Ghislaine Bouvier, chercheuse et maître de conférence à Bordeaux, traque le pesticide à la maison, à la ville et à la campagne.
Publié le 18/06/2014 par ISABELLE CastéraGhislaine Bouvier : « Le lien entre l’utilisation des pesticides et la santé est notable ».© PHOTO FABIEN COTTEREAU
Dans le mot pesticide, il y a le suffixe « cide », qui veut dire « tuer », « tailler en pièce ». Ghislaine Bouvier, pharmacienne, épidémiologiste et maître de conférence à la faculté de Bordeaux, aime bien le rappeler en préambule. Et d'ajouter : « On ne peut d'un côté vouloir tuer du vivant et imaginer que cela n'aura aucune conséquence sur le reste du vivant : nous. » Le ton est donné.Depuis 2002, elle travaille sur l'influence des pesticides dans l'environnement, qu'il soit urbain, quotidien, ou en milieu rural. En 2006, elle intègre l'équipe d'Isabelle Baldi au sein de l'Isped (Institut de santé publique d'épidémiologie et de développement) à Bordeaux. Forcément, à Bordeaux, le pesticide en chef, montré du doigt, analysé, mesuré et calculé, est celui que les viticulteurs pulvérisent dans les vignobles.« C'est vrai. Mais pas seulement. Pour en revenir à l'épisode de Villeneuve-de-Blaye où, le 5 mai, des enfants d'une école ont subi une intoxication (lire « Sud Ouest » des 22 et 25 mai), suite à l'épandage d'un fongicide dans la vigne voisine, par exemple, nous pouvons considérer qu'il s'agit d'un épisode aigu. Peu d'études s'intéressent aux effets à très court terme.En revanche, on sait que, sur le long terme, beaucoup d'études vont dans le même sens. Le lien entre l'utilisation des pesticides et la santé est notable. Sont touchées toutes les personnes qui travaillent à l'épandage, viticulteurs ou agriculteurs, mais aussi les personnes en contact avec les champs, hors période d'épandage. »« On a des certitudes sur l'augmentation des cancers du sang, de la maladie de Parkinson, des tumeurs au cerveau, des prostates et des mélanomes, en raison de l'interaction entre le soleil et le pesticide sur la peau, admet la chercheuse. La question de la fertilité et de la reproduction est à l'étude. On commence à avoir des données un peu inquiétantes. »En cherchant l'origine des maux, l'objectif des équipes scientifiques est de mettre au jour des possibilités d'actions. « On identifie les risques en repérant le lien entre les facteurs environnementaux et l'augmentation, même légère, de certaines pathologies », précise Ghislaine Bouvier. « Et un jour, on pourra produire autrement, manger autrement, infléchir l'utilisation de pesticides, d'engrais. »Dans les champs donc, mais aussi dans les villes et jusque dans nos maisons, nos assiettes. « On est tous contaminés par les pesticides, même en milieu urbain, mais à un niveau faible, en rapport avec la pollution atmosphérique, tempère la chercheuse. Dans les maisons, on piste les anti-moustiques, anti-rampants, anti-poux. Toutes ces molécules ne sont pas sans conséquences sur la santé. Certaines études ont déjà mis en évidence une légère augmentation des tumeurs du cerveau et des leucémies chez les enfants. Mais rien de vraiment déterminant. »Dans l'assiette ? « Ça se complique, alors qu'on a des études dites d'exposition aux pesticides, on n'en possède quasiment pas sur le lien pesticide-alimentation. Pourquoi ? Il faudrait travailler avec une population contrastée. Des ‘‘bios'' intégraux d'un côté et des gens qui ne mangent qu'agriculture conventionnelle de l'autre. Or, il y a des décrochages des deux côtés. De plus, les ‘‘bios'' ont des modes de vie qui influent positivement sur leur santé… Le bon sens reste de mise. »Ghislaine Bouvier était hier soir invitée par la Maison écocitoyenne de Bordeaux, avec Yvon Minvielle, viticulteur bio et président du mouvement Slow food Bordeaux, pour traiter la question des pesticides. Un débat animé par Didier Dubrana, de l'Inserm.