Magazine Cinéma

Baby Cart IV : l'âme d'un père, le cœur d'un fils

Publié le 20 juin 2014 par Olivier Walmacq

Baby Cart IV : l'âme d'un père, le cœur d'un fils

Réalisateur : Buichi Saito (Tekkaba Yaburi (?????)

Durée : 81 minutes

Genre : film de sabres

Année : 1973

L'histoire : Daigoro et Ogami Itto poursuivent leurs aventures et leur destin croise celui d'une lanceuse de couteaux recherchée pour meurtres : Oyuki…

La critique d'hdef : La saga Baby Cart est de ces sagas dont la qualité va crescendo : Le Sabre de la vengeance était un très beau film de sabres influencé par Les Sept samouraïs, L’Enfant massacre est un superbe film d’aventures qui va jusqu’aux limites de l’expérimental tandis que Dans la terre de l’ombre est une démystification complète du samouraï, montré comme un violeur invétéré, un obsédé sexuel voire un proxénète.

images-2

Et justement, Dans la terre de l’ombre (qui est donc le troisième volet de la saga qui en comporte six) marquait le début d’un diptyque... au sein même de la saga ! Un diptyque dont la première partie, donc Dans la terre de l’ombre, est centré sur le sang (langue arrachée, torture, décapitations, viols… le film est sans doute le plus violent de la saga) là où le second, donc L’Âme d’un père, le cœur d’un fils, se concentre sur la chair. La chair dans tous ses états si je puis dire.

images-3

Alors évidemment, les opus précédents offraient déjà un point de vue sur cet élément, mais un point de vue uniforme, à savoir celui de la chair lacérée par les sabres, à l’exception d’une très belle scène d’amour dans Le Sabre de la vengeance. À part cela, la chair n’apparaissait que pour être maltraitée. Ici, Buichi Saito (ce n’est donc plus Kenji Misumi qui réalise) nuance le propos, en opposant aux massacres au sabre les… tatouages ! Autrefois au Japon, les tatouages étaient extrêmement douloureux (« Porter un tatouage, c’est accepter de souffrir toute sa vie » indique le vieux tatoueur) et nécessitaient plusieurs entailles dans la peau, avant qu’on y coule l’encre. La chair est donc encore une fois ouverte, sanglante, mais l’esthétisation de cette violence est poussée à l’extrême, et le pouvoir érotique qui émane de cette souffrance presque voulue par le client rompt complètement avec le style des autres films de la saga. Par ailleurs, la façon qu’a le cinéaste de sublimer le nudité féminine par de lents panoramiques horizontaux, là où Misumi préférait des superpositions de pellicules afin d’éviter de montrer les scènes de sexe frontalement, est tout à son honneur, ces lents plans contemplatifs comptant parmi les plus réussis du film.

images

En outre, L’Âme d’un père, le cœur d’un fils fait de la chair une œuvre d’art en soi, ou plutôt un support, tel un mur de peau ici surtout féminin qui supporte une double-pénétration : celle du sexe et celle du sabre, qui prend ici des allures de symbole phallique. Vous l’aurez compris, Buichi Saito prend avec ce Baby Cart IV une tournure radicalement différente par rapport aux précédents films de la saga, même s’il confirme, comme les opus 2 et 3, l’égalité de la femme par rapport à l’homme, ici avec le personnage atypique de la guerrière Oyuki. Pour autant, le film de Saito ne se limite pas à un film de sabres érotique et sensuel dont les mouvements de caméras délicats s’apparentent aux doux contours du corps d’une femme et gratifie le spectateur d’une critique de la société avec le passage du hameau dans lequel sont retranchés les saltimbanques de la région, mis à l’écart de la populace et traités comme de chiens, comme en témoigne le comportement de l’envoyé du shogun qui perquisitionne chez eux.

images-1

Ensuite, Baby Cart IV complique le scénario et les motivations des personnages en ajoutant une 3e sous-intrigue (encore une fois une vengeance) avec le personnage du fils du clan Yaghyu, renié par son père après avoir été faussement battu par Ogami Itto. Rappelons au passage que les deux autres histoires de vengeance sont celles d’Ogami Itto et celle du chef du clan Yaghyu. Leur rivalité culmine dans un face à face final incroyablement minimaliste où les deux hommes se battent au corps-à-corps avant qu’Ogami Itto ne réussisse à enfoncer sa lame dans son adversaire, de manière si laborieuse qu’on ne peut s’empêcher de penser à la conclusion de Josey Wales hors-la-loi de Clint Eastwood, qui devait sortir seulement deux ans plus tard (ou trois peut-être). Paradoxalement, le film s’éloigne bien plus du western que son prédécesseur, Dans la terre de l’ombre qui se concluait sur un massacre à la mitraillette (?) emprunté à Pour une poignée de dollars et dont l’un des méchants était armé de deux revolvers et s’entrainait au milieu d’une rivière un petit peu comme Eastwood avant son combat avec Ramòn (Gian Maria Volonté) dans le film de Leone. L’Âme d’un père, le cœur d’un fils se distingue également du précédent par l’importance qui est offerte au personnage de Daigoro, qui se retrouve ici pour la première fois seul dans de nombreuses scènes et qui développe un étonnant instinct de survie (contre le samouraï ou lors de l’incendie). La veulerie des samouraïs est toujours au premier plan (le viol d’Oyuki, la tentative de meurtre de Daigoro (qui avait déjà été enlevé dans L’Enfant massacre et avait même failli être noyé) même si le cinéaste s’attache moins à cet élément que Misumi.

images

Cela dit, si la mise en scène de Saito est moins extrême et audacieuse que celle de son confrère (pas de mouvements de caméra acrobatiques ou de gros plans invraisemblablement poétiques comme dans L’Enfant massacre), elle emprunte tout de même beaucoup à Misumi par exemple lors du dernier meurtre d’Oykuki, qui montre ses seins tatoués afin de déjouer l’attention de son adversaire (qui est aussi son violeur) un peu comme la compagne du fugitif abrité par le héros de Tuer ! qui se montrait nue aux gardes du shogun en pensant qu’ils n’oseraient pas la tuer ainsi. Elle était armée d’un couteau… tout comme Oyuki dont c’est même la profession (elle est lanceuse de couteaux).

Bref, Baby Cart IV : l’âme d’un père, le cœur d’un fils ne démérite absolument pas (loin de là) vis-à-vis des trois autres opus, et s’il est plus faible que L’Enfant massacre et Dans la terre de l’ombre, je le juge encore supérieur par rapport au pourtant excellent Le Sabre de la vengeance.

Un très grand cru du genre !

Note : 17/20

PS : Histoire de ne pas faire dans la logique, cet opus 4 est chroniqué alors que le 3 ne l'est pas encore. Ca va venir, ne vous inquiétez pas…


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Olivier Walmacq 11545 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines