Christine Delbecq s’est lancée il y a quelque temps dans une démarche passionnante, liée à son travail de plasticienne. Il s’agit d’un échange de correspondances. Elle a envoyé des « lettres » sans écriture, sans mots (au sens classique). Des lettres sur draps, des lettres en lanières de tissu, des lettres rédigées avec des centaines de petits fragments papier collés etc … Et elle a attendu des réponses à ses courriers. Et elle en a reçu. Beaucoup. De toutes sortes. Preuve que quelque chose est passé, qu’un courant a circulé, que des liens peuvent exister en dehors de toute convention…
Elle a intitulé ce travail « marcher les jours ». En juillet, une présentation par elle-même sera à voir dans la revue (sur Internet) « Terre à ciel ». Elle cherche un philosophe, un écrivain, un critique d’art… qui pourrait s’intéresser à ce travail de plasticien et dialoguer avec elle: [email protected]
Au moment où elle a débuté ce travail, j’ai composé ce petit texte en résonance… qui peut aussi être considéré comme une réponse à la première missive qu’elle m’a fait parvenir.
Pour une absence de mots
J’ai des choses à dire. Mais je n’ai plus les mots pour le dire.
Et je ne sais même pas quelles choses. Puisque je n’ai plus les mots pour le dire.
Les mots. Je ne sais pas où ils sont. Perdus en cours de route. Usés. Oubliés. Noyés. Évaporés.
Et aujourd’hui je suis à ras-bord. Besoin d’essorer (exprimer, je crois). Besoin urgent de me déverser. De faire couler.
Alors quoi ? Dire sans dire. Écrire sans écrire.
Crier, danser. Barbouiller ou cogner. Pleurer ou suer.
Ou tricoter, tisser, broder. Ah oui ! C’est ça. Si je tirais le fil ?
Le fil épistolaire. Je crois que, lui, le tissu, il peut me recevoir. Moi et mes silences qui parlent.
Je vais aimer la trame pour enfiler, faufiler.
Et voilà l’aiguille qui avance et tangue, enfonce, jaillit. Les ciseaux découpent des petites pièces. La colle, le stylo, Pourquoi pas.
Étonnant, le contact textile. Le son. La résistance.
La danse du trait sur la texture. J’enroule des phrases muettes et illisibles.
Parfois, elles me devancent. Je cours après. Je ris de n’avoir ni orthographe ni grammaire. Libre, libre.
J’enchaîne et je me déchaîne. Mes doigts se promènent.
On doit croire que je joue du piano. Mais c’est plutôt du silence que j’écris.
Plein de petits bidules trottent et piétinent maintenant le long de la trame.
J’écris. J’écris. Et je ne sais même pas pour qui.