Au jeu du coffret je suis parvenu en cinquième semaine. Je poursuis la chasse au trésor du contenu d'Au fil de l'Encre, que les éditions Encre Fraîche ont publié pour célébrer le dixième anniversaire de leur existence et qui est sorti à l'occasion du dernier Salon du Livre de Genève.
Dès le début de cette aventure, je me suis donné pour règle épicurienne de savourer ce coffret pendant six semaines et de rendre compte des nouvelles qu'il contient pendant le même laps de temps, pour ne pas en perdre toute l'essence chemin faisant.
Cette semaine, pour la cinquième fois, je présente donc des nouvelles du coffret, au nombre de quatre cette fois encore, dans l'ordre où elles s'y présentent, un ordre comme un autre. Et je suis ravi, comme chaque semaine, de ce que je découvre.
La nouvelle d'Anna Gold est de circonstance, puisque le ballon rond y joue un rôle qui, multiplié, serait salutaire. But. Un conte pour la paix se déroule en Israël, cette terre sainte où les trois religions du Livre se donnent rendez-vous et se manquent.
Un jeune adolescent, Daniel, d'origine française, y vit avec ses parents et sa soeur, dans un kibboutz, au sud, à la lisère du désert, dont il est complètement fou:
Il me fascine. Il me permet de rêver, d'imaginer des formes. Le sable immobile crée l'infini. Le sable agité forme des dunes au gré du vent. Le sable furieux aveugle et engloutit.
C'est aussi en face du désert que son ami Samuel, orphelin de père peut le pleurer... en s'adressant au sable qui, parfois, enterre.
Dans ce pays, les relations entre parents et enfants sont faussées:
A cause de la guerre latente qui règne ici, les pères israéliens confrontés quotidiennement avec la mort, veulent donner le meilleur à leurs enfants. Sans poser de limites. Sans franchement endosser le rôle de l'homme sévère qui distribue parfois les punitions.
Aussi les enseignants ont-ils beaucoup de mérite à essayer d'éduquer les enfants qui leur sont confiés, tels Daniel ou Samuel à qui leur pères, naturels ou adoptifs, font des cadeaux et pas de reproches.
Un jour, leurs profs, Rachel et Sarah, organisent un voyage scolaire à Jérusalem en application des cours de religion:
[Elles] tentent désespérément de nous faire comprendre que Jérusalem est sainte pour les grandes religions monothéistes. Elles donnent des exemples, simplifient l'histoire pour que nous comprenions que, ce qui devrait unir, divise.
Samuel est l'auteur d'une plaisanterie au détriment de Ronit et Tali, deux filles qui se croient supérieures. Daniel est alors saisi d'un fou rire qui lui vaut d'être puni à sa place et de rester tout seul à l'arrière. C'est alors qu'il a l'oeil attiré par une jolie cour intérieure, où un ballon traîne.
Le groupe s'est arrêté. Daniel en profite pour aller jouer au ballon en attendant que la file ne reparte. Mais, quand il a fini de jouer, le groupe a disparu. Il n'arrive pas à le retrouver et revient sur ses pas. Dans la jolie cour intérieure quelqu'un joue avec "son" ballon...
C'est le printemps. Madame Watanabe, prénommée Estelle, a suivi le traitement de Patrice, son tendre allergologue, contre son allergie aux pollens et, pour la première fois, depuis des années, elle prend du plaisir à son avènement.
C'est le matin. Estelle se tourne dans le lit du côté de son mari, prénommé Makoto. Elle pousse un hurlement et saute du lit. Il a été remplacé par une carpe:
Pas n'importe quelle carpe. Un poisson décoratif des étangs nippons, une koï blanche, tachetée de rouge. Elle mesurait plus d'un mètre et demi, à peine moins que Monsieur Watanabe qui n'était plus là, remplacé qu'il était par le poisson qui ouvrait et fermait sa gueule.
La femme à la carpe, imaginée par André Ourednik, se demande ce qui s'est passé:
Estelle rationnalisa. Hypothèse A: son mari s'était caché et avait mis un poisson à sa place. Hypothèse B: on avait enlevé son mari et laissé la carpe en guise de menace. Ces deux hypothèses étaient incongrues. Pour B, Makoto n'avait pas d'ennemis originaux. Pour A, Makoto n'était pas original ou alors des années auparavant, et jamais à ce point.
Estelle doit se rendre à l'évidence. Son mari s'est transformé en carpe... Elle demande conseil à Monsieur Sekisawa, qui tient un bouiboui à Ouchy, et qui lui explique que les koïs sont de gros mangeurs. Lui et trois acolytes transportent Makoto dans la baignoire de la salle de bains, bien filtrée et aérée.
Cinq mois plus tard, Makoto a pris du poids. Estelle n'est toujours pas sûre que c'est bien lui ou qu'on l'a remplacé. Elle ne pense pas que le bien de Makoto soit dans cette baignoire et prend une décision irréversible, rendue d'autant plus facile qu'elle aime son allergologue de Patrice...
