Bernard Zehrfuss, figure majeure de l’architecture des Trente Glorieuses et Prix de Rome en 1939, investit de sa « poétique de la structure » la Galerie d’architecture moderne et contemporaine au Trocadéro. Depuis quelques années, la Cité de l’architecture & du patrimoine s’attache à mettre en lumière le travail, trop souvent dénigré, des auteurs de la Reconstruction.
Comme Guillaume Gillet en 2009, le concepteur du siège de l’UNESCO se voit ainsi mis à l’honneur par l’institution ; un retour nécessaire, qui doit aider à faire avancer les mentalités sur le sujet. En effet, beaucoup de bâtiments de Zehrfuss ne sont pas encore protégés et par conséquent scandaleusement altérés, voire, très simplement, détruits.
Vue générale de l’exposition © Je beurre ma tartine
Il est tristement amusant de voir comment les schémas se répètent. L’été dernier, les visiteurs de la Hublotière s’insurgeaient contre les démolitions des édifices de Guimard dans les années 1950, faute de protection – le milieu du XXe siècle étant peu friand d’Art Nouveau -, fustigeant les « barres de béton atroces » qui les ont remplacés. Mais va-t-on prendre conscience, avant qu’il ne soit trop tard, que ces constructions font partie de notre patrimoine architectural ?
Progressivement, notre regard apprend à aimer les parois monumentales couleur anthracite, à trouver un aspect majestueux aux structures éthérées, et surtout à y voir en filigrane un contexte historiques particulier.
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Bernard Zehrfuss est un re-constructeur. Son art est né dans l’urgence, celle des réédifications après la Seconde Guerre Mondiale. Industries, résidences, monuments, tout était à refaire – mais pas à l’identique. Il fallait construire vite, de façon abordable et pour le plus grand nombre, tout en se tournant vers l’avenir plutôt que de fixer les ruines du passé.
Christine Desmoulins, journaliste et commissaire de l’exposition, aime à dire que la carrière de l’architecte est « bordée par deux collines » : celle de la nécropole de Gammarth en Tunisie (1945-1947), et celle de Fourvière, où il installe le Musée de la civilisation gallo-romaine en 1975. Visionnaire, il exploite toute la force esthétique comme structurelle des nouveaux matériaux, et sait s’adapter aux besoins de son temps. Après avoir jeté les bases de son œuvre au Maghreb dans le cadre de la Reconstruction, il rentre en France où il développe ces fameuses « barres » et « tours » si décriées de nos jours. Pourtant, comme l’explique Christine Desmoulins, c’est une façon d’inscrire l’architecture dans le paysage, et d’imposer des lignes directrices au regard.
Unesco, Paris, 1952-1958 – le bâtiment du secrétariat, n.d., © Fds Zehrfuss. Académie d’architecture/CAPA
Corinne Bélier, conservatrice en chef à la Cité de l’architecture et également commissaire de l’exposition, s’attarde elle sur le chantier de l’imprimerie Mame à Tours, l’une des premières usines modernes françaises. Réalisée par Zehrfuss et Jean Prouvé en 1953, elle démontre que l’architecture des Trente Glorieuses est aussi celle des grandes industries, répondant par un « art social et pluridisciplinaire » à un cahier des charges exigeant.
Viennent ensuite les grands projets : le quartier de la Défense et le CNIT dans les années 1950, le siège de l’Unesco (débuté en 1952, agrandi jusqu’en 1978) et le Musée de la civilisation gallo-romaine de Lyon. Clairement novateurs, ils se font de plus en plus discrets dans la ville : si le « parachute » de béton du CNIT constitue un repère essentiel dans le paysage du quartier d’affaires, le Musée se veut lui invisible, excavé directement dans la colline de Fourvière.
L’exposition retrace de façon claire et concise la carrière de Bernard Zehrfuss, au travers de ses grandes réalisations. Particulièrement soignée sur le plan esthétique, elle séduit par la multiplicité des supports présentés : maquettes, photographies, croquis, vidéos, magazines… pour la plupart d’origine. Une authenticité qui contribue à nous transporter dans ce monde encore mal connu qu’est celui des Trente Glorieuses.
Musée de la civilisation gallo-romaine, Lyon, 1969-1975, 2014, Christian Thioc, ph. © Musée de la civilisation gallo-romaine
Bernard Zherfuss, la poétique de la structure
Du 19 juin au 13 octobre 2014
Cité de l’architecture et du patrimoine
Galerie d’architecture moderne et contemporaine
Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 11h à 19h et le jeudi jusqu’à 21h
Plein tarif : 8€ Tarif réduit : 6€
Plus d’informations sur citechaillot.fr
A lire
DESMOULINS Christine : Bernard Zehrfuss, Editions du patrimoine, Carnets d’architectes, 2008
DESMOULINS Christine et BELIER Corinne : Bernard Zehrfuss (1911-1996), livret de l’exposition, Cité de l’architecture et du patrimoine, 2014
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