Depuis le 17 juin, les députés examinent le projet de loi sur la réforme ferroviaire contesté par une partie des cheminots (CGT et SUD-Rail). Le projet du gouvernement voudrait revenir sur une décision prise en 1997 : la séparation de la SNCF et de Réseau Ferré de France (RFF), société qui gère les infrastructures ferroviaires. Le projet de réforme propose une structure triple : une société mère SNCF piloterait deux entités, SNCF Réseau, chargée de l'infrastructure, et SNCF Mobilités, chargée de l'exploitation. Ce nouveau dispositif aurait pour but d'empêcher SNCF Réseau de dépasser un seuil d'endettement en sollicitant davantage les collectivités locales. Le tout sur fond d'ouverture à la concurrence, imposée par le règlement européen à partir de 2019.
Selon un rapport de la Commission européennesur le marché ferroviaire publié le 19 juin, le secteur ferroviaire est fortement tributaire des subventions publiques (quelque 36 milliards d'euros en 2012), pour un montant quasiment équivalent au produit de ses ventes, et la croissance du fret ferroviaire est à la traîne par rapport à d'autres modes de transport. En France, le fret ferroviaire s'est effondré, passant de 17% en 2000 à 8% en 2013, selon le Commissariat général au développement durable. Le transport routier de marchandises domine le transport de fret, avec 88% de parts de marché. 73% du tonnage kilométrique concerne des trajets de plus de 150 kilomètres. Le secteur regroupe 37.200 entreprises dont 80% de moins de dix salariés. La plupart ne disposent que d'un seul ensemble routier. Leur clientèle locale n'assure pas le plein emploi de leur parc. Elles dépendent des "chargeurs" ayant un accès direct au marché pour leur fret de retour. Pour la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut), il s'agit d'un marché en surcapacité et en crise profonde, marqué par la fraude et le dumping, qui génère par ailleurs de très importants coûts économiques et écologiques.
L'écotaxe pour financer le fret ferroviaire
"Les causes sont connues : le maillage et la qualité du réseau routier issus de la politique du « tout routier » ; l'entretien et la modernisation du réseau ferroviaire classique délaissés au profit des LGV ; l'évolution de la production vers la diversification et le juste à temps, à laquelle la route a su techniquement s'adapter alors que le fret ferroviaire n'a pas connu d'innovations majeures ; enfin les distorsions de concurrence", selon la Fnaut, qui demande "une intervention forte du gouvernement auprès de la Communauté pour harmoniser les conditions fiscales et sociales au niveau européen" et l'instauration de l'écotaxe poids lourds pour faire redémarrer le fret ferroviaire.
En France, la dette du système avoisine les 40 milliards d'euros, situation qui met en danger l'avenir du rail en France, au moment où d'autres pays européens, comme l'Allemagne, ont su créer une nouvelle dynamique. C'est ainsi que la régionalisation outre-Rhin s'est accompagnée de l'ouverture de 50% du marché ferroviaire et a entraîné la réouverture de certaines lignes : 500 kilomètres ont été rouverts depuis dix ans et l'emploi cheminot a augmenté, tandis que les coûts pour les Länder ont diminué. Pour la Fnaut, il s'agit d'un exemple à suivre : "Contrairement à la SNCF, la Deutsche Bahn a mis en œuvre une stratégie commerciale offensive, stimulée par la concurrence des opérateurs privés et facilitée par le bon état du réseau ferré allemand et, depuis 2004, par l'instauration d'une écotaxe, la LKW Maut".
Quant à l'Autriche, elle s'est dotée d'un système "Ecopoint" remplacé le 1er janvier 2004 par un système de péages (GO-Maut) pour les poids lourds circulant sur autoroute. La redevance est calculée sur la base du nombre d'essieux, pour les véhicules de plus de 3,5 tonnes.
Une réforme privée de débat public
En 2000, la Suisse a instauré une taxe poids lourds, la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations(RPLP), appliquée pour les véhicules de plus de 3,5 tonnes, suisses et étrangers, transportant des passagers ou des marchandises sur l'ensemble du réseau routier public, selon un double objectif : maîtriser le trafic routier de transit pour le ramener de 1.200.000 camions par an à 650.000 ; financer le plan Rail 2000 et plus particulièrement les nouvelles traversées ferroviaires alpines. Ce "petit" pays a ainsi réussi à financer seul ses deux tunnels de base, le Lötschberg et le Gothard. La part modale du rail est aujourd'hui de 66% pour le trafic de transit, le trafic routier commence à baisser. "Alors qu'en France, l'écotaxe est reportée, la Suisse montre une nouvelle fois l'exemple d'une politique rationnelle. Nos voisins suisses ont en effet adopté à 62%, le 9 février 2014, un plan de financement et d'amélioration de l'infrastructure ferroviaire (FAIF). Ce plan garantira de manière durable l'entretien et la modernisation du réseau ferré. Cette démarche suisse est un modèle d'anticipation et de transparence", note la FNAUT.
A l'heure où la transition énergétique sollicite un paysage ferroviaire au plus proche des objectifs d'aménagement du territoire et de transition énergétique, le report de l'écotaxe par la ministre de l'Ecologie elle-même bloque les investissements indispensables au développement du fret ferroviaire. Sa mise en oeuvre freinerait la demande excessive de transport routier. En amont de ces enjeux, les différentes parties prenantes concernées – régions, voyageurs, chargeurs, devraient être consultées et être représentées dans les instances nationales et régionales de gouvernance, afin de démocratiser le secteur public.
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