Vifka se rend pour la première fois à un cours de cuisine, recommandé par son amie Lhassa, raconte Catherine Cohen. Ce cours a lieu à L'Ecole de l'Etang, sa première école avant qu'elle n'aille à l'orphelinat.
Nâ, la jolie chef, la met avec Zaza, pour faire équipe. Elles se racontent leurs histoires de recettes de famille et Zaza plaisante Vifka, qui cherche à rencontrer de nouvelles têtes à ce cours de cuisine et qui, avec ses yeux perçants, son visage de chat, ne devrait avoir aucun problème à décrocher le monsieur.
Mais le garder n'est-il pas le plus dur? La cuisine de Vifka lui permettra-t-elle de le garder? Elle ne croit pas vraiment que la cuisine permette de retenir les petits maris qui se débinent, comme il est dit dans la chanson interprétée par Juliette Gréco:
Les cours de cuisine seraient pleins à craquer si c'était vrai...
La semaine suivante, Lhassa est là cette fois, avec son Zoroastre, parce qu'il est arrivé comme Zorro et qu'il est beau comme un astre... En fait, il s'appelle Julian et a amené Ulysse, un Appolon... qui ne laisse pas indifférente Vifka et qui, lui-même, n'est pas indifférent à ses charmes.
Comme par hasard, à la fin du cours, les élèves sont tous partis, sauf Vifka et Ulysse:
Ils sont seuls. C'est le silence. Tout près l'un de l'autre. Leur respiration s'entend. Le corps de Vifka brûle soudain. Son plexus chauffe. Le désir monte. Elle est hors d'haleine. C'est tellement grisant ce qui se passe dans cette cuisine. C'est la vraie rencontre. Elle s'étonne de sa transformation. En une seconde, elle a tout oublié, tout envoyé loin...
Lors de la troisième leçon, Ulysse ne devrait pas être là. La semaine précédente, il avait remplacé quelqu'un... Mais il est là et l'emmène après le cours faire une balade en moto sous l'orage ...
Nora , le vendredi soir, traverse la ville à pied. Elle escalade le mur du cimetière. Elle se rend sur la tombe de son frère Frédéric. Elle lui parle, nous dit Jean-Luc Chaubert:
Elle lui raconte sa semaine. Elle lui dit sa peine et son inquiétude de voir leur mère s'assombrir toujours davantage, le regard souvent perdu dans la fumée de ses cigarettes et les vapeurs de gin ou de vodka. Elle lui murmure aussi sa révolte contre leur père. Puis elle sort de son sac à dos le cabas contenant une barre de chocolat, une pomme, des biscuits, un sachet de bonbons. Elle le dépose sur le gravier blanc. Elle embrasse la sépulture et s'enfuit entre les cyprès.
Le cabas a disparu. Il a été remplacé par un petit papier plié sur lequel a été écrit le mot: merci. Ce n'est pas l'écriture de Frédéric. Nora découvrira que c'est celle de Joáo, un jeune homme qui a eu des problèmes - sa mère, enfuie en Suisse avec un autre homme, a dû le reprendre - et qui, lui aussi, est révolté contre son père... Elle fera sa connaissance dans le pavillon des croque-morts du cimetière, où il passe ses nuits.
Nora et Frédéric sont chez Mariette, la copine de leur père. Ce dernier avait promis de les emmener au cinéma puis au restaurant, mais il les plante seuls devant la télé pour aller bouffer une fondue avec des potes. Alors le sang de Frédéric ne fait qu'un tour et il se casse pour ne plus revenir. Et, effectivement, il ne reviendra plus, puisqu'il meurt au guidon de son vélo sans lumière quelques instants plus tard...
Peu de temps après la mort de son frère Frédéric survient celle de sa grand-maman Anna:
Sa grand-mère qui lui a appris la langue que l'école ne lui a pas apprise, qui lui a raconté les histoires que son père ne lui a pas racontées, qui lui a donné l'amour que sa mère ne lui a pas donné.
Sa rencontre avec Joáo change alors la vie de Nora, qui n'arrive pas à construire son corps de femme, flottant entre enfance et adolescence:
Paradoxalement, sur la sépulture de son frère ou dans la nuit du pavillon des croque-morts, auprès de Joáo, Nora a l'impression de connaître une forme de résurrection. Elle a le sentiment d'être à nouveau quelqu'un pour quelqu'un, d'être écoutée, d'être considérée pour ce qu'elle pense et ce qu'elle est.
Mais la vie est pleine de désappointements...
Francis Richard
Episodes précédents:
Coffret "Au fil de l'Encre" 4/6 aux éditions Encre fraîche
Coffret "Au-fil de l'encre" 3/6 aux éditions Encre fraiche
Coffret "Au fil de l'encre" 2/6 aux éditions Encre fraîche
Coffret "Au fil de l'encre" 1/6 aux éditions Encre fraîche