Lettre ouverte à l’attention :
De la Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de
sécurité, Catherine Ashton
Du Commissaire européen à l’Élargissement et à la Politique européenne de voisinage, Štefan Füle
Du Représentant spécial de l’Union européenne pour les droits de l’homme, Stavros Lambrinidis
Des Ministres des Affaires étrangères des Etats Membres de l’Union européenne
Bruxelles, le 20 juin 2014 Madame la Haute Représentante,
Monsieur le Commissaire,
Monsieur le Représentant spécial,
Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,
En amont des prochaines négociations sur le Plan d’action entre l’Union européenne (UE) et l’Algérie dans le cadre de la Politique européenne de voisinage (PEV), le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH), Amnesty International, Human Rights Watch, et la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme) réitèrent leur appel à donner la priorité au respect des droits humains, y compris l’égalité hommes-femmes et à demander aux autorités algériennes d’adopter des mesures tangibles dans ce domaine.
En dépit de nombreuses promesses de réforme depuis 2011, le bilan en matière de droits humains en Algérie reste négatif. Les libertés d’association, de réunion et de manifestation ont été drastiquement restreintes et les militants associatifs comme syndicaux font l’objet de poursuites judiciaires arbitraires ayant pour but de les intimider et de sanctionner leur activité de défense des droits humains. L’Algérie ne dispose pas de loi pénalisant de manière adéquate les violences faites aux femmes et les discriminations à l’égard des femmes demeurent ancrées en droit et en fait. Par ailleurs, la coopération de l’Algérie avec des experts et mécanismes des Nations Unies mais également les ONG internationales de défense des droits humains reste très limitée voire inexistante en dépit des demandes répétées de ces acteurs de pouvoir se rendre en Algérie.
Reflétant cette situation, l’UE a fait part de ses préoccupations lors du conseil d’association de mai 2014 et a déclaré que « L’élection de l’Algérie au Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies doit encourager l’Algérie à renforcer le respect des droits fondamentaux et des libertés civiles, notamment la liberté d’association et la liberté d’expression et d’opinion. L’UE encourage l’Algérie à mettre en place les instruments et les mécanismes de promotion des Droits de l’homme, en ligne avec les conventions internationales, avec une attention particulière pour les droits de femmes. »
En mars 2014, la Commission européenne (MEMO PEV) faisait une analyse similaire et relevait « une absence constante d’indépendance du pouvoir judiciaire et la situation semble s’être détériorée en ce qui concerne la liberté d’association et de réunion (notamment le maintien des obstacles auxquels doivent faire face les syndicats indépendants) et la liberté d’expression (notamment pour les blogueurs). »
Face à ce constat sombre partagé par l’UE, nos organisations considèrent que les négociations en cours sont une opportunité majeure pour l’UE de mettre concrètement en œuvre dans ses relations avec l’Algérie ses engagements relatifs aux droits de l’Homme et à la société civile, tels que définis à la fois dans sa politique européenne de voisinage révisée et dans le Plan d’action du cadre stratégique de l’UE en matière de droits de l’Homme et de démocratie.
En amont de la conclusion d’un Plan d’action UE-Algérie et dans la continuité des positions prises lors du dernier Conseil d’association, nos organisations appellent l’UE et ses 28 Etats membres à exercer une pression forte et concertée afin d’exhorter les autorités algériennes à :
1. Veiller en toutes circonstances à ce que les défenseurs des droits de l’Homme et tous les acteurs engagés en Algérie puissent exercer pleinement leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique sans craintes de harcèlement ou d’ingérence ;
2. Abroger les articles de la Loi n° 12-06 sur les associations qui violent la liberté d’association et le droit des associations à coopérer et à s’affilier avec des organisations basées dans d’autres pays ;
3. Abroger le décret interdisant depuis 2001 les réunions et manifestations à Alger ;
4. Assurer la protection des femmes et des filles contre les violences liées aux genres, y compris en adoptant une législation qui pénalise la violence contre les femmes sous toutes ses formes ;
5. Abroger les dispositions du Code pénal et du Code de la Famille qui sont discriminatoires à l’égard des femmes et des filles ainsi que retirer toutes les réserves à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ratifiant son Protocole facultatif ;
6. Veiller à ce que les changements proposés à la Constitution soient conformes aux obligations internationales de l’Algérie en matière de droits humains, et ne pas adopter de modifications qui consacreraient l’impunité pour de graves atteintes aux droits humains, telles que les disparitions forcées, les exécutions illégales et les actes de torture ;
7. Coopérer pleinement avec le Conseil des droits de l’Homme, y compris avec ses experts des droits de l’Homme – ou procédures spéciales – notamment en répondant sans délai et de manière favorable à leurs demandes de visite, en délivrant et en honorant des invitations permanentes aux experts et groupes de travail de l’ONU sur les droits de l’Homme, et en mettant rapidement en œuvre leurs recommandations et communications ;
8. Délivrer, sans délai, des visas aux représentants des organisations internationales de défense des droits de l’Homme qui demandent à se rendre en Algérie.
En outre, nos organisations appellent à ce que le chapitre relatif aux droits de l’Homme du futur Plan d’action UE-Algérie traduise une volonté ferme d’avancer conjointement la promotion et la protection des droits de l’Homme de jure et de facto sur la base des standards internationaux en matière de droits humains. Ainsi nous attirons votre attention sur la nécessité d’adopter des objectifs concrets dans le domaine des droits humains, assortis d’un calendrier de réformes devant être engagées à court terme par l’Algérie, et en impliquant la société civile algérienne indépendante de manière constructive. Il est également important de définir des indicateurs précis permettant une évaluation objective et régulière de la situation fondée sur les standards définis dans sur les conventions internationales relatives aux droits humains.
Enfin, nous vous prions de trouver ci-dessous les liens vers nos documents concernant les derniers développements en matière de droits humains en Algérie.
Nous profitons de cette occasion pour réaffirmer notre disponibilité à œuvrer avec vous à la promotion des droits humains en Algérie.
En vous remerciant pour votre attention, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de notre haute considération.
Michel Tubiana,
Président du Réseau Euro-Méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH)
Eric Goldstein,
Directeur adjoint, Division du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, Human Rights Watch
Philip Luther,
Directeur, Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord, Secrétariat international d’Amnesty International
Karim Lahidji,
Président de la FIDH