Le gouvernement français ne cesse de surprendre. Et si en décembre 2012, je remarquais qu’avec l’équipe en place on atteignait des niveaux rarement explorés de cacophonie, le fait d’avoir essentiellement changé le premier minustre par un premier sinistre n’a pas fondamentalement changé la donne : la communication gouvernementale reste l’un de ces grands moments de totale improvisation contre-productive, torrent de contradictions déchaîné dans une vallée d’incohérences pentue.
Il n’est donc pas étonnant qu’encore une fois, ceux qui ont parié que nos dirigeants pouvaient faire pire encore que ce qu’on avait vécu jusqu’à présent ne sont pas déçu puisque le gouvernement a largement relevé le défi. Encore une fois, ce sont Ségolène Royal et Arnaud Montebourg qui s’y collent, en réalisant le parfait parcours sans succès de la communication gouvernementale illisible.
Notons que Ségolène, en poste depuis une petite poignée de mois, n’atteint pas encore tout à fait le niveau de merdoiement olympique qu’Arnaud expérimente depuis plusieurs années ; on comprend cependant sans effort que ce n’est qu’une simple question d’entraînement pour la Dame du Poitou, tant son potentiel en WTF est absolument certain.
Par exemple, son projet de loi sur la Transiture Énergétique montre clairement que, bien qu’en rodage, elle a de la puissance sous le capot. Et à propos d’énergie, comment qualifier autrement que catastrophe communicationnelle sa petite phrase au sujet d’EDF ? Même Le Monde, organe pourtant officiel et stipendié du gouvernement, ne peut s’empêcher de comparer la saillie poitevine à ces caprices d’enfants gâtés que la découverte d’un pouvoir important entraîne sur la pente glissante des bêtises qui, dans le monde réel, sont généralement suivies d’une petite calotte salvatrice (là où, fort malheureusement, Ségolène ne recevra pas le nécessaire bottage de train arrière largement mérité).
Car c’est consterné qu’on apprend que la ministre, invitée de BFMTV le jeudi 19 juin, a déclaré tout de go qu’il n’y aurait pas de hausse des tarifs d’EDF le premier août, avec l’aplomb habituel des cuistres et des imbéciles :
« J’efface la hausse de 5 %. »
Pour une société cotée en Bourse, cela revient à « effacer » — comme le dit si stupidement Royal — une proportion non négligeable de la marge de l’entreprise, ou, pire encore, à mettre en danger une partie de son chiffre d’affaire, ce qui s’est d’ailleurs traduit par un décrochage quasi-immédiat de 12% de l’action EDF. Au cours correspondant, cela revient à un « effaçage » de 5,9 milliards d’euros de la valeur cotée. Voilà une ministre qui revient cher.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Comme prévu avec ce gouvernement huilé comme un banc de sardines, dans la foulée de Ségolène, Manuel a pris la parole pour annoncer que, finalement, Ségolène pouvait bien raconter ce genre de bobards, il y aurait bien, à l’automne, une hausse des tarifs de l’électricité.
« Une hausse aura bien lieu en 2014. Elle interviendra cet automne et sera, compte tenu de l’évolution récente sur les marchés, d’ampleur plus faible que les 5% qui étaient initialement prévus. »
Du point de vue de l’investisseur extérieur aux bisbilles gouvernementales, l’affaire n’est donc pas encore tout à fait claire. La hausse des tarifs a été effacée, mais finalement, non. Vis-à-vis des actions EDF, revendre ou pas est donc la question boursière du moment…
Question qui pourrait être encore plus épineuse si l’investisseur en question est aussi actionnaire d’Alstom. Là, pour le coup, ce qui était confus avec EDF devient totalement opaque avec le groupe dont les péripéties actuelles font immanquablement penser à un numéro de cirque avec un trampoline, un clown et des éléphants qui voltigent tour à tour sous un chapiteau bondé.
