Pitti Uomo 86, entre carnaval et pépites
Le Pitti Uomo, qu’est-ce que c’est ?
Avant de revenir plus en détails sur les bonnes surprises de ce salon de la mode masculine, premier en taille et en publicité, prenons quelques instants pour répondre à cette question toute bête : qu’est-ce que le Pitti Uomo un jour de juin 2014 ?
Le Pitti Uomo, c’est :
1/ Des photographes en embuscade
Devant la fortezza da Basso comme à l’intérieur, partout dans les allées du salon et plus encore sur la place centrale, des photographes attendent le « bon client« , comme on dirait dans le langage de la télévision. De fait, on a de plus en plus l’impression d’assister à la finale de Miss France. C’est à celui qui aura la chance d’être vu, « shooté », adoubé par des fashionistas qui à leur tour veulent être vus, « shootés », adoubés, etc., d’où les excès que l’on devine. Certains peaufinent leurs tenues longtemps à l’avance, en changent plusieurs fois dans la journée, tentent de s’organiser comme ils peuvent. Les « stars », ceux qui sont certains de voir leur image reproduite d’une édition à l’autre, ont parfaitement compris le truc. Il n’est donc pas rare de les voir marcher au ralenti, sourire figé, par groupes de trois ou quatre, pour plus d’efficacité. Qu’attendent le roman et le cinéma pour se saisir de ce phénomène ?
2/ Des jeunes femmes accortes
Elles sont généralement placées sur le seuil des stands extérieurs, avec interdiction formelle de descendre les marches.
3/ Des sacs à main qui barbotent
Me serais-je arrêté devant ces sacs s’ils n’avaient été fréquentés par des poissons rouges ?
4/ Des visiteurs déguisés
Sans commentaire.
5/ Des camarades
Je ne suis pas sur la photo, je la prends.
6/ Des exposants venus présenter leur travail
On les oublierait presque, et pourtant ils sont là, prêts à dégainer le carnet de commandes. Ce sont ces exposants, certains d’entre eux du moins, les plus talentueux selon nous, que nous vous présenterons dans les prochains jours, notamment Sartoria Partenopea, Salvatore Piccolo et Sealup.
Passons maintenant à la question que tout le monde se pose : ce Pitti Uomo 86 fut-il à la hauteur de l’engouement médiatique qu’il a suscité ?
Pitti Uomo 86 : une bonne cuvée ?
Question rituelle, la plupart du temps jouée d’avance à grands coups de chiffres. Côté exposants, on en dénombrait 1 030 ; côté acheteurs, 120 de plus que pour la précédente édition (grâce notamment au travail accompli par le Ministère du Développement économique et l’Ita-Italian trade agency, dont, soit dit en passant, la France ferait aussi bien de s’inspirer). Quant au nombre total de visiteurs, il a dépassé les 19 000. Des chiffres en hausse, donc, soutenus par un Made in Italy qui, en dépit des difficultés économiques, ne s’est jamais aussi bien porté. Ajoutons à cela les festivités liées au 60e anniversaire du Centro di Firenze per la moda italiana et la visite très attendue du président du Conseil des ministres, Matteo Renzi, les raisons étaient nombreuses de se réjouir d’une manifestation par ailleurs assez joyeuse.
En arpentant les allées du Pitti Uomo 86 (les allées intérieures, je précise) et en discutant avec les représentants de savoir-faire de qualité, deux choses ont retenu mon attention : d’une part la place accrue accordée au casual wear au détriment du costume formel (ce que confirme un sondage récent commandé par le magazine MF Fashion) ; d’autre part, le peu d’entrain suscité par la France auprès des professionnels de l’habillement.
Sans grande surprise, le sport était à l’honneur de cette édition 86, avec comme clef de lecture le ping-pong (d’où les installations reproduites plus haut). Comme me le confiait un grand chemisier italien auprès de qui je m’étonnais de cette tendance : « Oui, me dit-il, si je ne mets pas en avant des chemises sport, en jeans, en chambray, ornées de motifs fantaisie, les clients ne sont pas tentés de s’arrêter sur mon stand. En revanche, mon chiffre d’affaires est toujours constitué à 70% de chemises classiques. » D’autres fabricants semblent avoir définitivement sauté le pas, à tel point qu’on pourrait inverser les proportions, 70% de casual, 30% de classique.
Quant aux perspectives offertes par notre pays aux très belles marques, italiennes ou autres, mais peu connues et n’ayant pas les moyens d’investir massivement dans la publicité, elles paraissent pour l’instant bouchées. De l’avis de tous, la France est un marché difficile. La faute à qui ? La taille de l’hexagone ? D’autres pays, gros importateurs, ne sont guère plus grands. Le pouvoir d’achat de ses habitants ? Nous ne sommes pas les plus pauvres en Europe. « Les Français ne s’habillent pas« , m’ont confié plusieurs responsables commerciaux. Difficile de ne pas les croire, même si depuis quelques années, les blogs, nouvelle source d’information, ont largement renouvelé la connaissance des produits. Il reste encore beaucoup à faire pour que les habitudes changent et que nos concitoyens trouvent enfin plaisir à s’habiller.
P.S. Spéciale dédicace à Loïc, qui m’a écrit pour me demander des précisions sur Gabriele Pasini. En fait, Gabriele Pasini n’est pas une marque mais une ligne de vêtements créée par le styliste du même nom pour la société Lardini implantée à Filottrano, dans la province d’Ancône. Spécialisée dans la fabrication de vestes et de costumes sport, Lardini est de plus en plus impliquée dans la mode, comme l’implique sa récente collaboration avec Nick Wooster. Où trouver les modèles de la collection Gabriele Pasini ? Luisaviaroma en vend quelques-uns en ligne. Peut-être dans l’un de leurs deux magasins de Florence ?
Le style de Gabriele Pasini est vraiment très très trendy. Trop pour moi, par exemple (presque plus que celui de Cantarelli, que j’apprécie, et sur lequel nous rédigerons un article d’ici peu). Il faut à la fois être fin et « consistant ». Ce n’est pas d’ailleurs un hasard si monsieur Pasini porte plutôt bien ses propres vétements. Il faut une certaine assurance pour assumer des associations ardues (je pense notamment au gilet croisé porté avec une veste d’inspiration militaire). L’âge, parfois, apporte cette assurance.