Un pedigree (3ème fragment)

Publié le 19 mai 2008 par Frontere

II. Une recherche du temps perdu qui échoue à restituer un temps retrouvé

II.1 Les procédés narratifs

Modiano (photo Olivier Roller) utilise à profusion le procédé de Perec (1936-1982), rappelons-nous son récit : Je me souviens (1978). Ainsi :

p. 47 (1) : « Je me souviens d’un Brésilien », p. 51 : « Je me souviens aussi d’un  certain Léon Grunwald », p. 52 : « je me souviens de quelques-uns des “rendez-vous” de mon père », p. 56 : « Je me souviens d’un dimanche … », p. 83 : « je ne me souviens plus très bien de mes camarades d’internat », p. 84 : « je me souviens aussi … », p. 95 : « je me souviens que chaque dimanche … », p. 96 : « je me souviens du printemps de cette année-là »

Bien entendu ce n’est ni par paresse intellectuelle ni par pauvreté de style que Modiano en use : il cherche à produire un effet par l’accélération du rythme de son récit, surtout à partir de la 2ème partie du livre, du reste il nous a prévenus :

« Je vais continuer d’égrener ces années sans nostalgie mais d’une voix précipitée. Ce n’est pas ma faute si les mots se bousculent. Il faut faire vite, ou alors je n’en aurai plus le courage »

Ce passé pèse lourd dans la conscience ou plutôt l’inconscient de Modiano, c’est peut- être pour cela qu’il parsème aussi son récit de références poétiques parfois allusives pour retrouver un ton plus léger.

Référence à Nerval, à propos d’un abbé :

« Il m’avait fait lire aussi “Les Déracinés (2)”. Avait-il senti que ce qui me manquait un peu, c’était un village de Sologne ou du Valois, ou plutôt le rêve que j’en faisais? »

Or, parmi les livres de chevet du narrateur en internat figure Les Filles du feu, recueil de nouvelles dont la plus connue Sylvie a pour sous-titre Souvenirs du Valois

Référence à Queneau que le narrateur avait l’habitude de rencontrer le samedi, le fait est véridique s’agissant de Modiano jeune, allusion furtive à son rire : « C’était tout simplement le rire de Queneau » qui permet à l’auteur de marquer son peu de goût des métaphores ; « Je ne suis pas doué pour les métaphores ».

Référence à Apollinaire à l’occasion de l’évocation d’un voyage à Londres, à Prévert, de manière explicite :

« Je ne reconnais plus le quartier de mon enfance comme ne le reconnaîtraient plus Jacques Prévert et l’abbé Pachaud » ou implicite : « Avant qu’elle ne se perde dans la nuit froide de l’oubli, je citerai … » qui rappelle la chanson Les feuilles mortes (3).

Ces citations marquent, me semble-t-il, un regret de ne pouvoir évoquer ses souvenirs dans une prose poétique dont il s’est servi dans d’autres livres mais qui lui paraît inadaptée s’agissant de dérouler son pedigree, son curriculum vitae, genre qui suppose une certaine sécheresse comme dans un télégramme.

A suivre … 

Notes

(1) la pagination renvoie à la collection dite “blanche” de chez Gallimard

(2) roman de Maurice Barrès publié en 1897 

(3) Jacques Prévert/Joseph Kosma