Il suffit en effet de rappeler la séquence des événements pour se rendre compte du côté complètement grotesque des interventions montebourgeoises. Au départ, Bouygues, en mal de fonds, décide de se débarrasser de sa participation dans Alstom (pas loin de 30%). Approché par General Electric, l’affaire est bien engagée lorsque soudain, avec la rapidité d’une gonorrhée et la souplesse d’un chat de gouttière à l’attaque d’un pachyderme, le ministre de l’Économie et du Dressement Reproductif plante ses petits crocs dans le fessier dodu de l’éléphant français qui, pris de panique, s’élance dans un petit cri sur le trampoline médiatique.
Depuis, les rebondissements s’enchaînent parsemés des barrissements des grands groupes concernés et des miaulements insupportables du ministre qui finira inévitablement ratatiné entre deux postérieurs éléphantesques.
Parce que pour Arnaud, il n’était pas question que Alstom tombe dans l’escarcelle américaine. Pour lui, c’était Siemens, le concurrent pourtant direct de l’entreprise française, qui devait gober l’entreprise en vente, et ce, même si, quelques années auparavant, l’État (par la personne de Sarkozy à l’époque) avait tout fait pour que l’Allemand ne puisse pas mettre sa main dessus.
Les semaines qui ont suivi ont permis d’entretenir un yoyo ridicule entre les différentes parties prenantes du dossier, dont, il faut le rappeler, Montebourg n’était pas si l’on s’en tient à l’actionnariat considéré. Bilan des courses, on apprend dernièrement que, malgré les agitations grotesque du ministre (dont un décret qui aura consterné plus d’un et que les louanges de toutes parts marquent clairement du sceau indélébile de l’idiotie gouvernementale évidente), badaboum, c’est bien General Electric qui devrait racheter Alstom.
Sauf que ça ne peut pas se passer comme ça mon bon môssieu ! Pour éviter de perdre totalement la face, Montebourg s’est démené en coulisse afin de faire entrer l’État au capital d’Alstom, par exemple en rachetant les parts de Bouygues. Sur le plan stratégique, il est absolument catastrophique de procéder ainsi maintenant que le vendeur sait qu’il y a plusieurs acheteurs potentiels, d’autant que les poches gouvernementales ne sont pas infinies (loin s’en faut).
Limitations budgétaires obligent, la belle opération d’intervention étatique d’Arnaud se complique sérieusement et les négociations, forcément âpres avec un vendeur qui compte bien s’en sortir aussi bien que possible, promettent encore quelques petits mouvements secs de mentons de la part de nos décideurs… Il y a loin des 28 euros par action proposés par l’État aux 35 euros demandés par Bouygues.
Parallèlement, on ne s’étonnera donc pas d’entendre les discours élogieux des autres branquignoles du gouvernement, louangeant les efforts d’Arnaud sur la magnifique solution retenue. Pensez donc ! Ou bien personne n’intervenait, et Bouygues encaissait 35 euros par action auprès d’un General Electric qui pouvait réellement espérer valoriser Alstom, ou bien Arnaud s’en mêlait, désignait Siemens, concurrent frontal, pour reprendre le biniou, pour terminer sa course folle avec un retour à l’acheteur initial, un perte potentielle de plusieurs euros par action pour Bouygues et une grosse prise de participation de l’État avec l’argent du contribuable qui rentre actuellement à gros bouillon dans les caisses. Magique.
Comment ne pas croire, devant le déroulement de toute cette affaire, que tout ceci n’était pas préparé de longue date ? Comment ne pas voir l’habileté machiavélique de Montebourg qui, en laissant croire qu’il fait n’importe quoi n’importe comment, montre ici une totale maîtrise de tous les rouages financiers mobilisés pour ces affaires, ainsi qu’une communication aux petits oignons ? Comment ne pas imaginer que c’est à la suite de cette planification méthodique et du résultat qu’on pressent grandiose que le président Hollande et le premier ministre Valls encensent actuellement le ministre de l’Économie ?
Et surtout, comment ne pas croire Arnaud lorsqu’il nous explique que tout a été prévu, planifié, et qu’en conséquence, ça ne coûtera pas un rond aux Français ?
Je serais vous, je planquerais mon portefeuille. Ça va encore coûter une blinde.
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