diabolique, doublée d'une fellation métaphorique. Le châtiment de la protagoniste découle également des préceptes enseignés par le catholicisme puisque la pécheresse se retrouve condamnée à la frustration éternelle, punie par là où elle a péché. Enfin, autre référence notable, le prénom Justine, allusion pour le moins évidente à l'oeuvre de Sade. Côté interprétation, soulignons la performance exceptionnelle de Georgina Spelvin, actrice totalement inconnue à l'époque, âgée de 37 ans au moment du tournage et cantinière de son véritable métier ! Sans être, loin s'en faut, un canon de beauté, elle fait preuve d'une sensualité absolument incroyable pour une débutante confrontée à des scènes toutes plus osées les unes que les autres.
Nous avons aussi le "plaisir" de retrouver Harry Reams dans le rôle du professeur, qui, la même année, interpréta le vétéran névrosé et fou furieux de Forced Entry. L'acteur fortement membré joue ici sur une gamme beaucoup plus calme pour enseigner, tout en douceur, les rudiments des techniques amoureuses à l'héroïne.
Vraiment, The Devil in Miss Jones se situe à des années lumières de l'atmosphère frelatée de la pornographie contemporaine. Tout, dans le film de Damiano, n'est qu'élégance et raffinement. Certes, les actes sont clairement explicites et filmés en gros plans. Certes, lesbiannisme, triolisme, fellation partagée ou encore double pénétration sont au menu des réjouissances, mais chaque geste est prodigué avec une infinie délicatesse. On sent un vrai respect entre les acteurs et un plaisir non simulé lors des scènes les plus chaudes. Si on ajoute à cela une musique lyrique en tous points envoûtante, on n'est pas loin du sans faute. La seule (petite) note négative à ce concert d'éloges concerne la durée un peu trop restreinte du film, mais c'est vraiment chercher la petite bête.
Premier X de l'histoire à oser exploiter un sujet mélodramatique, The Devil in Miss Jones reste à ce jour l'un des plus grands chefs d'oeuvre d'un genre qui est, depuis bien longtemps, tombé dans une abyssale médiocrité. Un grand classique à redécouvrir d'urgence.
Note: 17/20