Pour peu que vous vous intéressiez au phénomène des tueurs en
série – si tant est qu'on puisse appeler ça un phénomène -, il
vous suffit de pianoter sur n'importe quel moteur de recherche pour
prendre connaissance de son ampleur, évaluer le nombre de meurtriers
répondant à cette appellation. Une liste bien évidemment et
malheureusement non exhaustive si l'on en croit le « spécialiste
français » des tueurs en série, Stéphane Bourgoin, dont on
peut avoir un aperçu de son travail sur le site qu'il anime.
La fiction, à travers les polars, que ce soit par le biais de la
littérature, du cinéma et des séries TV, n'a pas manqué de se
pencher sur la question, de l'exploiter sous différents fards, de
sorte que le ridicule et le n'importe quoi côtoient la pertinence et
la justesse.
En ce qui concerne Fils de Sam, premier livre de Michaël Mention
que je lis, on est clairement dans ce deuxième cas de figure. Même
s'il est vrai qu'en l'occurrence, l'approche adoptée oscille entre
la fiction et le documentaire, proche du travail d'enquête. Au
premier abord, cela pourrait paraître déroutant, mais le résultat
est on ne peut plus probant. La démarche possède en tout cas le
mérite de susciter un vif intérêt, de donner une dimension
particulière à l'affaire abordée par l'auteur.
L'affaire, c'est celle de David Berkowitz, alias « Le Fils
de Sam », lequel a été condamné pour le meurtre de six
personnes et pour en avoir blessé plusieurs autres en leur tirant
dessus à bout portant. L'ensemble de ces crimes ont été commis
entre 1976 et 1977 et ont bien évidemment défrayé la chronique, suscité une angoisse de tous les instants de la population new-yorkaise.
Plutôt que d'aborder le parcours du criminel d'un strict point de
vue biographique le parcours de David Berkowittz - de sa naissance à
son arrestation et ce qui en a découlé – Michaël Mention a
préféré contextualiser l'affaire à partir de l'époque elle-même,
du climat général qui régnait alors en cette fin de décennie à
la fois aux Etats-Unis, et accessoirement dans le monde, la marche de
l'un n'allant pas sans l'autre. La radiographie est là, dans les
remous de l'époque, dans les failles de la société, révélées
notamment avec l'émergence des groupes satanistes auxquels David
Berkowitz aurait eu affaire.
En parallèle au travail d'enquête de l'auteur, à sa reconstitution
des faits, agrémentée de photographies, aux points de vue relatifs à une presse racoleuse n'hésitant pas à
instrumentaliser l'affaire, ainsi que celles qui lui sont
concomitantes, en parallèlle donc, le lecteur est invité à entrer
dans la tête du fils de Sam, à prendre connaissance de son profil,
de ses pulsions, de la tourmente qui l'anime : la perte de sa
mère très jeune, les railleries incessantes à son égard lorsqu'il
était enfant ou même à l'armée, la solitude, la colère, sans
bien sûr oublier ses visions, ce démon sous forme de chien lui
dictant sa conduite à tenir, ses meurtres à commettre...
Jamais cependant Michaël Mention ne cède à la facilité dans ces
parties là en décrivant un tueur qui, comme on le voit trop souvent
dans les thrillers, apparaît ridicule tant il se noie dans une
surabondance de détails si volontairement répugnants
qu'ils en deviennent grotesques et navrants. Pas question de ça ici.
L'auteur assure toujours la passerelle avec la réalité, les faits et la
personnalité complexe de Berkowitz. A un point tel qu'on se demande
en début d'ouvrage si les passages assurant cette subjectivité
n'auraient pas été écrits par Berkowitz lui-même. C'est dire la
prouesse de l'exercice et la qualité d'écriture de l'auteur.
Vous l'aurez compris, pas besoin d'en dire plus pour être persuadé qu'à travers le Fils de Sam, Michaël Mention a su faire coïncider fiction et documentaire de la plus belle des manières. Avec pertinence et justesse, donc.
Fils de Sam, de Michaël Mention, éditions Ring, 2014, 384 p.